Le Tigre ne parlera pas d’une organisation secrète que je rejoins tous les mardis soir en vue de traiter de mon problème d’addiction à la rédaction de billets aussi instructifs qu’hilarants. D’ailleurs je n’ai pas eu de réponses de quelques auteurs « populaires » à qui j’ai donné des invitations. Je m’apprête ici à comprendre le pourquoi de l’anonymat littéraire.
Qui est un auteur anonyme ?
Comme souvent Le Tigre va poser quelques bases de définition, que vous soyez d’accord ou non. D’emblée je prends le terme « écrivain » dans ce qu’il peut avoir de plus extensif. Roman de gare, bandes dessinées pornos mal illustrées et dépourvues de scénario, recueil des bons mots de Nadine Morano (un bottin j’imagine), il y a un auteur derrière qui a un tant soit peu buché !
« Anonymat » vient du grec (dès qu’il y a un « Y » vous vous ne tromperez que rarement) et signifie « sans nom ». En fait, le dico précise « dont on ignore le nom ». Nom réel, ai-je envie d’ajouter. Et il ne faut pas confondre avec le pseudonymat, qui à mon sens indique une séparation des activités. L’auteur anonyme peut certes utiliser un nom d’emprunt, toutefois il sera l’unique à le savoir. Vous l’aurez compris, Le Tigre parle du parfait planqué.
Et comment fait notre inconnu pour rester anonyme ? Hors sujet. J’en parlerai sans doute un autre jour.
Décider de ne pas révéler son nom ?
Tigre a décelé une petite dizaine de raisons de l’anonymat, plus ou moins valables néanmoins. N’y voyez aucun ordre de préférence ni d’importance (sauf le petit dernier). Cependant, conformément à ma propension à classer et faire tout « carré », je me suis permis de pondre quatre parties abordant chacune un modèle de comportement :
I. Le timide
1/ Le timide maladif tendance agoraphobe. Je ne pense pas devoir vous fournir ici plus d’explications. Un moine cloîtré dans son espace de créativité, un homme simple qui ne supporterait pas qu’on parle de lui, que les filles soient nues, qu’elles se jettent sur lui, qu’elles l’admirent, qu’elles le tuent, qu’elles s’arrachent sa [bip]…
2/ Mais il est des explications qui sont nettement moins nobles. Par exemple, le timide vis-à-vis du service des impôts. Le genre qui envoie ses manuscrits depuis l’Argentine, prélève son courrier via une boîte aux lettres sise à Genève et récolte ses droits d’auteurs directement sur un compte domicilié à Singapour. Un anonymous intéressé qui a rapidement pesé le pour et le contre avant de conclure que renommée ne pèse pas autant que ceinture dorée.
II. Le cachotier
3/ Le petit cachotier est différent du timide dans la mesure où il pourrait parfaitement assumer son statut d’écrivain reconnu, les foudres de la nature ne s’abattront pas sur lui. Sauf qu’il préfère se planquer pour mieux satisfaire son égo. Y’en a qui aiment faire l’amour, d’autres préfèrent avant tout regarder leurs congénères s’y adonner. Même topo pour le gus qui n’en peut plus de mouiller à force d’entendre parler de son travail, un petit sourire en coin. Fin du fin, repérer des conversations ou articles où on se demande qui peut bien être ce John Smith semble lui procurer de réguliers orgasmes. Il y a des gens comme ça. Le Tigre en fait presque parti.
4/ Toutefois, furieusement donner dans le secret peut être justifié. Je l’appelle le « cachotier altruiste ». Le personnage public qui pour ne pas placer ses proches dans une position qu’il imagine indélicate souhaite écrire sous un nom d’emprunt. Car il ne veut pas que sa femme, ses enfants, ses amis aient à pâtir de cette célébrité qui rejaillirait forcément autour de lui aussi sûrement qu’un geyser islandais arrose les touristes aux alentours. Le Batman littéraire en quelque sorte. Sans Alfred, personne ne sait qui est derrière la plume. Peut-être l’a-t-il avoué en dormant à sa maîtresse, mais elle ne n’en souvient pas.
III. Le dangereux
5/ Le premier type est celui qui a tout simplement peur des représailles si son identité venait à être révélée. Le repenti, l’ancien gangster qui balance à tout-va, le journaleux qui décide de dire qui couche avec qui (ce serait un joyeux bordel), l’adversaire politique dans un pays peu démocratique, en considérant ces cas l’anonymat ne choque pas Le Tigre. Moins dramatique, c’est aussi l’histoire d’une personne travaillant dans un service où il est d’usage de ne rien foutre (La brigade des feuilles des Chevaliers du Fiel en pire) et qui sort un essai sur son expérience. Et qui se fait démasquer. Suspendre. Muter.
6/ Le second est plus inquiétant. En effet, ce qu’il est décrit dans ses bouquins est souvent trop horrible et précis, et pour une fois le lecteur est très content de ne pas savoir qui est derrière cette écriture. Membre d’une Mara ultraviolente, flic à la retraite, psychopathe qui tape sur sa machine à écrire depuis le couloir de la mort ? On ne tient pas à le savoir, publier incognito évite de rajouter au malaise d’avoir terminé son œuvre. Le Tigre pense en premier lieu à Boston Teran et son Satan dans le désert, qui m’a fait profondément douter de la nature humaine. Quelle imagination malsaine, il y a forcément une part de réalité.
IV. Le complexé
7/ Pour une raison ou une autre, l’écrivain n’a pas envie de montrer sa bobine qu’il juge fort sévèrement. Un accident de voiture qui l’a défiguré ; un excès de musculation ; un corps ravagé par les drogues ; une mère qui a un peu trop levé le coude pendant la grossesse, bref notre ami est plutôt mal à l’aise avec son physique. Et pense (souvent à tort) qu’il faut mieux laisser au lecteur la vision de la couverture de ses titres qu’un souvenir de Quasimodo. Alors que souvent une « gueule » serait remarquée et doterait l’auteur d’un petit plus qui serait fort sympathique.
8/ Après la honte physique, la honte stylistique. Comme un prof de droit du Tigre qui écrivait des romans érotiques sous un autre nom (je n’oublierai jamais sa tête lorsque je lui ai demandé de m’en dédicacer un). En fait notre bonhomme sait pertinemment qu’il publie de la merde préformatée et ne souhaite pas attirer sur son vrai nom les incantations de malédiction des lecteurs exigeants. Il n’assume pas, contrairement à certains écrivains à succès dont la coïncidence entre publication de leurs daubes et tiers payant qui s’abat sur le contribuable frappe toujours Le Tigre.
A titre d’exemple final, Le Tigre a mille théories concernant Musso ou Lévy. L’une d’elle est qu’un illustre écrivain, n’osant pas avouer qu’il écrit de telles horreurs, a payé un homme de paille qui récoltera les infâmes lauriers. Un acteur qui a, de préférence, une bonne bouille (s’il n’est pas rasé, c’est encore mieux) et va faire les séances de dédicaces à sa place. Tout cela moyennant un pourcentage sur les ventes. Rigolez, mais dans 100 ans le « contrat de partenariat » sera mis en lumière, et là Le Tigre passera pour un Nostradamus livresque admiré de tous.
Conclusion qui ne dit pas son nom
Il est sûrement d’autres justifications à l’anonymat, mais à bien réfléchir je suis sûr qu’en forçant bien on peut toutes les faire entrer dans les cases du présent Sutra. Peu de liens vers des auteurs, Le Tigre ne préfère pas se faire si vite des ennemis. Même si dans les chapitres 2, 5 et 7 ce fut plus que tentant.
Enfin, il arrive parfois que le numéro de cet article ait un rapport avec le sujet traité. Le Tigre aime utiliser le verbe « pondre » au lieu de « écrire ». Ou accoucher. Maman-tigre, écrivain, même combat. Ils m’ont nourri.
Or, le célèbre adage Mater semper certa (l’identité de la mère est toujours certaine) était incontestable jusqu’à la fécondation in vitro. A partir de 1978 en France, mère naturelle et mère génétique n’étaient pas forcément la même personne. Et on rejoint la théorie de la dernière partie sur les écrivains du dimanche…