Sous-titre : Beau Danube Blues [joli jeu de mots]. Marcus Malte réserve de belles surprises, c’est indéniable. Sous couvert d’une quête assez « simple », les harmoniques (entendez, les ondes fantômes derrière un morceau de musique) complexifient le tout jusqu’à la découverte de l’hideuse vérité. Noir et bien rythmé, un roman qui monte en puissance.
Il était une fois…
Mister est un pianiste dans un bar à jazz à Paname. Depuis quelques semaines la belle Vera Nag vient le voir pour savourer sa musique. Hélas la miss meurt brûlée vive. Les coupables sont (trop ?) rapidement trouvés, et Mister n’y croit pas une seconde. Avec son ami Bob (chauffeur de taxi philosophe et polyglotte), puis deux musiciens de rue yougoslaves, notre héros va lentement mais sûrement remonter une histoire terrible. De la jeune vie de Vera à quelques égarements, en passant par les horreurs de la guerre en Yougoslavie, voici un voyage dont le grand black ne voulait pas vraiment.
Critique des Harmoniques
Le roman diesel par excellence. Tigre s’est quasiment emmerdé dans les 100 premières pages, faut dire que le fil que tient le protagoniste est sacrément tenu. Mais on sent qu’il y a comme quelque chose, que c’est bien plus dégueulasse qu’on l’imaginerait au premier abord. Pour un dernier tiers d’excellente facture et qui relève l’intérêt à un niveau presque stratosphérique.
Monsieur Malte, avec son protagoniste fétiche non violent quoique imposant, est allé très très loin : le crime, en apparence un banal règlement de comptes, met en scène une flopée d’intervenants (un peintre quasi manchot, de mystérieux agents, des criminels de guerre, un ministre même) qui se tirent allègrement dans les pattes. Le fameux Mister, idéalisant la jeune défunte, subira de plein fouet les révélations entourant l’univers de Vera.
Sur le style, j’ai cru sentir une touche de poésie. Maladroite parfois quand la jeunesse de la victime est abordée en italique ou lors des délires mystiques du héros. En contre-balance, des descriptions crues qui prennent au corps lorsqu’il faut évoquer les exactions de guerre. Tigre s’est même payé quelques solides barres de rire, notamment le barman éperdument amoureux en plein quiproquo sur les intentions de Mister. Chapitres qui se raccourcissent, c’est presque en haletant que Les harmoniques sera terminé.
Pour finir, il faut quand même parler du jazz omniprésent. Ce ne sont pas tant les morceaux égrenés au long du roman, car certains passages semblent intégralement construits autour de notions musicales ou existences de grands du milieu (Billy Holliday par exemple, pathétique héroïnomane). Tigre a parlé des écrivains qui font péter la bonne musique, Marcus en est le digne représentant.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
Malte nous compte par le menu les atrocités en Yougoslavie. Et pour le lecteur (comme Le Tigre) qui ignorait les plus sombres aspects de ces conflits, c’est tout simplement révoltant. En particulier le siège de Vukovar, les meurtres d’une violence inouïe où la torture se même au sadisme, ou encore les viols de masse. Horreurs de la part des Serbes certes, mais Croates et Bosniaques (assistés de combattants musulmans) ont également eu leur lot d’infamies.
La mort de l’innocence est renforcée en deux points : d’une part, le « dodécatyque » vu par Mister est une somptueuse allégorie de la chute de Vera dans les griffes d’un corbeau noir. Ce corbeau, ce sont les criminels (de droit commun, de guerre), mais aussi la politique qui s’invite dans le scénario. Avec un ministre français qui n’est pas sans rappeler Sarkozy dans ses gesticulations du début des années 2000, on sombre dans la corruption et l’amoralité « made in France ». Dépucelage de Mister d’autre part, qui apprendra que rien n’est blanc ni noir. Les grandes manœuvres politiques circulent entre différentes teintes de gris, et il est délicat pour notre grand romantique de saisir que Vera n’est qu’un insigne détail d’une sourde lutte qui fait rage.
…à rapprocher de :
– De Marcus Malte, Tigre a également lu Le lac des singes (ça se laisse lire), La part des chiens (déception) et Carnage, constellation. Ce dernier est une petite claque également.
– Romancière française, Dominique Manotti nous mène aussi, avec Bien connu des services de police, dans les sombres arcanes du pouvoir (en moins glauque toutefois).
Enfin, si votre librairie à polars est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.
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