Un jeune ouvrier plus ou moins contraint de partager l’intimité de deux personnages atypiques, un métier abrutissant sans début ni fin, une campagne froide traversée par une autoroute qui charrie ses monstres de métal, de la musique jazzy inopportune en ces lieux, bienvenu dans le nord de la France. Écriture sucrée accessible et mal-être persistant sans espoir de rémission, un roman à ne pas lire seul le soir.
Il était une fois…
Parce que son train est en retard pour le ramener à son taf, Fred se voit proposer par un couple de passer la nuit chez eux. Or, Thérèse et Lucien forment un ménage bien particulier. Ils ont hérité de la propriété d’une vieille tante juste à côté de l’autoroute A43, bâtisse d’un autre âge plantée au milieu des champs de betteraves. Fred, qui ne sait dire non, va être l’hôte, malgré lui, de ces deux individus au comportement aussi erratique que secret.
Critique de L’autoroute
Luc Lang n’en est pas à son premier roman, et le fauve a envie de dire que cela se remarque. Car, avec des termes simples (triviaux même), il réussit à créer de toute pièce une certaine ambiance : celle de la misère campagnarde où évoluent des personnages plus riches qu’on pourrait, de prime abord, le penser – surtout Thérèse, qui sous sa jovialité forcée cache un passé à la Zola.
Le narrateur, un saisonnier sans réel but (si ce n’est une carrière avortée de saxophoniste), va progressivement se retrouver happé dans le monde de Thérèse et Lu, eux-mêmes engoncés dans des habits trop grands de châtelains possédant des hectares de plantation de betteraves à sucre destinés à l’usine d’un industriel agroalimentaire connu. Les soirées au sein de ce petit groupe, entre tragédie et grand-guignol à coup de breuvages alcoolisés, apparaissent progressivement être le cache-misères de destins brisés, d’existences détournées dont la ville d’Orchies n’est que la voie de garage.
Il convient de dire que la forme de l’œuvre n’est pas vraiment amène : l’écrivain français est avare de paragraphes et sauts de pages, et ses huit pauvres chapitres transforment ces 150 pages en quelque chose de dense, presque étouffant – à l’image du corps flasque et obèse de Thérèse que Luc Lang évoque grâce à de savoureuses comparaisons. Toutefois, une certaine poésie éructe des lignes, sorte de splendeur misérable et rance (à coup de termes pourtant simples) qui renvoie à la bâtisse où le héros, sans s’en rendre compte, finit par habiter.
En guise de conclusion, ce fut une expérience littéraire assez brève mais marquante : l’état végétatif généralisé des protagonistes fait mal au cœur, et le dénouement (à considérer que c’en est un) laisse une impression mitigée d’incomplétude, comme si l’auteur, qui semble de temps à autre se perdre dans des descriptions sans fin, ne pouvait se résoudre à abandonner ses personnages.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
Il faut savoir que l’art, en particulier la musique, s’invite sans crier gare dans une œuvre qui a un lourd besoin d’enchantement. Entre le personnage principal qui aurait voulu être saxophoniste et Thérèse, il y a un lourd potentiel plutôt bien exploité par l’écrivain : il est question de carrières qui tournent court, d’un glorieux passé qu’on tente de faire revivre tant bien que mal, passé souvent idéalisé qui se heurte au parpaing d’une réalité sans fard ni concession.
Luc Lang offre une brève vision pessimiste du monde agricole, avec les petites propriétés (comme celle tenue par feue Marcelle) paumées dans d’immenses étendues de cultures. Le rendu du travail de récolte, avec les imposantes machines qui vibrent sans cesse, est réaliste au possible. A l’instar de Fred qui remplace un gus du même nom (le pauvre Alfred, qui n’est pas sans rappeler le majordome de Bruce Wayne), les individus apparaissent interchangeables, tous au service d’une industrie et d’un terrain qui les broient. Oui, c’est glauque.
…à rapprocher de :
– Question atmosphère agricole tenace qui vous colle à la peau, avec des protagonistes bien campés, je ne saurais trop vous conseiller de dévorer Le seigneur des porcheries, de Tristan Egolf.
– Une autre forme de folie, dans la campagne, se trouve dans Nous sommes tous innocents, de Cathy Jurado-Lecina. Un roman que le félin conseille vivement.
– De cet auteur, Mille six cents ventres a l’air pas mal. Peut-être un jour.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.
Ping : Cathy Jurado-Lecina – Nous sommes tous innocents | Quand Le Tigre Lit
Les alcools étranges qui rendent aveugle et la betterave ça me fait penser aux Tontons Flingueurs, va savoir pourquoi !
Sinon ça à l’air d’être une joyeuseté estivale ce bouquin, m’est d’avis que ça va cartonner dans les classements, j’y jetterais un œil à l’automne (et sans ironie) !
C’est un peu trop court mais, curieusement, suffisant pour créer ce petit truc qui te prend aux tripes. Lis pas ça un soir de déprime, c’est interdit par la faculté.