Les vacances du félin ne sont guère reposantes. A cause d’une correcte poignée d’individus collée à leurs smartphones et au wifi du lobby, me voilà contraint de les interroger afin de saisir leurs plus intimes motivations. Après les trois premières curiosités (en lien), voilà les trois derniers personnages que le hasard a réuni sur le modeste blog.
Cas n°4 v.1.01 : Francesca et Stefano, le couple le plus attachiant de l’année
Il grand temps de vous introduire le plus clivant : Stefano et Francesca.
Non mais regardez-moi ces tourtereaux ayant déjà un pied dans la tombe. Contemplez l’état total d’avachissement de deux mollusques déjà éreintés par la vie et dont les yeux ne brillent que lorsque les icônes de leurs réseaux sociaux s’allument sur leurs téléphones de facture coréenne. Un regard, cinq secondes, et mon cerveau décelait déjà le prompteur narrant leur terrible histoire.
Stefano et Francesca sont du même village, et dès leurs seize ans leur intangible destin s’imposait : ils se marieront – en même temps, et s’agissant de bourgades perdues dans les hauteurs de la campagne sicilienne, le généticien local ne leur a pas vraiment laissé le choix. Intelligemment, ils ont laissé filer le temps avant de se mettre ensemble. Pendant quatre années, chacun a poursuivi ses études dans des villes éloignées. Quatre années à parfaire leur expérience amoureuse pour finalement se rendre compte que rien ne les séparerait.
A vingt ans, retrouvailles émues puis officialisation de leurs relations. Pas encore de mariage, au grand dam de leur famille et malgré cinq années de vie commune. Francesca n’est pas pressée, et Stefano n’a pas encore une situation assez stable selon les canons de sa région. Cinq ans, et déjà plus rien à se dire. Des heures passées dans le lobby à grapiller quelque chose sur le vaste web, peu importe ce dont il s’agit, ce sera toujours plus intéressant qu’écouter son compagnon. A leur décharge, le couple n’a rien de réellement bandant.
D’une part, Francesca n’est définitivement pas vraiment mon genre. Assez grande il est vrai, une paire de seins qui siérait mieux à un hôtel deux étoiles, hélas Fra-fra dégage une odeur de fadasserie achevée et renforcée par des formes plus flasques – la frontière entre le pulpeux et le flasque tient à l’activité physique sous-jacente de la personne. Cela n’aurait pas été dérangeant si derrière ce physique ordinaire une lueur de vie émanait de ses yeux. Que nenni, aucune étincelle de malice, seulement la résilience due à la connaissance d’un parcours trop balisé.
Quant à Stefano, il ne fait rien pour arranger la situation. S’il trouve sa Francesca davantage terne qu’autrefois, Stef’ ne s’imagine pas être responsable de cette catatonie. Les petites attentions du petit déjeuner ? Mécaniques. Les ébats enflammés d’antan ? Disparus. Les conversations et éclats de rires à n’en plus finir, tête contre tête dans le lit ? Passés au stade de la légende. Les cris de plaisir de Francesca ? Poussifs, elle ne fait même plus d’effort pour faire semblant de simuler. Elle refuse même les cuni dont elle raffolait avant. Stefano se sent impuissant et se laisse entraîner dans cette apathie caractéristique des mariages du siècle dernier. Bref, ça sent mauvais pour eux.
Ce couple n’est que tristesse, une publicité ayant mal tournée de jeunes branchés rigolant aux éclats face à l’écran de leurs smartphones. Du moins le pensais-je.
Parce que Grand-père ours, lisant derrière mon dos, a trouvé votre serviteur bien dur avec le jeune couple et m’a enjoint à discuter avec eux. « Au pire tu auras confirmation des conneries que tu écris et pourras même t’improviser conseiller matrimonial, au mieux tu modifieras leur histoire », qu’il m’a dit le vieux réac’. Dont acte :
Cas n°4 v.1.02 : Francesca et Stefano, le couple parfait
Stefano et Francesca se sont connus grâce à une application de rencontre en ligne. Le premier rendez-vous fut comme des dizaines d’autres, un peu gauche avec les questions d’usage (combien de frères ? ton expérience de ce site ? tes positions préférées ? plutôt mer ou montagne ?) et blagues usées jusqu’à la moelle (uh uh on dira à nos gosses qu’on s’est rencontrés dans un club échangiste). Mais le courant est passé.
Au second rencart, les masques sont tombés : ce sont de gentils nerds rarement heureux dans leurs vies amoureuses car ils voulaient toujours trouver mieux. Sauf qu’à un moment il faut savoir s’arrêter et regarder la situation en face : ils n’ont pas le physique de leur intelligence et resteront, pour l’instant, condamnés à regarder les plus beaux/belles baiser entre eux. Plus tard, quand le cerveau et la gentillesse seront à l’honneur, alors ils seront les rois du monde. Plus tard.
Cette courte analyse a payé. Deux ans à peine, et madame s’est installée dans le confortable F3 de Stefano. Pour les deux amoureux, aucun changement notable dans leurs habitudes. Certes Stefano termine moins ses soirées au fast food à côté de chez lui et que Francesca ne rouvre pas une deuxième bouteille de vin dans la même soirée, mais rien de notable ne rend la présence de l’autre insupportable. Ah si : chacun trouve que son compagnon passe un temps inconsidéré les yeux rivés sur son smartphone.
Francesca se défend en parlant de liens à maintenir avec ses amies maintenant qu’elle vit chez son amoureux ; tandis que Stefano se doit de se renseigner sur les dernières sorties de jeux de figurines afin de les faire figurer sur son blog – sacré Stefano qui a transformé son fan-blog d’une célèbre actrice porno tchèque en une insipide galerie photos de figurines warhammer et ce en moins d’un mois…
D’où le deal de toutes leurs vacances. Deux règles. 1/ Deux heures côte à côte pour purger notre addiction au smartphone nous passerons. 2/ Ledit smartphone dans la chambre autrement restera – sauf cas exceptionnel en cas de lointaine balade nécessitant un GPS. Un appel important pourra attendre la soirée. Troisième fois qu’ils appliquent leurs règles, et ça se passe merveilleusement bien. Que des avantages.
Tout d’abord, ils se parlent davantage et sont plus attentifs aux désirs de l’autre. Le réflexe de Stefano consistant à porter la main à sa poche droite s’est mû en cette même main droite se dirigeant, cahin-caha, vers la cuisse de sa compagne – laquelle manque d’amidonner sa culotte. Ensuite, les deux heures pour expédier leurs « obligations sociales » se font collés-serrés, et chacun peut voir ce que l’autre lit et/ou écrit. Confiance absolue.
Enfin, et le meilleur, en regardant le portable de son voisin, une conclusion s’est imposée : ils sont soumis aux mêmes articles, tweets, news, messages, bref les conneries environnantes. Leurs fils d’actualité ne reflète pas ce qui les intéresse, mais ce qui plaît à la populace. Partant de ce constat, Francesca et Stefano sont passés de deux heures de consultation le premier jour à une petite demi-heure au bout de quatre. Ils étaient à dix minutes de wifi quand je les ai importunés, et on a fini notre discussion autour du bar, téléphones éteints au fond de la besace.
Le Michelangelo, centre de désintox’ et temple du renouveau de la libido. Pas moins.
Cas n°5 : Antonio, nihiliste de carnaval
Le Tigre va presque ces vacances, très brièvement, avec celui qui l’énerve le plus : cet ingrat d’Antonio. Quel petit con.
Antonio, qui a bientôt seize ans, tape sa crise d’adolescence. Il répond à sa maman. Il porte du noir. Il n’est plus dans le premier tiers de sa classe. Il écoute des musiques qui heurtent les oreilles les moins habituées à l’electro-sataniste et au retro-wave. Il présente une gueule de cocu. Et, pour ne rien arranger, cette salope d’acné est revenue en force.
Le félin ne sait pas vraiment ce qui se passe dans la tête à Toto, toutefois la désolation est grande de voir ce jeune homme, dont les parents se sont saignés pour payer le présent voyage, rester le cul plombé sur un sofa du lobby. Tout ça pour faire quoi ? Écouter de la musique en streaming (hé hé, son forfait n’est pas à la hauteur de ses prétentions numériques) tout en jetant quelques coups d’œil négligés (et bovins) sur des sites de tifosi. Même pas un regard pour la belle Soraya qui passe et repasse devant lui en roulant tellement du derche qu’on se demande si elle n’écrit pas avec ce dernier son numéro de téléphone (auquel cas, ce serait le 888-88-888).
Qu’Antonio fasse sa crise d’adolescence m’est indifférent. En revanche, qu’il n’en fasse pas une période mémorable me turlupine. Surtout dans un cadre si chèrement payé par ses géniteurs. Heureusement pour moi, Tonio comprend plutôt bien l’anglais et, avec le fauve, n’a pas à le parler sauf pour bredouiller un merci – merci les séries U.S. illégalement téléchargées. Après avoir analysé la situation (un adolescent qui se pourrit les vacances et est décidé à ne pas faire plaisir à ses vieux), Le Tigre est allé secouer les puces du jeune Italien.
Oui, je suis allé le voir en vue de lui enseigner l’art de faire une crise d’adolescence qui se respecte. Celle que je n’ai jamais osée faire. Premièrement, Toto n’a pas encore seize ans, pénalement il peut encore passer au travers les mailles des filets. Le moyen ultime de punir ses parents n’est pas que quelque chose arrive à Antonio, mais que par sa faute ces derniers en chient un max.
Deuxièmement, il pourrait commencer par ce que Le Tigre nomme « les basiques ». La fugue de 10 heures du matin à 22 heures, douze heures à se balader dans les environs prendre l’air, puis rentrer l’air de rien avec l’air réjoui – en excipant de sa batterie de téléphone morte et expliquant s’être perdu. Oublier ledit téléphone dans la chambre des parents, l’alarme à 4 heures prête à gueuler. Télécharger une application de télécommande universelle et zapper la TV de l’hôtel sur un film de seins. Débrancher le wifi (non, c’est trop hardcore pour certains).
Troisièmement, le fauve lui fit part de quelques autres idées prises à la volée. Des trucs un peu plus marrants pourvu qu’il ne se fasse pas stupidement goaler. En vrac : chier dans la piscine (« si ton caca flotte et reste uni Antonio, tu dois faire un vœu ») ; verser du pastis dans le tuyau des douches de dehors ; se branler dans les WC du lobby et juter dans le pot prévu pour se nettoyer les mains (« ta descendance sera potentiellement nombreuse et variée ») ; réaliser un courtois swatting (appeler la police et faire croire qu’une prise d’otages est en cours au Michelangelo) ; cacher des sachets de farine entourés de papier aluminium dans les valises qui attendent à la bagagerie (un pote l’a mal pris, il est fiché S depuis) ; subtiliser des appareils photos numériques le temps de prendre sa bite en photo ; etc.
Puis le féliné a terminé en le provoquant un peu : « Tonio, amico mio, si tu étais un vrai rebelle, si tu voulais réellement attirer l’attention des deux enculés qui se disent être tes parents, si tu avais des couilles en vérité, tu pourrais terminer ses vacances en beauté : prend le bus, arrête toi à la station du port, et balade-toi autour des yachts en demandant à cantonade quand part le prochain bateau pour la Syrie. Imagine ton nom affiché dans les pages « divers » du canard local. Prévoit d’en acheter une centaine d’exemplaires afin de les offrir à tes potes. Tu verras le succès ».
Antonio est hélas rentré dans le rang. Il s’est dégonflé. A croire que la lueur mystique dans mes yeux pendant que je m’entretenais avec lui l’a soigné – en lui montrant qu’il existe des maux plus grands sur cette planète. Même pas capable de foutre la merde dans un hôtel avec panache. Antonio est une déception sur pattes.
Conclusion – cas n°6 : Le Tigre, éternel touriste littéraire
Et les plus de quarante ans ? A part John Paulo, rencontré dans la première partie, impossible de trouver des spécimen de cet âge. Car ils ont tout compris.
Maintenant que votre serviteur a terminé par ces tranches de vie, je vous entends tous ricaner un « et toi cher Tigre ? Toi qui es aussi régulier sur le vaste web, n’a-t-il pas été trop dur d’abandonner tes amis zombies le temps de prendre une photo ? ». Point du tout cher lecteur. Je n’ai rien à voir avec eux. Mais alors strictement rien à voir.
Merde, je me sens obligé de me justifier. Vous faites chier.
Les vacances du Tigre tiennent en deux articles de plus 2.000 mots. Allez, 5.000 en tout. Disons qu’une semaine se décompose en cinq journées de labeur. 1.000 mots par jour, soit une petite heure dès lors que pendant la journée j’avais une idée plus ou moins précise de ce que je vais déblatérer. Quand trouver pareille heure ? Pas au réveil, parce qu’à l’heure du lever je dors. Pas au déjeuner, l’entretien du bronzage tigresque étant en jeu. Ni pendant le quatre heures, occupé que je suis à m’imaginer anulinguer Soraya. Avant le dodo, je suis en général trop beurré pour écrire quelque chose de suffisamment cohérent.
Reste le créneau préféré du félin, le petit 19.30-20.30, la plage horaire de la mise en beauté. Après avoir bien transpiré sur la plage/les pavés, la famille de votre serviteur, un peu après dix-neuf heures, décide de se séparer le temps de se préparer pour le dîner. Pour le félin, ça consiste en une douche de deux minutes et étaler de la crème hydratante sur le corps (plus une crème spéciale piquée à mère-lynx pour le visage) pendant trois minutes. Je n’ai aucune idée de ce que font les autres, mais ça leur prend plus d’une heure.
Une heure pendant laquelle je vous écrits présentement, l’air fiévreux. Je ne m’arrête que toutes les douze minutes pour prendre une gorgée de cocktail. Et, dès que la famille du félin est dispos et pomponnée, je m’octroie à peine deux minutes de rab pour terminer mon chapitre. Et le laisse en l’état. 1.000 mots prêts à être publiés par jour.
J’en prends pour preuve ultime l’état déplorable de ce billet. Pondu d’un presque seul jet avec comme moteurs l’envie d’en finir et l’imagination du barman, inutile de vous préciser que le texte fut autant relu et corrigé que les épreuves de la dernière bouse de Bernard Henri-Léger.
« Tonio, mi amicii »… J’ai les yeux qui saignent.
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