Il paraît que prodiguer d’intelligents (ou pas) conseils sur les manières de moins faire chauffer sa carte bleue attire du trafic. Essayons ! Mais comme Le Tigre est lecteur avant tout, ce sera sous le noble angle de la littérature que je traiterai de l’avarice. Si beaucoup lire revient cher, des chemins détournés (mais légaux) existent.
Un lecteur près de ses sous
« Nous sommes tous, plus ou moins, un peu égoïstes, un peu avares, un peu traîtres, un peu coquins » a dit le grand Alphonse Karr. Sur les deux premières assertions, Le Tigre ne déroge pas à la règle, voire est plus souvent concerné qu’à son tour. Sur la traîtrise, il m’est parfois arrivé de préférer à mon libraire local un infâme mégastore, rien de bien méchant. Concernant la coquinerie, enfin, ce post très subjectif donne le la.
La radinerie, donc. L’objet littéraire n’est jamais donné, seul quelques bienheureux n’ont pas ces basses considérations financières : le riche, qui au lieu de s’offrir la dernière Jaguar peut aisément se procurer près de 15.000 romans (de poche hein) et être tranquille le reste de sa vie, en considérant qu’à un moment « t » il estime avoir acquis ce qui se fait de mieux dans ce domaine.
Le journaliste ou politicien, qui reçoit comme autant de cadeaux corrupteurs les derniers ouvrages de son milieu (sa clique, à dire vrai) : ce dernier aura soit la flemme, soit manquera de temps pour jeter un œil sur les titres donnés et souvent les revendra à vil prix à quelques libraires peu regardants sur la provenance de la marchandise presque « tombée du camion promotionnel ». Le Tigre sait de quoi Il parle, achetant parfois chez ces fameux bouquinistes.
Pour les plus modestes, il y a la fameuse bibliothèque municipale. Double rapiat, parce qu’en plus de payer une somme dérisoire pour emprunter par semaine plus qu’il ne peut dévorer, ledit citoyen aimera croire récupérer, quelque part, une partie de ses impôts locaux. Hélas, votre bibliothécaire en chef n’aura pas souvent la sagacité adéquate, et vous risquez d’attendre quelques années avant de voir débarquer votre titre tant attendu. Et si vous en touchez un mot à la direction de la bibliothèque, gare à la corruption passive !
Pour ceux qui ont le temps, se présentent bien sûr les grands magasins où il est possible de discrètement placer son corps dans un recoin : s’armer d’une série de dix bandes dessinées, à l’abri des regards, à des horaires du genre 14-17h, tout en trouvant un fauteuil libre, ça n’a pas de prix. Eu égard le nombre d’individus qui auront la même idée, le magasin risque d’être envahi par une horde de fonctionnaires en disponibilité et forcément porteurs du dernier virus de la grippe. Du genre à poser leur gros culs dans les escaliers ou entre deux rayons, gâchant par la même votre après-midi de détente.
Sinon, reste à créer un blog, et comme Le Tigre attendre que les éditeurs descendent de leurs montagnes sacrées et daignent porter attention aux nombreux mails de « partenariat » écrits. Jusqu’à bien vouloir envoyer quelques exemplaires, pro bono, tout en respectant la déontologie du blogueur. Autant demander à Brigitte Bardot de nous accompagner à manger un peu de chien dans le Sichuan.
Enfin, il y a le piratage, sous toutes ses formes. N’attendez pas de moi une liste des sites proposant des mangas en lecture gratuite, ou des .pdf de récents romans, je veux juste signaler que ça existe. Contrairement à Mégaupload, le FBI n’a pas encore décidé de mettre un terme à cette délinquance qui ne semble pas porter atteinte aux intérêts supérieurs du monde globalisé.
Pourquoi être radin avec les livres ?
Et c’est sans doute bien dommage, cette impunité du côté de la contrefaçon littéraire. Grâce (ou à cause, c’est selon) le bon Jack Lang, le prix des livres dans le royaume de France a été artificiellement maintenu à un certain niveau, et ce pour promouvoir la diversité de la littérature, composante essentielle de l’exception française face à laquelle Le Tigre reste plus que dubitatif. Je ne souhaite pas entrer dans un débat qui me dépasse très certainement, néanmoins j’ai remarqué que dans d’autres pays européens, l’offre de romans semblait autant abondante mais à un prix égal sinon supérieur à ce qu’on trouve dans l’hexagone. Don’t jump to hative conclusion.
Si l’objet littéraire coûte (relativement) cher c’est oublier les personnes qui vivent de ce commerce. Je ne parle pas de libraires ou des sites qui délivrent directement l’ouvrage, mais de la rémunération directe de l’auteur ou l’éditeur. Aucune licence globale n’existant, les deux sont rémunérés au prorata de leurs ventes. On me rétorquera que les plus téléchargés sont les plus achetés, cependant à un certain point quelques auteurs (et éditeurs) à succès, même téléchargés massivement, se gavent tranquillement, surtout sur les gros formats de la première publication.
Bref, autant du côté de l’auteur que de l’éditeur, le lecteur radin (celui qui n’achète pas) n’est pas par définition un vrai lecteur. A la rigueur un malin, au pire un parasite qui suit l’air du temps mais ne lâchera pas un kopeck à celui qui s’est donné la peine de pondre l’œuvre. A la différence du quidam à qui il arrive de prendre ici et là des mp3, puis aller au concert du musicien, « faire tourner » le roman incitera peu à avoir son propre exemplaire at home.
C’est pour cela que Le Tigre va particulièrement s’intéresser à un autre type de lecteur rapiat. A l’instar des Inconnus, il y a le bon et le mauvais radin. Le mauvais, j’en ai parlé. Le bon, c’est Harpagon qui lit mais néanmoins achète. Celui qui fait vivre le pauvre écrivain, sachant que la politique culturelle d’un État ne peut lui permettre, pour l’instant, de justement sustenter l’artiste à l’aide de paramètres égalitaires et à peu près logiques.
Sans compter le plaisir de posséder une vaste bibliothèque…
Comment éviter de payer trop cher ?
Donc tu as acheté un essai, un roman, une BD au prix du marché. Tu te sens un peu flouté. 10 euros, tu as mal. Même si tu es matinal. Comment renverser cette tendance ? Déjà, tu es mal parti : en payant ton truc, ça a déjà perdu un tiers de sa valeur. Pire qu’une bagnole. Bravo ! Quoi faire pour éviter qu’un autre tiers ne prenne la poudre d’escampette ?
Première règle, préserver l’objet. En une phrase, appliquer à soi-même ce qu’on demanderait à tout emprunteur, comme je l’ai déjà expliqué ici. C’est à dire : protéger le livre, le préserver des rayons du soleil, ne pas l’ouvrir à plus de 45°, le garder lors de ses déplacements dans un sac plastique. Après lecture, le ranger dans une bibliothèque fermée, toujours hors de porté de Râ, et dépoussiérer le tout occasionnellement. Bref, il faut devenir excessivement maniaque, chiant tant qu’à être réaliste, avec ses livres.
A ce titre, une petite précision : être chiant, certes, mais proportionnellement à la valeur comptable du livre. Le format poche d’un Maurice Levy, votre chat peut pisser dessus. L’intégrale de Rork, ne pensez même pas à le sortir même une minute à l’intention de Nadine de Rotschild.
Seconde règle, compter sur « l’effet de groupe ». Comme une bande de copines individuellement repoussantes mais collectivement vaginomotocultables, votre bibliothèque prendra d’autant plus de valeur que celle-ci sera complète et éclectique. L’objectif, c’est d’en mettre plein la vue, et avoir un classement de vos livres à côté duquel les fichiers STIF de la police ne sont que d’aimables fiches de la clientèle d’un boulanger dans le Nivernais.
Le but, si celui-ci vous échappe, est d’avoir la puissance de frappe potentielle du revendeur pressé. Si la pingrerie nous parle, c’est parce que ce que nous souhaitons posséder une richesse mobilisable à tout moment en cas de coup dur. Mille livres bien rangés et niquel, ça se vend plus vite sur eBay que trois mille ouvrages tâchés de confiture (et de foutre), de surcroît classés dans un ordre byzantin. Même à moitié prix.
Quelque part, dans tout radin sommeille le lâche prêt à se carapater en quatrième vitesse vers des cieux plus cléments. Et à l’instar d’un vieil Harpagon emportant bijouterie et argenterie dans un bateau prêt à partir pour Cancun, le vrai lecteur grippe-sou aura sa bibliothèque prête à la vente en un clic. Du style « vente flash », sans penser une seule fois à léguer les titres à une institution publique. Ce qui est fort triste, et tend à prouver que l’avarice l’emporterait sur l’amour de la littérature.
Conclusion d’Harpagon
Puisque nul gain ne puisse satisfaire un cœur avare, il y aura toujours de délicieuses méthodes que je n’ai pas traitées, soit par négligence, soit par incompétence. L’espoir premier étant de faire sourire, et par extraordinaire réfléchir, Le Tigre n’espère pas vous faire gagner plus d’un écu par an.
J’aime parfois terminer sur une note utile (de Culture G par exemple). Le numéro du présent Sutra n’a pas été choisi au hasard. 68, c’est l’année de sortie de l’Avare par Molière. Au XVIIème siècle bien évidemment.