Un peu de sérieux dans la tanière tigresque. A part lire mes inutiles conseils, lorsque vous vous apprêtez à sortir le porte-monnaie pour (vous) offrir un bouquin, que regardez-vous de manière systématique ?… Oui, moi aussi. Et j’en ai vu tellement me passer sous le nez que je peux vous les classer (n’utilisez surtout pas cette dernière phrase hors contexte).
Pourquoi ?
Tigre ne compte pas se poser sur un fauteuil Louis XV, le monocle calé dans la cavité, un verre de Martini (rouge de préférence) dans la main droite, pour vous entretenir de la noble histoire du quatrième de couverture (ci-après, 4ème de couv’, QdC, IVC, ou autres petits noms qui peuvent me venir à l’esprit).
Non, ce serait d’un chiant. En plus, à part chercher comme une collégienne sur internet, je ne sais pas grand chose sur le quatrième de couv’. Je préfère insister, en premier lieu, sur l’importance que peut avoir ce QdC pour l’objet roman. C’est avant tout destiné à provoquer l’achat du pigeon, lui en mettre plein les mirettes. C’est l’équivalent de la bande annonce : un extrait de l’œuvre en vue de donner envie d’en savoir plus.
Quelques remarques d’ordre général d’abord. D’après ma modeste expérience, c’est bien à l’éditeur à avoir le dernier mot sur le contenu du quatrième de couv’. C’est celui-ci qui prend le risque financier, et comme la couverture ou le prix ce n’est pas à l’auteur de décider à quoi ressemblera son roman. Je subodore que les écrivains stars peuvent se permettre de faire leurs divas et exiger deux-trois ajustements pour se faire mousser, si quelqu’un veut me donner des noms et des exemples je suis plus que jamais preneur.
Ensuite, Tigre imagine un QdC court. Pas plus de trois parties déjà : la présentation de l’œuvre (on y reviendra), quelques mots sur l’auteur, et le titre. Quoique cette dernière partie ne me semble pas totalement nécessaire. Ledit titre, on le connaît bien, peut-être un sous-titre (comme par exemple « Les aventures d’untel » si c’est un héros récurrent) ou son homologue en VO justifierait cette répétition.
Enfin, et ce sera la plus grosse partie, voici quelques astuces pour ne pas se foirer comme un boulet de première qui fera bruyamment ricaner ses confrères du monde impitoyable et consanguin (gratuit) de l’édition.
Quels sont les différents quatrièmes de couverture ?
Voilà donc quelques types de IVC (je pense toujours au Panzer du même nom) qui me semblent devoir être particulièrement abordés. Je vois cinq grosses tendances, pour l’instant :
L’incipisteur. Le quatrième de couv ? Merde, ai zappé. Allez zou, te fais pas chier.
Alors là, Tigre se fend la poire. Parce que personnellement je regarde très souvent les premiers mots d’un bouquin, juste histoire de savoir si ça me donne envie de lui laisser une chance. C’est faire preuve d’un feignasserie à peine croyable que de taper son trivial CRTL+C suivi d’un honteux CTRL+P sur l’arrière du livre.
Attention, les gros classiques ou les romans dont l’incipit est exceptionnel peuvent avoir un quatrième de couverture de la sorte. Lisons ensemble le « Toute ma vie, je me suis fait une certaine idée de la France » qui introduit les mémoires du bon De Gaulle. Ça claque tellement que beaucoup de politiciens à la vue courte se servent de cette expression pour justifier leurs idées rétrogrades. Quant au « Aujourd’hui, Maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas » de Camus, c’est juste sublime.
Le passagiste. Am stram gram, pic et pic…
Presque pire que la catégorie précédente, la maison d’édition peut juger bon de sélectionner un passage qui lui paraît représenter au mieux le roman. L’exercice est délicat, sinon impossible, car peu de phrases tirées hors de leur contexte me semblent susceptibles de refléter l’intégralité du talent du scribouillard. Et c’est le boulot de l’éditeur de créer un texte qui réussit à synthétiser le scénario autant que rendre hommage au style de l’auteur. Comme si ce dernier l’avait écrit (il faut que les mots utilisés soient susceptibles de se retrouver dans le roman), mais sans l’abjecte subjectivité de celui qui fait son auto-promotion.
Toutefois, si l’auteur est suffisamment célèbre ou il y a dans le roman deux ou trois phrases qui résument tout (ce qui serait dommage), ça ne pose pas de problème particulier au Tigre. Je pense à n’importe quel San-Antonio, à force le lecteur connaît suffisamment bien le personnage pour accepter une remarque (souvent in petto) du narrateur pour illustrer la couverture. Du style « Vous connaissez ma devise ? C’est la même que les Kennedy : ne jamais se laisser abattre ! » (c’est en plus l’incipit des Vacances de Bérurier).
L’attention whoreur. Regarde moi, regarde moi !
L’auteur est plus ou moins connu, toutefois un certain malaise vous envahit en parcourant la couverture. C’est trop flashy, les points d’exclamation vous font mal à la tête, ou alors le quatrième de couv’ est trop long. Comme si le gus était une valeur sûre et que ce quatrième de couv’ n’est qu’une formalité. C’est louche, vous avez du mal à décoller les yeux de cette couverture.
A moins que ce soit la présentation de l’auteur qui vous paraisse trop insistante. Notamment rappeler à quel point notre plus si jeune ami est génial et qu’il a eu tant de succès avec un autre titre. Attirer l’attention du lecteur potentiel en rappelant les glorieux mais anciens écrits de l’écrivain, c’est un peu comme si un vieux gigolo décrépi que même Michou ne choperait pas vous ressassait la période où toutes les femmes étaient folles de son corps. Triste et dérangeant.
Ou alors est-ce quelques remarques finales qui n’ont rien à foutre sur le dos du bouquin ? Ça, c’est la partie suivante.
Le priseur. Il a remporté, avec sa bouse, la troisième place des auteurs du Nivernais.
Cette catégorie me défrise profondément dans la mesure où le roman s’inscrit dans une logique de récompenses. C’est l’histoire de la bouteille de rouge qui affiche toutes ses médailles gagnées dans quelques foires du coin : vous pouvez être sûr que ce sera une abominable vinasse qui vous fera aussi sûrement mal à la tête que le dernier Marc Lévy. En outre, imaginez que dans quelques années le prix en question n’existe plus. Il aura belle gueule, votre roman, quand il affichera un truc autant désuet qu’un prix en Francs français.
Tigre est excessif et consent à accepter les prix qui forcent le respect : le Nobel de littérature, oui. Un petit Goncourt (un seul, à part Roman Gary c’est impossible), à la rigueur. Mais celui des lycéens, halte là ! Arrêtez les frais. Quant au prix des lectrices de Elle ou le prix polar SNCF (les jurés n’étaient pas en grève, pour une fois), proscrit. Et si ça démange tant l’éditeur, il y a de la place dans la préface. Basta. De même, les bons mots des journaux ou critiques littéraires (sauf ceux du Tigre évidemment) doivent être dégagés de toute couverture qui se respecte.
Le crétin spoileur. Alors 6ème sens, c’est l’histoire d’un mec déjà mort…
Comme souvent, chez QLTL, on garde le pire pour la fin. Et ici on touche tellement le fond qu’on arrive à des sommets de bêtise (ça vous parle comme expression ?). J’ai nommé le spoil dès la présentation du bouquin, comme si les BO d’Usual Suspect ou de Fight Club (tiré d’un roman, rappelons-le) apprenaient au spectateur que [Attention SPOILS] le narrateur a une personnalité multiple ou que Kaize Söze est l’infirme. Respectivement. Vous imaginez le suicide commercial ?
Deux théories naissent dans mon esprit : soit l’éditeur n’aime pas les lecteurs ou son auteur (qui lui a fait des crasses) et veut nous gâcher un plaisir légitime. Soit le boulot a été confié à un stagiaire qui n’a pas su où s’arrêter. Et le maître de stage a connement validé, car il n’a pas lu le roman. Mon cœur balance.
Quant aux exemples, je suis dans la panade : j’ai beau retourner mes bouquins dans tous les sens, impossible de retrouver celui qui m’avait fait enrager à la puissance de mille soleils. Mais je sais qu’il existe ! Edit : je l’ai trouvé, c’est l’édition Gallimard de Monstres invisibles. Sinon, la version poche de Nano, de Peter F. Hamilton, qui en dit un peu trop à mon goût. Toute aide est la bienvenue. Oui, QLTL est parfois collaboratif (piètre choix de mot quand il s’agit de dénoncer).
Conclusion en première couverture
C’est plus fort que Tigre, quand je m’apprête à être sérieux je raconte très vite des conneries. Aussi je vais tâcher de terminer sur une note d’un niveau culturel qui devrait vous laisser un correct souvenir de ce Sutra.
Le numéro de ce billet, vous vous en doutez, n’a pas été choisi pour rien. #07 car c’est en 1907 que serait apparu, pour la première fois, le fameux 4ème. En fait je me suis basé sur la version anglaise d’un site très connu qui raconte que le blurb est d’un certain Gelett Burgess, humoriste qui a eu l’idée de pondre ce terme. Merci Gelett, tu m’as fait perdre deux heures.