VO : Phantastica. Ouvrage fondateur de la toxicologie moderne, l’essayiste allemand nous a livré, au début du 20ème siècle, un vaste tour d’horizon des stupéfiants – des plus connus à d’autres pratiques ancestrales dont il ne reste quasiment rien. Pour ma part, ceci fut assez chiant à lire, malgré quelques paragraphes fort instructifs
De quoi parle Phantastica, et comment ?
Un petit mot sur l’essayiste, voulez-vous ? Louis, c’est un peu (complètement même) la référence occidentale du début du 20ème siècle en termes de toxicologie. Un pharmacologue curieux et sans a priori capable de mobiliser ses capacités et son savoir autour d’un sujet encore peu abordé, tout en échangeant des mots avec le gros Freud. Et faut avouer que le gus est sacrément curieux, jamais lu un truc aussi documenté où se mêlent considérations biologiques, retours d’expériences d’usagers et rappels sur l’environnement (social, économique et politique) de l’époque.
L’époque. Voilà qui risque d’en faire tousser plus d’un. L’éditeur a beau rappeler que cet essai doit être lu comme un état des connaissances à un certain moment, que sont ici relatées des pratiques ancestrales inconnues de nos jours, le lecteur ne pourra s’empêcher de trouver le temps parfois très long. Pour ma part, sur les 500 pages j’ai dû en lire 300 normalement, le reste en lecture rapide.
Après l’intro de l’éditeur et celle du bon Lewis, l’essai est divisé en chapitres, tous centrés sur un type particulier de stups présents sur cette chère planète. Accrochez-vous parce qu’on fait péter le latin :
Euphorica d’abord, à savoir les narcotiques et excitants qui provoquent une puissante sensation de bien-être (opiacés et tout produit à base de cocaïne) ; ensuite Phantastica (les hallucinogènes « naturels » comme le peyotl ou le cannabis) ; puis Inebriantia (pas difficile de deviner que l’alcool s’y trouve) ; Hypnotica (produits calmants et somnifères) ; enfin vient Excitantia, avec les stimulants (origine végétale) qui excitent sans trop défoncer l’esprit (bétel, kawa, café, tabac, etc.). J’ai préféré ne pas lire le chapitre sur le tabac, je sais que ça m’aurait gravement démoralisé.
Pour chaque produit, Herr Lewin s’attache à évoquer non seulement les effets ou l’historique de l’utilisation de la chose stupéfiante, mais il cite de nombreux témoignages d’utilisateurs et d’observateurs avertis. Ce sont ces derniers passages qui m’ont paru les plus intéressants : en effet, de tels instantanés des pratiques et leurs impacts sont de parfaits indicateurs sur l’état de la médecine (et de la morale) du moment.
En conclusion, un ouvrage souvent aride où se cachent, ici et là, quelques remarques pleines de bons sens et des éléments historiques/géographiques/ethnologiques particulièrement édifiants. La traduction n’est pas parfaite dans certains phrases (maladresses stylistiques à déplorer), en outre je n’ai pas réussi à trouver le nom du traducteur – rassurez-moi : Lewin a bien rédigé son truc en allemand non ?
Ce que Le Tigre a retenu
Les souvenirs de votre serviteur sont quelque peu flous puisque j’ai souvent lu en diagonale des paragraphes entiers. Merde, pour plus de 500 pages je n’allais pas me faire violence quand ça ne passait visiblement pas. Et il y a tant de choses à dire qu’ici sera développé à peine un dixième de ce que je devrais rapporter :
Déjà, parmi les hallucinations du second chapitre, il y a celles provoquées par l’amanite tue-mouche. Et la manière dont les populations du Kamtchaka (les Koryèques) optimisaient la prise de la fausse oronge est à se taper sur les cuisses : apparemment le principe actif part avec les urines (le rein et le foie ne servent à rien dans ce cas), et comme le champi est plutôt rare je vous laisse imaginer ce qu’ils faisaient. Et oui, dès qu’ils se sentaient moins stones, les habitants buvaient alors leur pisse (ou celle de leurs proches) pour continuer à planer. Respect les mecs, encore mieux que la légende de la pisse de chat [oh punaise, j’ai une idée de billet là]. Non mais quand je me représente les gueux quémandant que les riches pissent dans leurs gobelets, bah ici y’a nettement un problème d’addiction.
A l’inverse, il est des substances qui paraissent bien inoffensives, toutefois les excès dont fait montre la populace sont plus qu’inquiétants. En vrac, le fauve pense au Kawa (ou le kanna), dans le Pacifique, qui consiste souvent à préparer des racines d’un arbre. Il en est de même du bétel ou la noix de cola qui tous deux, à la différence du kava, sont considérés comme des excitants et non comme des hallucinogènes. Mais cela n’a aucune importance dans la mesure où ces composants sont utilisés dans un cadre social souvent bien agencé, avec des phases cérémonielles – ça existe comme adjectif ? – (sinon quasiment religieuses) qui font relativiser l’usage de la vinasse dans le catholicisme.
Enfin, chose que Le Tigre supputait, la première (et dernière, quitte à choisir) drogue qui sévit dans ce bas monde est l’alcool. Et c’est sans doute grâce à l’omniprésence des produits sur terre permettant une telle transformation. Les exemples sont légion (éther, liqueur d’Hoffmann – une vraie saloperie -, et même chloroforme !), et il est adorable de voir l’ingéniosité humaine en matière de défonce en général (Lewin parle même de hérissons alcoolisés)…jusqu’à ce que notre Lewin rappelle le bonheur du delirium tremens ou les épaves que laisse certains produits, du genre « On a dû arrêter la production, y’a des clients qui sont devenus aveugles ».
…à rapprocher de :
Concernant les essais sur les drogues, ne vous inquiétez pas j’en ai plein ma besace ! En vrac :
– Lewin cite au début les Confessions d’un mangeur d’opium, de Thomas De Quincey. Faudra que je m’occupe de ça un de ces quatre. Dans un cadre plus contemporain, Accroc au speed (sur les amphétamines), de Mick Farren, est édifiant et mérite d’être lu.
– En littérature, si Junky (Burroughs) et Moi, Christiane F. traitent plutôt de l’héro, y’a Déboire qui parle d’alcoolisme avec une frappante justesse. Allez voir du côté de ces romans, en fin de billet y’a plein d’autres liens qui sont fournis.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver cet essai en ligne ici.
Je suis stupéfaite de constater un oubli majeur en matière d’addiction de la part de ce bon Louis: Le Tigre…
Ping : Mick Farren – Accroc au speed | Quand Le Tigre Lit