Avec ce temps à ne pas foutre un félin dehors, j’ai moins de motivation pour lire. Je profite donc de la sixième saison de la radio des blogueurs pour sortir de ma baignoire, où j’étais recroquevillé au milieu de glaçons, pour vous entretenir de musique. Et pas n’importe laquelle, puisque je sors l’electro hollandaise qui tâche (puisque je me fais dessus dès que j’en écoute).
Legowelt, ou l’assemblage de briques sonores
Je suis désolé de sortir ainsi de mes compétences d’attribution, mais il faut savoir qu’au tout début j’avais hésité entre le blog de musique et celui de littérature. Ouais, je suis artistiquement polysensible. Du style à m’extasier au sujet de la BO d’un film pornographique tout en regrettant certaines failles (sic) dans le scénario. Étant donné qu’uploader les milliers de tracks que j’apprécie était légalement risqué, je me suis cantonné aux bouquins – sans compter les responsables com’ des maisons d’édition, nettement plus mignonnes que celles des labels indépendants. Pour ce premier billet musical, je vous propose un de mes titres préférés :
Puisque j’adore écrire, si ça vous dit je vais raconter ce que ce truc m’évoque (ça ne prendra pas plus long qu’à écouter le morceau).
L’artiste, tout d’abord. Legowelt, contrairement à ce qu’on pourrait penser, ne vient pas du Danemark…presque, puisque Danny Wolfers est hollandais – La Haye, pour être précis. J’ai découvert ce gars par hasard lors d’un live de Felix da Housecat (techno à la sauce Chicago), et me suis aperçu avoir déjà écouté ses productions sous le nom des Chicago Shags – encore une référence à la techno nord-américaine des années 80, dont il s’inspire largement.
Le problème avec Legowelt, c’est qu’il utilise autant d’alias et de pseudos que Marc Levy de nègres littéraires (dont votre serviteur, exemple ici). Toutefois, ça colle bien à cet individu touche-à-tout et multi-casquettes que j’imagine volontiers bûchant comme un moine dans une pièce aménagée avec une bonne dose d’orgues et de tables de mixage laissant à peine la place à quelques écrans plats.
Ici, Danny W. s’est associé avec Orgue Electronique, un de ses compatriotes dont je ne sais pas grand-chose. Je vous avoue que je vis très bien cette ignorance. Ce qui me fait penser à un autre souci : quand deux artistes electro pondent un morceau ensemble, ils laissent souvent de côté leur ego (à moins qu’ils se foutent sur la gueule pour savoir qui sera crédité en premier) et créent un nouveau nom pour présenter leur travail même si ce dernier consite en un seul E.P. Par exemple, Legowelt + Luke Eargoggle = Catnip ; Vitalic + Linda Lamb = The Silures ; Roch Voisine + Marc Dutroux = Jean-Luc Lahaye, etc. Ces personnes sont tellement balancées qu’elles ont même plusieurs pseudos pour une même collaboration, je ne vous raconte pas les suées du clampin qui aime classer méthodiquement sa bibliothèque numérique par nom d’artiste (devinez de qui je parle…).
Quant au son à proprement parler, ces quelques minutes sont un concentré de la structure « classique » d’un morceau d’electro. Certains pourraient trouver la musique trop basique et répétitive, toutefois avec un tel nom de scène on ne peut guère prétendre ne pas avoir été prévenu. L’univers Lego®, ce sont des briques de tailles différentes qu’on assemble au petit bonheur la chance. Lorsque beaucoup de gamins suivent la notice et jouent sagement avec des constructions imposées, il en est d’autres qui mélangent les boîtes et bâtissent selon leurs envies. Notre ami hollandais est de cette dernière race : il s’amuse en bidouillant, et parfois ça se laisse écouter.
Puisque vous n’ignorez pas que Le Tigre est un DJ doublé d’un docteur en musicologie, vous me pardonnerez les descriptions qui suivent. Si l’électro vous fait autant d’effet que le championnat du monde de curling, passez à la dernière partie.
Architecture de la musique électronique
1. La version que j’ai ici choisie fait environ 3 minutes trente, ce qui correspond à un « radio edit », bref un truc qui pourrait passer sur Nostalgie d’ici 2050. Dans ma biblio, je n’ai le « club mix » (à moins que ce ne soit l’extended) qui dure environ 8 minutes, ce qui me permet de mixer dans les boîtes hardteks tendance satanistes de Sumatra sans devoir créer des loops – afin d’allonger artificiellement le morceau et jouer sur les variations.
2. Vous noterez ensuite un tempo correctement soutenu (mon pifomètre m’indique environ 150 BPM), qui tend presque vers de la techno – ce qui ne se ressent guère grâce à l’absence de percussions trop violentes. Le mélange de kicks et cymbales n’est d’ailleurs pas sans rappeler le bruit d’un canasson au galop, d’où la chevauchée fantastique qui est sur le point d’avoir lieu.
3. Quant au rythme, la longueur du morcif fait qu’on a 4 mesures avant l’ajout d’un nouveau son ou d’une nouvelle percussion (certains diront 8, mais vu la rapidité du tempo j’y crois moyen). C’est propre et net, comme un écrivain à la c(Noth)omb qui sort un nouveau roman tous les quatre trimestres. Ou, pour reprendre la métaphore du chiard qui joue avec ses briques en plastique, une étape au montage est franchie tous les quatre temps.
4. Le rapport avec les Legos est loin d’être anodin, imaginez le gosse dans sa chambre. D’abord, le plancher de soutènement à base de percussions. Puis la structure qu’on pressent, à savoir les six petites notes qui posent une certaine idée du devenir de la mélodie. Ensuite, l’habillage. Soit l’orgue n°1, grave et inquiétant, rejoint par la ligne précédente. Les différentes couches se mettent tranquillement en place, jusqu’à ce qu’on arrive au core track : dès 1min25sec, l’accord qui structure le morceau est lâché au synthé, avec une variation (30 secondes plus tard) un octave plus bas. Le jouet est achevé. Au bout de 2 minutes, l’intégralité des instruments et ce que Legowelt en fait ont été livrés. Vous pouvez donc vous coucher, ou passer à une autre boîte.
5. L’intérêt des musiques électroniques repose également dans ce qu’on appelle « l’outro ». La façon dont l’artiste fait redescendre son mix est importante, sauf qu’en moins de cinq minutes ce n’est ici guère possible. D’habitude, l’outro consiste en un désistement progressif des instruments vers quelque chose d’épuré, et au mieux différent de l’intro. Pas ici hélas, à peine si l’arrêt semble brusque – voire frustrant.
En conclusion, j’estime que Legowelt et Orgue Electronique ne se foutent ici pas trop de notre gueule. Mélodie facilement reconnaissable, percussions qui ne provoquent pas tout de suite de saignements d’oreille, évolution attendue sans crise cardiaque à la clé, bref c’est l’équivalent du cinq-à-sept de papa et maman qui ont envie de ne pas décevoir leur partenaire pendant que leur progéniture est occupée avec leurs playmobil.
Who is riding the tiger ?
Mais ce timbre unique n’est rien sans un titre qui, vous vous en doutez, éveille en moi des sommets de félicité. Dès qu’il est question d’un tigre, j’achète. Au surplus, ayant la royale flemme de contacter Wolfers, mon implacable imagination a pris le relais pour donner une signification à ce fameux tigre que quelqu’un riderait. C’est parti pour la fusion musique/littérature :
J’ai récemment découvert que « He who rides the tiger » est le second album (sorti en 1980) de Bernie Taupin, fidèle collaborateur d’Elton John. Si j’adoooore Elton John, en revanche cet album ne m’a pas réellement transporté. Toutefois, les premier et dernier morceaux sont passables, et leurs titres renvoient à des sujets qui me parlent : « Monkey on my back » pour l’aspect hypnotisant du morceau (presque de la drogue) et « The Whores Of Paris », qui est une description relativement honnête de votre serviteur faisant la tournée des éditeurs pour réclamer les fameux services presse.
Si vous avez une idée de la fréquence des rails de coke que s’enfilait Sir Elton J. au plus fort de son addiction (la même avec laquelle vous jetez un œil sur votre smartphone), je ne serais qu’à moitié surpris du nombre de références aux stupéfiants qu’il y a dans cet album.
« He Who Rides A Tiger » est également un film sorti dans les années 60. Ne me demandez pas pourquoi je l’ai téléchargé (surtout que je me suis gravement fait chier), je l’ai uniquement regardé parce que Judi Dench y joue. Étant donné que j’adore les James Bond (j’en parle ici) et qu’elle incarne M à de nombreuses reprises, j’y ai vu un signe de qualité. Funeste erreur. Tout ça pour dire que ce film s’inspire de l’œuvre de Peter Scott, cambrioleur anglais de talent qui a sévi dans la seconde moitié du XXème siècle. Scott était connu pour avoir volé pas mal de personnalités (dont le Shah d’Iran, encore une référence aux félins !) et la manière de se fondre dans son environnement. Une sorte de ninja de société avec une démarche féline, un peu comme le tenancier du présent blog – sauf que je ne vole que sporadiquement les grandes surfaces (en lien).
Celui qui chevauche le tigre…
Enfin, le titre est la première partie d’un proverbe que, pour les besoins du blog, j’attribuerai aux Hindous (ça fait tout de suite plus sérieux). Hélas, on m’a susurré dans ces contrées plusieurs suites à cette phrase, franchement je ne savais plus qui croire. Parce que j’aime faire court, voici les trois versions qui reviennent le plus souvent (du moins crédible au plus intelligent). Celui qui chevauche le tigre…
…prendra un panard considérable. C’est ce que ces dames me disent toutes. Pour votre parfaite information, « tigre » se dit « vyaaghra » en sanscrit (je l’ai appris ici). Deal with it.
…n’est pas prêt d’en redescendre. Je leur promettais cela aussi. Mais mes intentions d’une pureté encore inégalée furent trop souvent mal comprises. Plus sérieusement, le rapport à la drogue est évident. Si « chevaucher le dragon » fait référence à l’utilisation de l’héroïne, laquelle propulse le consommateur on ne sait dans quelle zone, prendre le transport tigresque fait traverser la jungle dans la peau du super-prédateur. Nulle envolée planante, mais une vie en accéléré à se sentir supérieur à ses contemporains, tel un cocaïnomane ou un pauvre type sous méthamphétamines. Sauf que se foutre en amazone sur un félin n’est pas tenable à terme, soit vous tombez en plein voyage (il y a de grandes chances que vous vous fracassiez la gueule au passage), soit l’animal s’énerve et finit par vous bouffer.
… a peur d’en descendre : ici, point de vision pessimiste à base de substances illicites. Plutôt le sage conseil de ne pas descendre du train en marche et laisser les choses se tasser. Parce qu’une situation à dos de tigre peut difficilement empirer, autant attendre que le bestiau se fatigue avant de quitter le navire. Et, figurez-vous, le procrastinateur doublé du têtu que je suis adhère pleinement à ce proverbe. Le Tigre est du genre à laisser pourrir une situation, autant par légitime flemmardise que par curiosité – jusqu’où ça peut empirer ?
Par exemple, j’adore tester les limites de date limite de consommation de ce qu’il y a dans mon frigo. Puis j’invite des amis sur le thème « cuisine expérimentale » et mélange tout le bordel dans un wok avec une dose suffisante d’épices pour cacher le rance fumet. Ne vous inquiétez pas, je leur laisse un rouleau de PQ comme cadeau de départ. Ou quand mon chat avale le gaz de mon briquet par erreur et court en miaulant à la mort dans mon salon, je le laisse faire en me disant qu’il arrêtera dès qu’il n’aura plus d’essence.
Et merde, presque déjà 2.000 mots. Me suis encore emporté. Je termine en insistant sur le fait qu’il est difficile de trouver meilleur titre à ce morceau : impossible de ne pas l’écouter jusqu’au bout, et ça me file un phénoménal coup de fouet. Aussi je vous conseille de le programmer en tant que réveil – surtout si vous n’aimez pas, ça vous obligera à vous lever pour arrêter le massacre.
Conformément aux règles du jeu de la radio des blogueurs, je file le relais à Mais Où Va le Web (indice : il ne le sait pas non plus) et Bruce Lit (faut pas se fier au jeu de mots). Bonne chance à eux, parce qu’après le choix d’un artiste underground braillant en flamand et mon enculage de mouches en technicolor, ils vont peiner pour faire pire.
Sur ce, je vous quitte. Ai des bandes dessinées érotiques à résumer. Bisous.
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Merci pour le clin d’oeil , défi relevé !
Salut Tigre, en voilà une idée qu’elle est bonne. Le proverbe est d’origine chinoise en fait , mais bon ça reste sur le même continent , alors ce n’est pas très grave.
Merci ! Je sais pour la Chine, mais l’Inde ça fait plus sérieux ^^
J’avais oublié de mettre ce titre dans ma playlist Running ! Avec ça je cours 2 marathons d’affilé ! 🙂
Comme si un tigre te poursuivait!
Ça valait le coup ne serai ce que pour connaitre toute les variantes du proverbe.
Bref un bien beau billet.
Je m’empresserai de le mettre en ligne dans le player de la radio.