« C’est le Transperceneige aux mille et un wagons. C’est le dernier bastion d’la civilisation ». Apprenez cette maxime par cœur, on va vous la répéter plus que de raison. Après une catastrophe climatique sans précédent, un train immense se meut sur l’immensité gelée de la planète. A l’arrière, la plèbe. A l’avant, les riches et la sacro-sainte machine.
Il était une fois…
Cette intégrale regroupe trois scénarios plus ou moins indépendants de 80 pages environ chacun :
L’échappé (paru en 1984, l’année de naissance tigresque !) : Proloff est un pur queutard – ne vous méprenez pas ! C’est ainsi qu’on appelle ceux en queue de train. Il est « sélectionné » par la belle Adeline pour remonter le convoi afin de rencontrer les huiles. Celles-ci veulent procéder au regroupement de l’arrière du Transperceneige en vue de larguer quelques wagons. Mais le chemin en vase clos est semé de nombreuses embuches.
L’Arpenteur (paru en 1999) et La Traversée (paru en l’an de grâce 2000) sont les deux derniers volumes avec au scénario Benjamin Legrand suite au décès de Jacques Lob. Puig est maqué à Val, la fille du dictateur (Kennel) du Brise-neige, petit frère du Trans’ et roule sur les mêmes rails à quelques lieues derrière. Le héros découvre, grâce à son boulot de sentinelle (il doit sortir de temps à autre), des choses assez dérangeantes. Luttes internes, vaines recherches de vie extérieure ou arrêts fréquents, ça sent le sapin.
Critique du Transperceneige
Bande dessinée majeure des années 80 créée par Jean-Marc Rochette et Jacques Lob, reprise à la fin des années 90 pour deux volumes supplémentaires, Le Tigre a apprécié autant le concept que le rythme du scénar’ – même si ça fait vieillot dans l’ensemble, que ce soit le réchauffement climatique inversé ou l’absence de technologies.
Tout semble avoir commencé par une bombe ou quelque chose pour réparer le climat. Sauf que ça a correctement foiré et la température extérieure est passée à moins 87°. Heureusement que quelques riches individus ont eu l’idée de se préparer une petite place douillette (quelques flashbacks à ce sujet), en l’espèce un train à mille wagons. Une sorte d’arche de Noé en période glaciaire au sein de laquelle le lecteur découvrira, progressivement, les terribles problématiques que le bon peuple ne peut imaginer. Et cela grâce aux aventures de quelques destins d’exception : Proloff, puis Puig, tour à tour marionnettes puis révolutionnaires.
Si l’histoire accuse quelques légères longueurs (sur plus de 270 pages, rien de grave), il faut noter un sérieux travail sur la construction narrative : non seulement le déroulé des péripéties apporte une fluidité agréable, mais les textes sont géniaux. Par exemple, la présentation du train ou de la situation font l’objet de courts versets qui touchent presque à la poésie. Quant aux illustrations de Rochette, le noir et blanc du premier tome est assez rustre par rapport aux autres que j’ai préférés. Visages plus « hallucinés », traits plus lisses et décors désertiques, Tigre a failli frissonner en parcourant ces neigeuses pages.
En conclusion, une expérience de pensée et visuelle que je recommande à tous. Et puis cela fait plaisir de lire une BD qui se termine, logiquement, très mal. Tourner en rond autour de la Terre ne sert à rien, et tenir la populace par des jeux ou des simulations ne suffit pas à constituer une civilisation sur un déclin annoncé. Remplacez le Transperceneige par la planète bleue, et voilà pour le pessimisme.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
Ce que Lob (repris par Legrand) tend avant tout à dénoncer est la connerie de l’être humain capable de reproduire, en période de crise intense, tous les travers de notre belle société. Le capitalisme outrancier en particulier avec une organisation sociale tout pyramidale : les queutards à l’arrière du train, les plus riches devant. Le cloisonnement (portes fermées, gardées) est efficace et passer d’un wagon à l’autre est impossible, donnant de facto une représentation concrète de la paroi de verre empêchant toute ascension sociale. La lutte des classes prend alors la forme d’une volonté de « remonter » de train, tout cela pour aboutir à une machine muette mue par un mouvement perpétuel.
Lorsque tout semble perdu, l’espoir des individus se tourne vers des croyances assez particulières. Quoi de plus normal de vénérer Sainte Mère Loco ou faire allégeance qui à un dictateur, qui à des hommes d’église comme le bon révérend Dickson. En effet, il appert que la locomotive est une entité exigeante à la limite de l’organique, comme une femme qui serait en demande de compagnie. Enfin, certains vont plus loin dans leur foi en délirant sur le fait qu’ils seraient dans un vaisseau spatial, le vide les entourant. Eu égard le dénouement, ne seraient-ils pas, dans une certaine mesure, dans le vrai ?
…à rapprocher de :
– Dans la série apocalypse-qui-nous-transforme-en-bêtes, Tigre pense naturellement aux romans de Ballard, par exemple Le Monde englouti. Voire Ravage, de Néné Barjavel.
– Le film sorti en 2013 est une bouse finie. Visuellement correct, mais les incohérences piquent plus les yeux qu’un blizzard en plein Himalaya.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver cette intégrale en ligne ici.
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