Sous-titre : Une enquête d’Eberhard Mock. VO : Widma w mieście Breslau. Acheté pas vraiment au hasard dans la mesure où un thriller écrit par un Polonais et se passant en 1919 en territoire polonais germanisé, ça ne court pas les rues. Exigeant comme roman et parfois confus, ce fut néanmoins une lecture globalement positive.
Il était une fois…
Moins d’un an après la première guerre mondiale, quatre jeunes marins presque nus (et dans une posture peu catholique) sont découverts morts près d’une île de l’Oder. A leurs côtés, une citation de la Bible dans une missive qui s’adresse directement à Eberhard Mock, inspecteur à la police des mœurs. Dans Breslau (mieux connue sous le nom de Wrocław) occupée par les Allemands à cette époque, les meurtres en série semblent se développer. Et à chaque fois, des lettres mettant en cause notre héros alcoolique. Qu’a-t-il pu faire dans le passé pour qu’on lui en veuille de la sorte ?
Critique des Fantômes de Breslau
Le moins que l’on puisse dire, c’est que Marek Krajewski est fin lettré. Enseignant de lettres classiques à l’université de Breslau (tiens tiens…), le monsieur sait le latin et (un peu) le grec. Et n’hésite pas à le montrer dans cette œuvre plutôt sombre, sinon oppressante par l’ambiance misérable qui en ressort. Sur certains passages, j’ai cru être largué, puis les choses se sont rapidement remises à leur place. Ouf.
Chose rare, la structure de ce roman a été relativement déroutante. Point de chapitres en effet, mais deux lignes à peine sautées pour préciser la date et l’heure de la péripétie. Aussi le début introduit une courte présentation du héros, en très mauvais état (il refuse de s’endormir et a une sale gueule) vers début octobre, ensuite nous remontrons progressivement le fil de l’histoire à partir de fin août de la même année (1919).
Et quelle histoire ! Quelques cadavres atrocement mutilés (ça fait journalistique, je sais) ; un flic presque marron porté sur la bouteille et n’hésitant pas à tâter celles qu’il est censé protéger (les filles de joies) ; un ennemi malsain qui mélange séances d’occultisme avec un paradigme grec-antique du plus mauvais effet, mélangez le tout avec quelques traumatismes de la Grande guerre et vous avez un scénario assez bien travaillé. Avec une fin que Le Tigre a trouvé décevante, les méfaits dont est accusé Mock m’ont fait plus ricaner qu’autre chose.
Quant au style, Le Tigre a eu peur au début de ne pas pouvoir s’y habituer. Les descriptions, bien que nombreuses, ne sont pas tout de suite parvenues à me mettre dans le bain. En outre, le protagoniste maladif (il fume sans arrêt, boit comme un trou pour éviter de cauchemarder chez lui, bouffe plus que de raison) peut refiler au lecteur un sentiment de malaise qui ne s’améliore pas au fil de l’œuvre.
Toutefois, pour un polar polonais dans un environnement aussi peu traité (une grande ville de Pologne avant la Belle époque), Le Tigre reste content de l’avoir lu. 350 pages qui ne passent pas si vite que ça, attention ce n’est pas du James Patterson. Loin de là.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
La vie dans l’Europe de l’Est après guerre. Mister Krajewski connaît sa ville, a lu les bons documentaires et s’est renseigné auprès des bonnes personnes, cela ne fait pas de doute. Car l’univers de Breslau est terriblement bien rendu, que ce soit les mets servis dans les restaurants (on hésite entre saliver et dégobiller lors des agapes du héros), la vie des prostituées (mâles également) ou encore les bars miteux du centre. Quand à la riche bourgeoisie qui y vit, ils semblent aussi vilains et détraqués que les pires romans de Zola.
Les fantômes du passé. On attendra les dernières pages pour savoir ce que Eberhard (je ne m’y ferai jamais à ce prénom) a bien pu commettre de grave. Mais avant d’en arriver là, l’écrivain nous présentera quelques souvenirs de guerre du héros. En sus, avec son ami Rühtgard (le prénom à ce gus est Cornelius, nom de zeus…), le policier de la mondaine discute longuement de ce qui peut provoquer ses cauchemars et ses impressions que la maison où il vit (avec son père) est hantée. Une légère touche de fantastique permettant de resituer l’état de la science à cette époque concernant les fantômes, l’hypnose, voire le charlatanisme.
…à rapprocher de :
– Dans la catégorie « roman polonais », en plus onirique, Le Tigre garde un très bon souvenir de Gombrowicz avec Les envoûtés, mais surtout le roman Ferdydurke.
– Le héros du présent titre me fait penser à Bernie, protagoniste principal encore plus cynique mais moins porté sur la bouteille (quoique…), dans l’Allemagne d’avant guerre avec La Trilogie berlinoise de Philip Kerr. Il y en a d’autres de cet auteur d’ailleurs.
– En BD, les aventures de Friedman dans Rhapsodie Hongroise, même si celles-ci ont lieu plus tard (et en Hongrie), m’ont fait penser à celles en Pologne.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.
Ping : DodécaTora, Chap.PL : 12 classiques de la littérature polonaise | Quand Le Tigre Lit
Ping : Giardino – Rhapsodie hongroise | Quand Le Tigre Lit
Ping : Witold Gombrowicz – Ferdydurke | Quand Le Tigre Lit
Ping : Philip Kerr – La Trilogie berlinoise | Quand Le Tigre Lit