VO : Medianera. Encore une bonne surprise de l’éditeur Asphalte, avec une œuvre mystérieuse et sombre où règnent la violence et le fantastique. Une poignée de textes qui peuvent se lire indépendamment, voici l’inquiétant avenir vu par quelques habitants, côté cour. On n’ose imaginer ce qu’il peut se tramer plus loin.
Il était une fois…
Dans un futur pas si lointain, dans un pays d’Amérique latine, une entreprise toute puissante tient sous sa coupe l’intégralité des habitants de plusieurs quartiers. Et il s’en passe de belles dans ce voisinage déjanté. Combats clandestins, histoire d’amour entre prisonnier et geôlière, transformations oniriques qui se produisent près d’une antenne relais, maladies inquiétantes, bref cinq histoires illustrant ce que peut être une cour des miracles.
Critique de Côté cour
Publié en 2011 en Argentine, intelligemment récupéré par les éditions Asphalte, Le Tigre n’a pas vu arriver cet auteur qui m’attendait en embuscade avec un tel titre. Car à part la palette rouge/jaunâtre, la couverture (une sympathique maquette de maisons à l’américaine) et le dos du bouquin ne rendent que peu compte de la violence de Coté cour.
Cinq chapitres d’une petite trentaine de pages chacun, cinq nouvelles qui forment un tout cohérent et terriblement dérangeant. Car l’écrivain sud-américain a produit quelques chose qui est délicat à classer : il y a indubitablement de l’anticipation sociale, avec des péripéties (et un tableau général) qui sont autant de saynètes satiriques. Du fantastique aussi, car les lois de la physique sont maltraitées crescendo par Leandro, ce qui permet de créer d’installer les protagonistes dans des situations qui les dépassent. Et qui dépasse parfois Le Tigre qui n’a rien bité au dernier texte (à part que la fin est belle mais terrible).
Le style est précis, l’écrivain ne s’embarrasse ni de termes ni de tournures de phrases compliquées Ajoutez une traduction d’une qualité indéniable depuis l’espagnol (par Hélène Serrano), pour obtenir deux à trois heures de bonne littérature. Pour ma part, j’ai une solide préférence pour les deuxième partie qui offre un dénouement des plus réjouissant. Hélas le premier chapitre m’a semblé long au démarrage, et le dernier n’a pas la clarté ni la sobriété (beaucoup de personnages que j’ai confondus) attendue.
Fin du fin, encore une fois dans la collection de cet éditeur, le dernier rabat offre la playlist spécialement concoctée par l’auteur. Un répertoire éclectique (rock, folk, new wave) auquel Le Tigre y aurait volontiers rajouté quelques morceaux de Roberto y Gabriela : un groupe américain (Mexique) qui produisait du métal et s’est tourné vers des mélodies envoutantes, et ce seulement avec deux guitares. Écoutez juste Diablo Rojo à l’occasion.
Pour conclure, Le Tigre le recommande chaudement, sur cinq textes au moins deux devraient avoir les faveurs de tout lecteur. Une œuvre profondément pessimiste qui s’attache à montrer, en exagérant bien sûr, le monde contemporain malade de sa modernité.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
Le capitalisme sauvage. Blacha a créé un contexte à la limite du concentrationnaire où l’État n’est plus. Car l’entreprise Phonemark paraît concentrer tous les pouvoirs régaliens : monopole économique extensif, quand Magda régularise son affaire (qui prend auprès de l’entreprise notamment ; ou monopole de la violence, puisque insinuer qu’on va balancer quelqu’un auprès de la firme calme tout de suite la personne visée. Toutefois le plus beau reste le « Plan », qui autorise les habitants à héberger un prisonnier pour mettre du beurre dans les épinards (on en sait plus dans le dernier texte).
Résultat ou énième conséquence, la maladie est omniprésente. Corruption des esprits d’abord lorsque Elmer et sa femme organisent, sans vergogne, des combats inhumains. Ou Lidia qui vend des places (quitte à déranger ses jeunes enfants) chez elle afin d’admirer les incontrôlables transformations d’essence presque divines. Alors que dire du protagoniste de la dernière histoire, qui n’a plus le droit de se voir dans un miroir ? Beaucoup de questions, des réponses qu’on ne souhaiterais pas connaître.
Putréfaction des corps enfin, ça m’a fait plus d’une fois penser à 1984 d’Orwell. Et là l’auteur distille quelques éléments inquiétants : les femmes qui cachent leurs calvities sous des foulards, la couleur verdâtre de leurs peaux, etc. Et puis il sort l’artillerie, avec le docteur Braille et ses expériences « humanistes » avec une Clara qui n’est pas sans ressembler à un vampire. Les gens, souvent maladifs, semblent l’être à cause des émissions de l’antenne relais. La boucle est bouclée.
…à rapprocher de :
– Berazachussetts est à éviter. Point barre.
– Chez le même éditeur, Le Tigre a adoré Block Party, de Richard Milward. De la vraie anticipation sociale comme j’aime en lire.
– Toujours dans le noble genre de l’anticipation sociale, Chuck Palahniuk avec Peste a fait plus long (et meilleur au passage) : une maladie terrible, un monde coupé en deux, une aventure passionnante.
– La putréfaction des corps, c’est aussi Sales Bêtes !, des Artistes fous.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman via Amazon ici.
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