Que celui qui n’a jamais assisté à un geyser de restes de repas lors d’un voyage me jette le premier livre. Pour celui qui n’a jamais regretté l’absence de sacs en papier, passe ton chemin, ce billet n’est pas pour toi. Pour les autres, voici comment lire dans n’importe quel transport sans se salir prématurément – de l’avion au rickshaw en passant par la sempiternelle voiture.
Pourquoi est-on malade dans les transports ?
Le Tigre a beau avoir abandonné son doctorat de neurobiologie au bout de deux ans, il a encore de beaux restes pour ne pas passer pour un immonde touriste sur le sujet. [Pour ceux que ça intéresse, le titre de ma thèse était Variance probabiliste de la perte de neurones selon la lecture de Pancol.]
Autant que je me souvienne, la raison de ces épanchements fort désagréables se trouve dans l’oreille interne. Si, chez le chat, cet organe permet de retomber sur ses pattes ou retrouver le chemin de la maison après avoir été abandonné sur une aire d’autoroute, il faut convenir que chez l’Humain, ça fout surtout la merde. Grosso merdo, tout est affaire de décalage entre ce que vous voyez et ce que vous ressentez.
Regardons un peu ce qui se passe dans votre cerveau : d’un côté, vos yeux sont en train de parcourir les lignes d’un bouquin. Le bouquin, comme l’habitacle de la caisse, ne bouge guère. R.A.S., me direz-vous. Pas du tout. Car de l’autre côté, le système vestibulaire (c’est un truc dans l’oreille interne qui ressent les mouvements) crie à votre cerveau que vous êtes dans un lieu qui bouge. Un tournant, un dos d’âne, le choc sur une prothèse de hanche accrochée à une petite vieille, tout ceci n’arrange pas la cohésion des informations reçues par le cerveau.
Curieusement, ces infos discordantes trouvent un écho dans la région du area postrema, celle qui donne comme instructions d’aller démanger. Ah, elle est belle la mécanique du corps humain ! Mais pourquoi bouger dans tous les sens donnerait envie de vomir ? Entre ça et recevoir un coup dans les parties génitales, je n’ai jamais compris pourquoi certaines actions doivent absolument entraîner de tels odoriférants reflux.
Ne vous inquiétez donc pas. Grâce au Tigre, cela ne saurait arriver. Vous serez le nec plus ultra du lecteur, le seul gars dans la région à dévorer ses romans pendant un rallye, bref l’incontestable maître de la lecture tout-terrain.
Comment lire dans la voiture sans dégueuler ?
En première partie, les méthodes des feignasses. En seconde, celle des vrais chefs.
Les solutions de facilité
Comme souvent, la première idée qui vous viendrait à l’esprit est la mauvaise. Puisqu’on est sûr de vomir, pourquoi ne pas tromper Dame Nature en ne mangeant rien avant de partir ? Réfléchissez à la portée de ce non-acte. Pour ma part, je préfère rendre mes pâtes carbonara que de la bile. Vous avez déjà vomi comme un dingue jusqu’à ce qu’il ne reste que ce liquide jaunâtre ? Non seulement ça tue l’estomac, mais en plus vous puerez du bec pendant deux jours. Et je ne parle pas de la couleur, plus chatoyante (donc difficile à cacher) sur le siège de la tutur.
Ensuite, il y a l’option biologique – pour les petits tricheurs médicamentés. Ce sont ceux qui se baladent dans une parapharmacie comme Le Tigre dans une librairie : la bave aux lèvres avec de légitimes pulsions kleptomanes. Ce blog ne tient pas particulièrement à faire de l’ombre à l’incontournable Duval, aussi le félin évoquera deux produits qui produisent leurs petits effets.
Pour ma part, jeune j’utilisais quelques antihistaminiques, voire quelque chose de plus puissant comme la scopolamine. Concernant ce dernier principe actif, allez-y mollo, sinon vous pourriez vous retrouver, à moitié nu, dans une aire d’autoroute, au milieu d’une demie-douzaine de routiers polonais visiblement satisfaits. Dans tous les cas, il existe un risque (hélas non négociable) de sombrer dans un profond sommeil entre deux chapitres. C’est pourquoi doubler ces médocs de caféine, voire d’amphétamines, est vivement recommandé.
En outre, il peut être extrêmement tentant de reporter le risque sur autrui, à savoir se faire lire le roman en bagnole par quelqu’un. Comme un fusible qu’on utiliserait, et si plusieurs personnes consentantes (et suffisamment idiotes) sont d’accord, alors vous pourrez en avoir suffisamment pour tenir le temps du voyage. En ce qui me concerne, on ne peut compter sur les humains pour lire une histoire, je préfère m’en tenir à un livre audio en version numérique.
Oui, le numérique. La technologie offre quelques pistes intéressantes, que les individus de la pire espèce (j’ai nommé les geeks) sauront exploiter afin de contourner la fragilité de leurs estomacs nourris de chips. Je pense tout particulièrement à faire comme dans les avions de combat, à savoir un système permettant de lire le bouquin en mode « affichage tête haute ». Cela peut aller de la rudimentaire liseuse accrochée au dossier de devant, jusqu’à l’affichage luminescent sur le pare brise – si vous avez la chance d’être assis à l’avant.
Enfin, et en plus évolué, le codeur du dimanche pourrait inventer un système connecté au gyroscope de sa tablette : les lignes du roman à lire bougent en même temps et dans les mêmes sens que l’habitacle, diminuant le décalage d’informations reçues par le cerveau – ooohhh…idée de brevet non ?
La méthode du Tigre pour lire en voiture
Ma technique fut peaufinée au fil des années, et je dois vous avouer que ce fut souvent catastrophique niveau résultat.
Premièrement, j’y suis allé avec prudence, c’est-à-dire que je demandais à être assis devant (même dans le bus, je demandais à m’asseoir sur les genoux du conducteur), là où ça bouge nettement moins. Je tenais alors le livre bien haut et regardais régulièrement à l’horizon. Et, lorsque les virages se faisaient insistants, j’abandonnais la lecture pour profiter du paysage. Un peu comme lire en marchant : quinze secondes pour lire une demi-page, autant pour m’en remettre en levant le nez.
Deuxièmement, mes proches se sont aperçus de mon petit manège : Le Tigre, lorsqu’il est à l’avant du véhicule pour dévorer un roman, est un bien piètre interlocuteur – et ne parlons pas de ses talents de copilote, quasiment inexistants. C’est pourquoi on m’a remisé à l’arrière, avec les passagers lambda. Du coup, je faisais en sorte d’être le premier à monter pour me foutre au milieu – et reproduire la première technique. Hélas, avec mon mètre 85 je me suis rapidement fait virer de cette place, réservée à sœur-panthère, bien plus discrète.
Troisièmement, j’ai tenté d’échanger la lecture avec l’horizon en fond par la vue côté fenêtre. Mauvais idée, le décor défile trop rapidement, je me suis senti partir au bout d’une heure à peine. Tâcher de distinguer les mots tout en ayant un défilé de couleurs et de formes en vision périphérique, c’est loin d’être le pied. Néanmoins, je suis parvenu à obtenir, après moult essais, l’ultime position : joue collée contre la vitre, regard vers le sens de la marche. J’ai remarqué que la place à droite offre un confort supplémentaire, car les yeux croiseront majoritairement des paysages assez monotones.
Ne pas avoir mal au bide tout en lisant est une subtile alchimie, et j’en ai tiré trois enseignements :
- Ne pas avoir la tête penchée en avant, donc placer le bouquin à hauteur du visage.
- Être en mesure d’avoir, dans son champ de vision, un paysage en adéquation avec les mouvements de la voiture – ce qui implique un minimum d’objets extérieurs mobiles pour polluer le signal.
- Demander, avec courtoisie, aux passagers de fermer leur gueule.
Conclusion du Thunder Tiger
Voilà, j’espère que vous avez pu piocher une ou deux idées valables – je plaisante, ça m’est égal. N’hésitez pas à me faire part de vos glorieux retours d’expérience et/ou conseils supplémentaires, sachant que je décline (bien naturellement) toute responsabilité quant au destin funeste qui s’abattrait sur le cuir du véhicule.
Quant au numéro du présent Sutra, la réponse se trouve dans la loi. En effet, le port de la ceinture de sécurité est devenue obligatoire à l’avant des véhicules en juillet 1973 – juste avant les vacances, histoire de sauver quelques vies en plus – il a tout de même fallu attendre 1990 pour que cette obligation concerne l’arrière du véhicule.
Ah, il est bien loin le temps où, à huit ans, je pouvais m’asseoir à l’avant, non ceinturé, sautillant comme un cabri dans l’habitacle trop grand pour moi d’une Maserati filant à 220 km/h sur l’autoroute, tout cela sous l’œil bienveillant et tranquille de papa-tigre – tranquille, car il ne risquait pas de prendre une prune.
La voiture étant réservée aux longs voyages autorisés par le droit aux congés payés, elle reste cet espace réduit où je peux assouvir ma soif de domination sur les pauvres âmes qui ont accepté avec inconséquence que je conduise en perdant toute possibilité de fuite. Grande seigneure, j’admets que les passagers lisent sous les hurlements de RTL2 et de la pilote qui vocalise avec conviction faute de sens du rythme, qu’un jouuuuuur, elle ira à New-York avec toi.
Je te jette quoi comme livre ? Je n’ai jamais vomi en voiture en lisant, je pourrais le faire mais ce serait plus dû à un livre de qualité moindre qu’à la voiture.
J’ai déjà vomi en car mais là c’était plus l’alcool que la lecture …
Sinon il y a un truc infaillible pour ne pas rendre son Kiri/Nutella: conduire ! Ok pour lire c’est un peu plus délicat, voire prohibé mais bon avec de l’entrainement ça doit pouvoir le faire !
Ha mais tout un art. Merci pour ces précieux conseils !
Je confesse que je n’ai jamais eu le souci du Tigre face à la lecture en voiture. Au point qu’au bout de huit heures de voyage, ce sont souvent les autres passagers qui sont légèrement nauséeux à me voir ainsi bouquiner tranquillement. Un peu comme ce syndrome des gens qui auraient froid parce que je suis habillé de manière peu isolante à une température qui les incommode.
Par contre, l’image d’illustration me rappelle les méfaits de ma dernière cuite. Le whisky est un ennemi plus redoutable que la lecture à ce titre.
On a tous nos faiblesses.
Tu fais partie de l’élite génétique point concernée par ce problème, à ce titre tu dois te reproduire allègrement afin que l’allèle responsable de cette bénédiction se dissémine parmi la populace au cœur fragile.
Néanmoins, il appert que ta maîtrise du « lubrifiant » social malté menant à la luxure est encore perfectible. Cela appelle un entraînement adéquat. Je peux t’y aider.
Je prends note des remarques avisées du Tigre.