Sous-titre : quand les mots peuvent tout changer. Aron, rédacteur en chef à France Info, chroniqueur judiciaire pendant 17 ans, s’est livré à un travail de reconstitution très sérieux. Le lecteur découvre ainsi les grandes plaidoiries qui ont parsemé le dernier siècle judiciaire et législatif : abolition de la peine de mort, légalisation de l’avortement ou encore réforme de la garde à vue.
De quoi parle Les grandes plaidoiries des ténors du barreau, et comment ?
Le titre renvoie aux ténors du barreau. C’est à la fois dans les plaidoiries elles-mêmes et dans les commentaires qui les précédent qu’est développé tout un jargon militaire. L’avocat plaidant est un acteur qui part au combat, qui affute ces termes comme d’autres affutent leurs épées.
Au fil des plaidoiries (vingt-trois au total) le lecteur découvre ou redécouvrent des jeunes avocats comme des vieux lions du prétoire qui tous ont comme point commun, en conformité avec leurs convictions, d’avoir attaqué le sabre clair pour faire triompher leur cause et satisfaire à l’exigence de vérité et de justice. Le livre nous fait revivre ces moments où les robes noires sont montées au créneau pour pouvoir assister leurs clients dans les commissariats, ou encore se sont élevés contre une machine judiciaire qui peut broyer des innocents.
Beau recueil, jamais trop technique ni trop compliqué, qui offre un intéressant panachage des plaidoiries marquantes du vingtième et du vingt unième siècles. Tout y est : la libéralisation de la femme, l’autorisation de l’avortement, l’humain (je pense notamment à la plaidoirie vibrante d’humanité prononcée par Dupont-Moretti pour Marc Cécillon, devenu dépressif et alcoolique lors de la troisième mi-temps, et poursuivi pour le meurtre de sa femme), le sensationnel (les procès Keriel, Bettencourt, etc), le terrorisme, l’humanisme (procès contre la peine de mort).
Alors que peut-on reprocher à ce livre qui se tient pas si mal ? Pour commencer, ses nombreuses coquilles. Malheureusement, on a trop souvent l’impression que le livre a simplement été relu par un stagiaire à l’orthographe défaillante avant de passer à la presse.
Également le fait que l’on reste sur sa faim en termes d’analyses de ces plaidoiries. Mister Aron commence son livre en expliquant combien l’art de la plaidoirie est également et surtout un art rigoureux et exigeant techniquement. Le Tigre à ce stade trépigne d’impatience et se réjouit à l’idée d’être baigné de l’aura de compréhension face aux outils subtils mis en place par ces vieux lions. Et bien, foin. Rien. Nada. C’est tout juste s’il y a une introduction au contexte des affaires et quelques phrases laconiques de commentaires sur les différents styles de ces bretteurs du prétoire.
A part cela, un ouvrage que tout avocat se doit de posséder.
Ce que Le Tigre a retenu
Petite astuce : quand vous faites votre plaidoirie et que le confrère de la partie adverse intervient ou émet une objection à l’américaine, ignorez-le superbement et continuez, imperturbable.
L’art de la plaidoirie. Tour à tour ironiques, humanistes, fougueux, outranciers, ou au contraire tout en sobriété, parfois jouteurs de conviction tels Jean-Marc Varaut, persuadé que Maurice Papon n’avait pas à répondre d’actes perpétrés avant même que certains de ses juges ne soient nés. Toujours hommes de dossier, les robes noires vont souvent s’investir de longues années pour obtenir gain de cause, dans une course contre la montre alors que le temps effrite les preuves.
Les évolutions sociales illustrées par les procès et lesdites plaidoiries. Ça peut être des crimes décrits dans le code pénal mais socialement « acceptés » (l’avortement) ; des hommes qui trouvent les mots contemporains pour narrer l’indicible (le procès Papon) ; des ténors dénoncent les crimes kafkaïens de l’administration lorsque le crime passe de main en main tel un dossier dans une chaîne administrative de déresponsabilisation (le manque de moyens de la justice).
…à rapprocher de :
– Terre des hommes de Saint-Exupéry, pour sa description de « ces hommes qui n’aiment pas que l’on abîme les hommes ».
– Le poème Le Roi des Aulnes de Goethe, ainsi que le livre du même nom de Michel Tournier, pour l’image de l’homme « porte-enfant », protecteur.
– Deux romans de Siegel Sheldon, Circonstances aggravantes et Preuves accablantes offrent quelques beaux exemples de plaidoirie version U.S.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez le trouver en ligne ici.
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