Lorsque la catastrophe du Koursk met en lumière tout ce qu’il y a d’inquiétant dans la Grande Russie, entre corruption généralisée et gâchis des sacrifices de vies humaines, il y a de quoi être pessimiste sur l’avenir de cette contrée. Et quand l’Histoire se répète, c’est une tragédie. La prose de Dugain est certes intéressante, mais ici ça m’a paru un peu plus longuet que d’habitude.
Il était une fois…
Lors de l’été 2000, Oskar s’abîme en pleine mer de Barents. Oskar est un sous-marin nucléaire russe de belle facture (disons qu’il est immense) et apparemment il reste des membres d’équipage vivants mais bloqués comme des nouilles dans ce qui va sûrement devenir leur tombeau d’acier. En suivant la famille Altam, depuis les exactions staliniennes aux mensonges d’État en ce début de XXIème siècle, en passant par le délire corruptif généralisé des années 90, c’est tout un pan de l’histoire russe qui s’offre au lecteur. Et oui : toute ressemblance avec des faits ayant réellement existé ne serait pas que pure coïncidence.
Critique d’Une exécution ordinaire
N’y allons pas par quatre chemins : c’est globalement un bon ouvrage et je n’ai pas vu le temps passer. Les pages filent à la vitesse de l’éclair (Dugain aime décomposer ses titres avec une pétée de parties et des rivières de chapitres bien aérés) et le style, sobre et précis, offre une lecture sans concession, presque à la manière d’un essai.
Si l’œuvre s’articule autour de la tragédie humaine et politique que fut l’accident (aggravé par les autorités) du Ko..euh d’Oskar, l’auteur français a brodé l’histoire du peuple russe et ce depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Cela commence par la petite Olga, magnétiseuse dont le talent est venu aux oreilles de l’ogre Staline qui fait appel à ses services pour être soigné. Ensuite, retour à la vie « actuelle » à travers l’existence d’un prof’ narrateur qui mène une vie peu glorieuse sur fond de crise conjugale. Et le fait que son fils, Vania, ferait partie des survivants coincés dans la carlingue, n’arrange pas son moral.
Ces récits sont parsemés de saynètes nettement plus axées politique/finances, en particulier la guerre sourde que se livrent les hommes politiques russes après l’éclatement de l’URSS. De ce joli bordel sans foi ni loi émerge le pétillant Plotov, jeune politicien russe passé par le FSB qui ressemble traits pour traits à ce bon Poutine. C’est dans ces moments que Marc D. se fait plaisir et invite le lecteur dans le saint des saints de Mère Russie, là où tout semble possible.
En guise de conclusion, Une exécution ordinaire prend la tournure de ce que les journalistes français savent faire de mieux : créer une histoire humaine dans l’Histoire pour dresser un tableau juste où se mélangent grandes destinées nationales et péripéties du péquin moyen. Hélas, à l’instar des articles de ce genre de journaleux, des passages entiers restent assez chiants (par exemple les pleurnicheries de quelques protagonistes) et ne m’ont pas paru nécessaires à la bonne compréhension du roman.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
Les mensonges sont légion, et la vérité est rapidement maltraitée, voire sacrifiée sur l’autel du pragmatisme et des petits arrangements entre puissants amis. Que ce soient les odieuses réunions entre militaires russes, ou la manière dont un gouvernement traite, avec le cynisme le plus révoltant, ses compatriotes, il y a de quoi avoir peur pour le pays. La Russie n’est définitivement pas un pays comme les autres, au sens où on l’entend d’une démocratie occidentale à qui il arrive de rendre des comptes à ces citoyens. Le Russe de base, broyé dans la monstrueuse machine, ne m’est jamais apparu aussi impuissant face à des élites dévoyées soit par l’argent, soit par le culte du secret.
Toute ceci est rendu possible grâce (..à cause de, plutôt) à la valeur que ce pays donne à l’existence de ses habitants. Les Russes sont des gueudins, leur histoire l’a plus d’une fois démontrée. Le paramètre « vie humaine » est nettement moins prégnant qu’en Occident, ce dernier ayant parfois certaines difficultés à le comprendre. Le vérolé Staline qui, entre deux séances de repos, signe sans broncher ses ordres de mise à mort n’est, en fin de compte, pas si différent d’un Président russe qui reste séjourner tranquillou dans sa datcha pendant que des sous-mariniers de son armée crèvent la gueule ouverte – d’où le titre.
…à rapprocher de :
– De Dugain, Tigre a lu Avenue des géants (ça passe moyennement), Heureux comme Dieu en France (mouais) ou La Malédiction d’Edgar (diablement intéressant) ou En bas les nuages (là on est à la limite du bof).
– Sur « l’état d’esprit russe », je vous invite à parcourir Que reste-t-il de notre victoire, de Narotchnitskaïa ; voire Limonov de Carrère – j’avoue l’avoir bien aimé.
A toutes fins utiles, nul besoin de regarder le film. Je le ferai pour vous.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.
Ping : Marc Dugain – En bas, les nuages | Quand Le Tigre Lit
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Ping : Marc Dugain – Avenue des Géants | Quand Le Tigre Lit
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Ping : Natalia Narotchnitskaïa – Que reste-t-il de notre victoire ? | Quand Le Tigre Lit