Une idée originale qui confine au génie, une leçon d’art graphique qui peut se savourer autant sur papier qu’en numérique, différents niveaux de lecture qui s’offrent au lecteur, bravo. Il y a certes quelques longueurs contemplatives à déplorer, et encore. L’histoire, on s’en moquerait presque au final s’il n’y avait pas cette énigme qui tourne autour d’un scandale dans le monde du football.
Il était une fois…
Il est 23h10, quelque part en Europe.
Le lecteur suit le chemin pris par un faisceau lumineux pendant trois longues secondes. Celui-ci rebondit à chaque surface réfléchissante et nous présente différentes scènes, souvent les mêmes vues mais avec des approches différentes. On a de la chance, puisque l’environnement suivi par cet extrait de lumière constitue une histoire, un tout cohérent Trois secondes pendant lesquelles le zoom est presque infini.
Critique de 3’’
Le sous-titre (ou quelque chose s’en rapprochant) annonce un « zoom ludique par Marc-Antoine Mathieu ». Sur le ludique, l’idée originale du format tend à légitimer cet adjectif – à noter que tenir une BD carrée entre les pattes est étonnant. Quant au zoom, voilà toute la magie de cet étonnant roman graphique. Tellement magique que j’en ai fais un thème (cf. infra).
La structure du roman est déconcertante : chaque planche offre un zoom de neuf cases (toutes dépourvues de dialogue), et toute nouvelle page reprend sur la dernière illustration vue. Le risque premier d’un tel objet littéraire est de lâchement s’adonner à la lecture en diagonale (comme je vous l’ai appris), ce qui est fort tentant. Mais choisir cette facilité est dangereux dans la mesure où la puissance du récit risque de vous échapper, sans compter que de savants détails sont distillés dans presque toutes les illustrations.
Pour ma part, j’ai d’abord lu 3 secondes en une quinzaine de minutes, et à part une intrigue sur le financement des clubs sportifs mâtinée de révélations à la presse sur le point de sortir, je n’ai absolument rien compris. J’ai dû reprendre une seconde lecture (trente minutes cette fois-ci), et là des éléments indiquant de nombreuses liaisons dangereuses sont apparus : les numéros des sièges d’avion, le poudrier signé par un des protagonistes, les manchettes de journaux à bien lire, et tant d’autres.
L’autre tour de force de Mathieu a été d’opter pour le noir et le blanc. Du vrai black & white, attention ! Aucune nuance de gris (contrairement à la couverture) et un trait qui sait se faire tantôt gras et lourd, tantôt d’une remarquable finesse. C’est tellement bien foutu et vivant qu’on a parfois l’impression que d’autres couleurs (le jaune par exemple quand on voit la Terre à des milliers de km de hauteur) s’invitent. Bref, si l’histoire peut paraître exagérément confuse, l’exercice graphique vaut largement le coup d’œil.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
L’art du zoom. Le principe est la vision d’un rayon de lumière, aussi dès que celui-ci rencontre une surface réfléchissante on part dans l’autre sens. Le tout est un peu capilotracté (ce que semble assumer l’auteur) lorsque notamment on file à des centaines de milliers de kilomètres pour croiser le chemin d’un satellite. Suivant l’état du miroir, le texte sera à l’envers ou à l’endroit (pas pratique du tout mais ajoutant au mystère). C’est là que Le Tigre se dit que l’expérience doit être d’une rare intensité quand on se procure le titre en version numérique.
Le noir et le blanc. Comme je l’ai déjà dit, aucun état entre ces deux extrêmes n’est présent, sauf à considérer qu’au début de 3’sec. le lecteur est métaphoriquement et littéralement dans le noir, pour finir dans un réfléchissement infini entièrement blanc. De surcroît, ce liseur mettra un certain temps (s’il y arrive) à distinguer la « couleur » des personnages rencontrés. Qui est le héros ? Celui qui se prend une balle dans la tête le temps d’une poignée de secondes ? La fameuse taupe ? Ou, finalement, le protagoniste principal n’est-il pas ce rayon de lumière, narrateur muet qui, grâce à sa nature extrêmement rapide, est l’unique observateur d’un tableau qui implique des actions si distantes ? A vous de décider (si en plus vous pouvez m’expliquer le fin mot de l’histoire…)
…à rapprocher de :
Je n’ai pas grand chose, à mon grand désarroi, à vous proposer de similaire. Faut dire c’est bien jeté comme œuvre.
Sinon, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver cet OVNI graphique en ligne ici (en numérique, c’est par là).
Ping : Xu Bing – Une histoire sans mots | Quand Le Tigre Lit
« Aucune nuance de gris »
jeu de mots? 😉
s’il y en avait eu 50, ça aurait été tout de suite moins intéressant…
Même pas fait exprès, cher félin confrère ! Merci de me rappeler que je dois me procurer quelques BD pornos en vue d’améliorer mon référencement…
C’est toute la force de cette BD je trouve. Au départ on a l’impression de tenir dans ses mains une prouesse artistique. On se dit que c’est pas mal fait, voir même joli souvent. Impressionnant en tout cas.
Mais bon si ce n’était que ça, on se ferait vite aussi ch*** qu’au Louvre.
Alors que non, on découvre ensuite l’histoire peu a peu, guide par des questions et c’est finalement une véritable énigme, une sorte de jeu de piste que l’auteur nous offre. Perso j’avais été enchante.
Définitivement une BD à lire et relire. Je crois que ce billet sera mis à jour à un moment ou à un autre.
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