Un tueur en série qui ne fait pas vraiment peur, une traque dans une Irlande de carte postale, un ouvrage rapide à lire du haut de ses cinquante chapitres (pour moins de 400 pages), une histoire d’amour insignifiante et inutile, ce roman a un nom : la médiocrité. Sans doute l’antagoniste principal a trompé la mort, mais l’auteure n’a pas trompé l’ennui du félin.
Il était une fois…
Yann Morlaix, ancien libraire ayant tué quelques personnes en France, avait été laissé pour mort suite à un effondrement lors de ses recherches. Cependant le mecton est vivant et s’est réfugié en Irlande où il fait coursier pour la pègre locale – en plus de buter quelques jeunes Irlandaises aux prénoms celtiques. Et lorsque des échantillons ADN prélevés sur une des victimes le confondent, la PJ de Paris et les collègues irlandais sentent le vent du boulet passer au-dessus de leurs têtes.
Critique de Tromper la mort
Qu’est-ce que j’ai pu bailler. Rien que la double narration première personne avec le gentil policier / narrateur omniscient qui se met dans la tête d’un tueur (qui l’est devenu à la suite d’une mauvaise chute dans sa jeunesse) est lourde à suivre. Que dire en outre de tous ces personnages impossibles à se représenter et dont certains auraient pu être interchangeables ? Tout ceci manque de sérieux et de profondeur, à un tel point que Le Tigre est infoutu de vous susurrer le nom du personnage principal. Et je n’ai pas commencé à évoquer le scénario.
D’une part, on aurait dit que l’écrivaine voulait à tout prix caser les thèmes classiques d’un thriller avec ce qu’il faut comme suspense salement dosé (alternance entre l’enquête et les pérégrinations du méchant) tout en assurant un happy ending aussi improbable que décevant. Maryse R. s’est même fendue d’une histoire d’amour qui ne sert strictement à rien avec la belle brune Alexia. Alors que le héros sort fréquente déjà une certaine Bérangère, ce personnage étant au passage aussi vivant qu’un marcassin écrasé sur le bord de l’autoroute,
D’autre part, il y a une ambiance qui se veut mystérieuse en mode « brume irlandaise » saupoudrée de références moyenâgeuses relativement triviales. Hélas, cent fois hélas, la mayonnaise ne prend pas : Tromper la mort se lit trop vite et les chapitres sont trop nombreux pour qu’une certaine ambiance s’installe, du coup les métaphores (de piètre qualité en outre) tombent à plat. L’immersion étant faible, le lecteur aura un certain mal à prendre l’enquête au sérieux, que les protagonistes crèvent la gueule ouverte ne m’aurait pas plus bouleversé que ça.
Je crois savoir ce qui cloche dans ce roman. Celui-ci a été « proclamé » (oui c’est le terme utilisé) au Prix du Quai des Orfèvres 2015. Je n’ai rien contre ce prix qui a le mérite du vote anonyme (assez rare), toutefois il semble que le réalisme policier a été ici plus récompensé que les qualités littéraires – sans compter que, niveau crédibilité, j’ai plus d’une fois toussé. Enfin, lorsque des flics/magistrats décernent un prix, ne vous attendez pas à voir des policiers fumer/boire au boulot, encore moins prendre quelques libertés avec la loi. Ce qui les rend aussi lisses que leurs pantalons qu’on imagine trop bien repassés.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
Voici les dernières phrases du quatrième de couverture :
Maryse Rivière est habitée par l’histoire douloureuse et généreuse de l’Irlande. Elle maîtrise les procédures de coopération internationale entre polices.
Ha ha, voilà qu’on me prémâche mes thèmes.
La généreuse quoique douloureuse histoire de l’Irlande, c’est la lutte entre Unionistes et Républicains, la survivance d’un mouvement indépendantiste mouais. L’auteure insiste également sur la crise économique qui a suivi une période de croissance effrénée pendant laquelle beaucoup se sont considérablement enrichis tandis que d’anciens activistes se sont découverts des talents de dealers de drogues dures. Hélas, sous la plume de Rivière j’ai surtout eu l’impression de lire une version bas de gamme qu’un guide touristique ânonnerait en ponctuant son discours de termes locaux pompés sur internet. Déception donc.
Quant à la coopération internationale (européenne plutôt), je cherche encore où se trouve cette fameuse maîtrise. Apprendre qu’il existe des officiers de liaison dans les capitales européennes afin de faciliter la coopération entre services ? Découvrir qu’il faut une commission rogatoire internationale pour pouvoir enquêter sur telle ou telle affaire à l’étranger ? Savoir que chacun garde jalousement son pré carré ? Montrer que la politique et la diplomatie sont prépondérantes ? La belle affaire. Surtout le sentiment renouvelé de lire un documentaire à l’intention d’étudiants de première année mâtinés de différents clichés à proscrire.
…à rapprocher de :
– Ce titre est la suite d’un premier roman, Sous le Signe de la Souris, publié en 2009. On y retrouve notre flic et Morlaix pour se rendre compte que les deux loulous se connaissent intimement Vous n’imaginez pas à quel point il ne me tarde pas de le lire.
– Un roman policier plus « sociétal » avec des personnages crédibles serait plutôt Bien connu des services de police, de Dominique Manotti (attention, roman de gauchistes).
– Si vous voulez vraiment brouter du polar irlandais, allez plutôt lire les titres de Ken Bruen. Y’en a plein sur l’auguste blog (dans l’ordre de parution) : Delirium Tremens, Toxic Blues, Le Martyre des Magdalènes, Le Dramaturge, La Main droite du diable.
– Et si l’histoire souffreteuse de ce pays vous intéresse, je vous rappelle qu’il existe un certain Robert McLiam Wilson qui a notamment sévi avec Ripley Bogle (son meilleur), Eureka Street (très bon aussi) ou La douleur de Manfred (assez poignant).
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.
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