Lorsqu’il lit un roman, le lecteur ne pense pas vraiment comment l’auteur a pu se branler le mou pour découper son œuvre en différents chapitres. Exercice d’équilibriste pour les plus attentionnés des écrivains, pitoyable découpage au pifomètre pour d’autres, il y a matière à discuter. Le Tigre est aussi là pour ça.
Qu’est-ce que le Chapitrage ?
Le « Chapitrage » est un terme dont Tigre ignore s’il existe ou non. Pour moi, ça désigne simplement l’art de découper un roman en chapitres. Ceux-ci peuvent être numérotés (ou pas), avoir un titre (ou pas), faire l’objet d’un saut de page (ou pas). En fait, il suffit d’un espace plus conséquent qu’une unique séparation de paragraphe pour parler de chapitre.
Un chapitre est donc la dernière subdivision d’un roman. A mon avis cette nécessité de découper un objet littéraire ne peut être que d’obédience juridique : les premiers codes de lois obéissaient à l’impérieux besoin de ne pas perdre le citoyen lambda qui pourra s’y retrouver dans ce fatras d’interdits. Rien que le Code de Hammurabi fait état d’un corpus logique où les paragraphes sont suffisamment séparés pour qu’on puisse parler de chapitres.
Enfin, très souvent ces subdivisions donnent un indice dont un bouquin doit être lu. Le gros Zola appelle à la patience et à la contemplation tandis qu’un Maxime Chattam indique que cela doit être vite lu comme on se débarrasse d’une brûlante patate. Entre ces deux extrêmes, c’est une jungle de décisions artistiques arbitraires que je m’apprête à débroussailler.
Pourquoi ?
Pourquoi s’intéresser de la sorte au chapitrage ? C’est évident : quelqu’un qui n’a pas bien bossé la manière dont ceux-ci sont distribués pourra rendre un roman excellent presque illisible. Tigre va pousser le vice jusqu’à effectuer une audacieuse comparaison entre un livre et un film ou une série. Ces items culturels se dévorent, et dans tous les cas il est impératif d’éviter l’indigestion.
Une série d’une heure sans pause ni temps mort, c’est le vilain petit canard de toute chaîne de TV qui se respecte. Tout comme un film dont l’action est continue. Comment caler la publicité lorsque l’action ne s’arrête pas et qu’aucun fond noir n’apparaît ? Plus prosaïquement, quand le spectateur pourra-t-il mettre sur pause en vue d’aller pisser ? Tout est question de rythme, de gestion de temps afin de doser passages qui bougent de descriptions un peu chiantes. Et surtout laisser la populace admirative reprendre son petit souffle.
Je ne parlerai pas des essais, puisque les parties répondent à une logique que je qualifierai « d’estudiantine ». Cohérence et logique universitaire sont les maîtres mots, il faut en parcourant la table des matières savoir de quoi il retourne. Je n’évoquerai pas plus des chapitres des comics, ceux-ci sont particuliers et répondent à une logique plus mercantile : avant que vous ne teniez entre les pognes un gros Batman, il faut savoir que celui-ci est sorti dans les kiosques chapitre par chapitre. Il convenait donc de donner envie au lecteur de sortir son porte-monnaie pour la semaine d’après.
Quels sont les façons de diviser un roman ?
Discourir des auteurs qui gèrent en bon père de famille leurs chapitres n’est pas vraiment intéressant. Le Tigre préfère largement dénoncer ceux qui font de la merde (ou presque). Je distingue quatre styles pour l’instant, bien évidemment d’autres doivent exister :
1/ Le jean-foutre
C’est le gus qui n’a rien à carrer de la division de son livre. Tellement concentré sur sa prose, l’auteur en a complètement zappé la mise en forme. Soit il laisse l’éditeur se démerder, soit il le fait lui-même pendant qu’il regarde la demie-finale féminine du championnat du monde de curling. A partir de là deux types d’auteurs sévissent :
Un, il décide de ne pas mettre de chapitres, ou alors très peu. Et l’éditeur ne dit rien. C’est un peu ce que ces branques de Gallimard ont accepté avec le bon Littell (le fiston) : Les Bienveillantes doit avoir trois chapitres. Sur 1.000 pages, le ratio est scandaleux. Tigre avait attendu un saut de page tel un Israélite attendant son prophète, ce fut très douloureux.
Deux, l’auteur place les marquages au petit bonheur la chance. Le touriste de base qui décide d’un nouveau chapitre comme un chanoine prélevait la dîme dans une récolte : à l’œil, et surtout selon l’humeur. Sauf qu’à bien choisir, on aurait préféré qu’il n’en fasse rien. Parce que ça entame sérieusement la concentration du lecteur. Celui-ci, espérant faire une pause entre deux chapitres, s’apercevra rapidement qu’il ne peut compter sur les propositions de l’auteur pour arrêter momentanément la lecture. Trahison totale.
2/ Le vilain « cliffhangueur »
Plus qu’un banal écrivain, notre ami est rompu aux techniques de marketing de l’infâme univers télévisuel. Il maîtrise comment allègrement faire monter la pression, et n’a pas peur de laisser le lecteur frustré à la fin du chapitre. Cela arrive souvent dans les mangas, ce qui est normal puisque la problématique marketing est la même que pour les comics U.S.
Seulement quelques thrillers y vont de la même recette. Je pense notamment au gros James Patterson qui a trouvé la formule magique pour nous empêcher de placer un marque-page à la fin d’un chapitre : en effet, l’Américain est capable de présenter 70 chapitres pour un roman d’à peine 300 pages….vous voyez le souci ? Comme un appétissant macaron, je me suis plus d’une fois dit, in petto : « allez, un petit dernier pour la route ». Erreur fatale.
Le problème avec cette technique narrative est la vicieuse impression de ne jamais en avoir assez. L’action se termine en plein milieu d’une partie, suivie d’un temps mort pendant lequel une nouvelle péripétie se met en place. On arrive à une nouvelle énigme en fin de chapitre, et l’excitation est alors maximale à ce moment. Voilà ce qu’est le cliffhanger : on termine la partie avant le terme du dénouement qui sera rapidement expédié dans la prochaine partie. D’ici là, une autre intrigue se met en place. Cercle vicieux comme on on en fait rarement.
3/ L’aérateur éhonté
Je vais faire court : Le salopiaud profite des divisions de son titre pour étoffer la largeur de l’objet. C’est-à-dire qu’il laisse volontiers une page pleine (au moins) entre deux chapitres. Et comme par hasard, son texte avant coupure se termine en haut d’un page. Pratique non ? Souvent cela s’accompagne d’un ratio chapitres / pages des plus ridicule. A la limite, je leur dirai « vas-y mon ami, ne t’emmerde pas : fait coïncider tes paragraphes avec tes chapitres ! T’es plus à ça près. »
Vous voulez des noms ? Rien de plus facile : Amélie Nothom, Fric-Emmanuel Schmitt, Frédéric Dard (dans une moindre mesure), Didier Van Cauwelaert, et tant d’autres. On pense acheter un roman de taille correcte. Mais si on ôte les divisions du chapitrage en plus de revenir à une taille de police non destinée aux vieux presbytes, le roman est capable de perdre au moins 40% de sa masse. En euros, ça fait combien ?
4/ Il professore
Le professeur, comme son nom l’indique, est cultivé. Il ne peut guère s’empêcher d’étaler son savoir. Sauf qu’il y a tellement à tartiner que ça déborde sur l’intitulé du chapitre. Soit il fait péter quelques douces références qui amèneront le lecteur à se creuser la cervelle avant d’entamer la première ligne de chaque chapitre ; soit seul le titre du chapitre invite à la réflexion. C’est ce que San-Antonio fait si souvent avec des parties en calembours ou autres jeux de mots.
Bernard Werber est fan de cet exercice dans la mesure où avant de continuer son histoire il n’hésite pas à sortir quelques textes annexes. Par exemple, dans la trilogie des Fourmis, Nanard émaille à chaque début de partie les bons mots d’un mort qui a publié une très cheap « Encyclopédie du savoir relatif et absolu ». Adolescent, c’est fort intéressant et on en redemande (il a fait un roman unique dessus d’ailleurs) ; adulte, on peut être rapidement gavé.
De même, Tigre a rencontré dans un bouquin de Dantec quelque chose aussi original qu’inutile : les numéros de chapitres aléatoirement délivrés dans différentes langues. français, mandarin, allemand, dogon, afrikaaner, anglais, japonais, n’en jetez plus ! N’ai pas bien compris l’intérêt de l’exercice, mais eu égard le profil de l’écrivain je me suis dit qu’il aurait pu faire bien pire.
Conclusion chapitreuse
Alors, qu’est-ce que préfère Le Tigre ? Je vais louvoyer et dire que cela dépend des romans. Et souvent cela ne se passe jamais comme prévu : lorsque j’attends d’un Guimauve Musso qu’il me livre sa guillaume en un bloc afin que je le lise d’une traite sans me poser de questions, il fait le contraire. Inversement, Peter F. Hamilton est capable de me laisser en plan sur plus de 20 pages inchapitrées au cours d’un pavé de 1.000 pages. Pour le coup, j’aurais préféré plus de chapitres et 1.200 pages. J’aurais l’impression d’aller plus vite.
Sinon, pourquoi le numéro 84 au présent Sutra ? Tigre a eu envie de brièvement vous parler d’un auteur qui à un moment s’est éperdument moqué du chapitrage. C’est Richard Milward (né en 84) dont le roman Block Party ne possède aucun chapitre, ni de paragraphe ! 1984 ? Best year to be born…
On le trouve ici : http://dictionnaire.reverso.net/francais-anglais/chapitrage
Traduction de nm chaptering
→ toutes les options classiques des DVD sont reconnues: chapitrage, sous-titres, avance/retour rapides, etc
Qui est confirmé dans le dictionnaire Informatique de Cyril Serrano
978-1847995544
Il est aussi rajouté au logiciel de correction orthographique Antidote
800 nouveaux mots (baladodiffusion, chapitrage, piétonnisation…).
C’est dire si on lui prévoit un avenir certain.
Bien Amicalement
l’Amibe_R Nard (et merci pour vos lectures… de tigre ! 🙂 )
« piétonnisation », ils ne reculent devant rien ! Merci pour m’avoir confirmé ce terme qui existe, il n’y a qu’à lui allouer une définition correcte.
Le terme chapitrage existe bien, il dérive du verbe chapitrer !
En êtes-vous bien sûr Alch ? Parce que si ce que vous dites est vrai, Tigre passe alors pour un idiot de première bourre. Vu que chapitrer = engueuler, mon Sutra a commis un lourd contresens.
Un peu comme une khôlle de philo que j’avais passée (il y a déjà longtemps) sur le sujet du « verbalisme ». J’avais fait un exposé sur le fait de verbaliser, et comment l’État nous pompait dès qu’il le pouvait… Le prof avait failli s’étouffer de rire.
C’est ça le Tigre. A priori c’est une boulette.
Et autant te prévenir tout de suite, le bouddhisme n’est pas non plus pour ceux qui aiment le boudin.
Je n’ai pas la dizaine de volume du Littre sous la main mais d’après sa version électronique, le mot « chapitrage » n’existe pas du tout.
Si ca n’existe pas, le Tigre peut bien en faire ce qu’il veut j’imagine.
C’est bien ce que je pensais. D’ici deux ans, grâce à mes bons soins, le petit Bob devra bien prendre en compte ce terme.
J’ai pas dit que l’usage était exact. J’ai dit que le terme existait bel et bien !
Je me souviens l’avoir croisé dans un ouvrage en vieux françois où l’auteur l’utilisait pour parler d’une engueulade bien sonnée d’un abbé sur un moine facétieux.
Cela étant dit, je me souviens plus de quel ouvrage il s’agit, et ça, c’est très ennuyeux.
Si SanA me fait souvent bien marrer avec ses jeux de mots, j’en dirait pas autant pour d’autres auteurs qui se servent de cette espace pour étaler leur confiture comme on étale sa rolex en serrant les pognes. Et vlan la citation mielleuse. Et pan tu reprendras du Lao Tseu. Et Bing merci Google, je savais plus quoi dire.
Et on retrouve ces citations moisies dans les powerpoints que ta vieille tante te balance a Noël depuis qu’elle maitrise la messagerie Orange.
La culture ça ne se montre pas dans les sous-titres de chapitre mais dans l’écriture du reste.
Ah tant qu’on est dans la confiote, je ne sais pas si chapitrage existe mais chapitrer oui. Mais ça n’a rien a voir.
Definitively best year to be born..