Leshan. 乐山市, ce qui signifie (sauf erreur de ma part) « Montagne Joyeuse ». A quelques dizaines de kilomètres au sud de Chengdu se trouve une charmante ville où trône une somptueuse sculpture inscrire au patrimoine de l’UNESCO. Mais avant de parler de ce monument, il fallait au Tigre se rendre dans la ville. Et tenter d’y dormir. Voici la première partie d’un diptyque qui vous emmènera vers un Bouddha pas comme les autres.
Pourquoi partir à Leshan ?
Tout commença par un mercredi matin à Chengdu – pour savoir ce que je foutais là-bas, les explications sont en lien. J’étais en train d’instruire le bon peuple chinois sur la délicate mais néanmoins tortueuse notion de genre féminin/masculin lorsqu’à la fin du cours de 11 heures mes élèves me claironnèrent un joyeux « Ming Tian ! ». Normalement, on dit Zaï Tian pour gazouiller un « à bientôt ». Là, le Ming renvoie au lendemain. A peine eus-je le temps de réclamer des explications qu’un prof cherchait mes chères têtes blondes et m’annonçait qu’on allait leur apprendre à nager toute l’après-midi – certains Asiatiques et la nage, ça mérite un billet croyez-moi.
Au surplus, ce n’était pas la première fois qu’on piétinait mon emploi du temps en me prévenant, genre, cinq minutes à l’avance. Rien à faire pendant 24 heures au moins (je devais reprendre les cours le jeudi à 14h), qu’est-ce que j’allais bien pouvoir glander ? Je me décidai donc d’une petite promenade dans la ville de Chengdu (au pifomètre bien entendu), quand soudain un énorme terminus de car attira ma féline attention. En temps normal, Le Tigre est excessivement prévoyant (un maniaque de la programmation), mais l’affiche sur un des véhicules me fit un clin d’œil plus qu’appuyé : un gros bouddha en pierre et assis.
Ni une ni deux, je m’enquis au guichet de la distance de cette ville et de l’existence de bus pour repartir pas trop tard le lendemain. Leshan, un peu plus de deux heures de route, une centaine de Yuans à peine l’aller-retour. Je remerciais au passage mon petit cul d’Occidental bordé de nouilles puisqu’il restait de la batterie dans mon ridicule appareil photo de l’époque.
En effet, je préfère vous prévenir que ça va canarder d’un point de vue des photos. C’est parce qu’il y en a plus d’une quinzaine (sur la centaine que j’ai prise) que certaines seront affichées en petit format. Cliquez dessus pour avoir un agrandissement un tant soit peu satisfaisant.
L’arrivée dans la ville
Dans tous transports, le souci est que je n’arrive pas à rester éveillé. Un dormeur tout-terrain. En outre, se lever à 7h pour papoter un galimatias franco-chinois à longueur de journée m’usait salement. J’étais parvenu, dans le car, à me foutre seul en premier rang aux côtés du chauffeur – le seul en principe qui n’essaie pas de taper la discute avec vous, c’est reposant.
Ne tenez donc pas compte de l’image ci-dessus, la prise s’est déclenchée toute seule alors que je pionçais.
S’il fallait reconnaître une qualité dans le plan d’urbanisme des villes chinoises, ce devrait être sans conteste leurs monumentales portes pour vous annoncer que vous entrez dans un lieu de légende. Jugez plutôt :
A partir de là, inutile de vous dire que j’étais sacrément éveillé. Je me voyais déjà parader dans une cité centenaire où chaque coin de rue légitimerait de quoi dépenser une pellicule d’appareil photos. Non mais matez-moi ce soldat qui surveille les murs de la cité ! J’avais l’impression qu’il me souriait, comme un vieux pote qui m’attendait et dont le signe de la main disait « salut poto, ton p’tit séjour va passer crème, crois-en mon expérience ». Les mornes rues du pourtour de Chengdu étaient déjà loin, adieu feux rouges en enfilade avec compte à rebours et grisaille ambiante ! Bienvenue à la cité antique aux milles sculptures ! Et cette rivière qu’on longeait, putain quel pied.
Je m’étais peut-être avancé un peu.
Voire beaucoup.
Avec une déception constante de mon côté, le chauffeur nous mena vers le « nouveau centre » de la ville, c’est-à-dire l’endroit où la gare routière était placée. Pas de train dans le coin, apparemment la station la plus proche n’est pas à côté. L’aspect ville « dortoir » reprit vite le dessus, et avec la pollution ambiante et la nuit tombante je commençais à me demander si je n’allais pas amèrement regretter ce coup de tête.
Quand vous lâchez un Tigre au beau milieu d’un terminus de gare, celui-ci passe un temps conséquent à chercher un plan de la ville en anglais. Puis un plan – tout court. Pendant ce temps, les touristes locaux partaient tout azimut vers les hôtels/gîtes/restos de bonne compagnie. Si bien que, encore une fois, je m’étais retrouvé seul comme un niais avec une carte à la précision plus que douteuse.
Tout ça pour dire que je marchais une bonne heure avant de trouver un semblant de civilisation. La voilà d’ailleurs. Une énième ruelle sombre mais au bout de laquelle je pouvais distinguer…oui, de l’ambiance.
Première (et unique) nuit à Leshan
Dans toute expédition dans des contrées plus ou moins connues, l’Homme européen est à la recherche de trois éléments qui combleront sa pyramide de Mazlov : le confort, le logement et la nourriture – que le premier qui me parle de catins pour le premier élément s’abstienne, ce n’est pas le genre de la maison.
En ce qui me concernait, le temps était clément et je n’étais pas sûr d’avoir assez de biffetons pour assurer un logis décent – un taudis, même. Très honnêtement, pour une soirée, dormir à la belle étoile ne me semblait pas plus problématique que cela. En revanche, question bouffe, j’étais furieusement en demande.
Je ne cherchai même pas à comparer les prix des différentes ruelles ni voir si l’herbe était plus verte ailleurs : je fis le chiffre d’affaires de la journée de Monsieur Jao, dont je savais la fille sensible à mes charmes – à tout bien réfléchir, elle devait surtout se demander ce qu’un tigre pouvait faire ici et à cette heure plutôt.
Ensuite, le ventre en phase de remplissage, je me dirigeais avec assurance vers la rivière locale (Min de son petit nom) où trouver un endroit pour pioncer me paraissait possible.
Magie des voyages, j’avisais sur le chemin un groupe d’adultes en train de chantonner face à un projecteur qui diffusait des textes que je supputais sacré. Il était 22 heures. Et ça avait duré jusqu’à minuit, j’étais resté gentiment derrière ce petit monde, cinq bières à la main, évitant de ricaner en écoutant une petite vieille qui, au premier rang, mettait énormément de cœur à l’ouvrage.
En vue de mourir un peu moins con, je pris quelques photos de ce qu’il se chantait à ce moment. Pour la petite histoire, je demandais, par la suite, à ma prof’ de Mandarin ce qu’il y avait écrit. Elle m’a fait la gueule pendant une semaine. Si quelqu’un a une idée de la contenance du texte, qu’il n’hésite pas à culturer les lecteurs de ce blog – il en sera infiniment remercié.
Minuit trente passées. Fatigué. Saoul. Couché à même un banc face à la rivière. Doux clapotis des bouteilles de plastique s’entrechoquant au gré des vagues. Accroché à mon sac à dos, je m’endormis. Aucun rêve notable.
Huit heures du matin. Des cris et des ploufs m’empêchèrent de faire la grasse matinée. Je n’étais pas là pour cela non plus. Des gosses se baignaient devant moi, et me voir m’étirer leur arracha des rires supplémentaires. Au loin, je distinguais une pagode, et ce qui pourrait ressembler à la statue dont on m’avait tant parlé. Néanmoins, j’eus surtout la confirmation qu’un salaud mélange de pollution et de brouillard faisait obstacle à toute ébauche de panorama.
En cinq minutes chrono, je me déchaussai, me débarbouillai dans la rivière Min à côté d’un nouvel ami et fit ma toilette de chat, à savoir visage, aisselles et pieds (rétrospectivement, j’aurais été plus inspiré d’acheter de l’eau). Dix minutes plus tard, j’engouffrai cent grammes de pastèque, trois moon cakes, un légume non-identifié et but un litre de lait au soja. Puis direction le fameux temple – pas difficile, suffisait de longer la rivière.
En quête d’un monumental Bouddha…ou le Parc oriental bouddhiste
Après avoir acquitté son dû au guichet, voici à quoi ressemblait la zone après l’entrée dans le complexe. Il s’agit du « Oriental Buddhist Park ». Le touriste de base un peu léger d’esprit aura envie de cavaler les marches, prendre à droite et filer à travers le sentier de randonnée pour atteindre la master piece. Erreur, le parc regorge de petites cavernes/grottes qui valent le coup d’œil. Néanmoins, comme le peu d’individus présents ne parlaient que Mandarin, je ne compris le tiers du centième de ce que, culturellement, il fallait retenir. On fera donc sans.
Voici un exemple de renfoncement agrémenté de hauts reliefs qui, pour l’époque (plus de 1.000 ans), restent magnifiquement conservés. Pour ma part, après plus d’un an en Asie je ne m’étais jamais lassé des représentations bouddhistes. Mieux, celles-ci me faisaient un peu plus bandouiller que les trucs à barbe qui peuplent les nombreuses églises de France et de Navarre. Ce devait sûrement être la découverte et l’émerveillement constant vs. l’habitude de l’iconographie européenne, toutefois j’ai toujours eu un petit quelque chose au fond de moi qui me disait que j’étais dans un endroit excessivement bienveillant. Et attendez de voir ce qu’on peut trouver à l’intérieur :
Aucune restriction quant à l’usage du flash dans la grotte. Leshan : 1 – 0 : Lascaux. Si le Buddha assis me paraissait un poil trop « contemporain » (ça fait pas vraiment période des Royaumes Combattants), j’étais resté scotché par les reliefs gravés derrière celui-ci.
Ce spécimen particulièrement rayonnant aurait pu être un régal des yeux, cependant il n’avait pas été nettoyé depuis fort longtemps – et ce n’était pas le seul hélas. C’est plutôt dommage, j’espérais que notre bien-aimé Nicolas eusse pu visiter, avant moi, cet endroit béni des dieux – et en profiter pour y aller de son nettoyage de la racaille verte. Quoiqu’il en était, je pris la peine d’acheter quelques bâtons d’encens à son intention, et ce pour avoir sa bénédiction quant à la ponctualité des cars pour le retour.
Encore une petite photo prise discrètement, tout flash dehors, avant qu’une horde de touristes ne fasse le chemin depuis leurs hôtels avec eau courante.
Tiens, j’avais failli le louper celui-ci ! Derrière la verdure, quelle discrétion. Au risque de me répéter, ceci paraît représenter le Bouddha rieur tel que vous pouvez en voir dans vos restaurants asiatiques préférés. Les versions qu’on m’avait donné sur cet individu étaient plutôt disparates, je ne savais quoi en penser. Au choix, il s’agit du :
1/ Bouddha rieur, ou Budai, celui qui apporte la richesse et plein d’autres bonnes choses ;
2/ Le Bouddha du futur, celui qui serait à venir lorsque les enseignements du précédent viendraient à disparaître (selon les deux principaux courants du bouddhisme) ; ou
3/ Maitreya, également une Bouddha du futur, mais ici sous les traits particuliers de Milefo, qui est avant tout d’origine chinoise – pour ceux qui se demandent, Milefo ne rit pas parce qu’il est entouré de statuettes laissant croire que ce sont des milf.
C’est bien joli tout ça, mais Leshan est connu pour son monumental Bouddha taillé dans la pierre. Il était grand temps de monter les marches vers cette curiosité.
La suite (et le meilleur) est ici (lien). D’ici là, ne buvez pas dans la rivière Min.
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