Encore une petite tuerie qui ne se laisse pas facilement apprivoiser. Trilogie confondante et délirante, Le Tigre a été soufflé par l’audace de Pascal Mesenburg (dit Mezzo) et Michel Pirus. Ces auteurs français (et oui, on ne dirait pas), dignes représentants d’un Charles Burns, ont versé dans une sorte de banal onirisme qui fait mouche (hu hu).
Il était une fois…
Tigre va vous résumer les trois opus en tentant de rendre le tout intelligible (vaste programme), ainsi ça m’évitera de revenir dessus. Attention, je vous préviens : ça part dans tous les sens.
Résumé de Hallorave
Eric est surnommé le « Roi des mouches » car, en vue de participer à une rave party, il se confectionne une énorme tête de mouche en carton pâte qu’il porte plus que de raison. Son pote est habillé en squelette et la copine de ce dernier (qui fait sacrément bander Eric) arbore une énorme tête de chatte. Entre deux gobages de pilules, la joyeuse bande se cherche, se disloque, jusqu’à ce que le pote d’Eric se fasse écraser par une bagnole en pleine nuit. Parallèlement, la belle Karine noue une relation avec Becker qui pourrait avoir l’âge de son daron. [et tant d’autres petites histoires].
Résumé de L’origine du monde
Les héros continuent leur bonhomme de chemin entre engueulades avec les parents, cuites et baisouilles plus ou moins faciles. L’origine du monde, c’est quand la petite amie d’un des protagonistes l’invite à reluquer sous sa culotte pour y voir le tableau dont s’inspire le titre. Le sac confié par Ringo à Eric se révèle plus qu’intéressant, et la quille dedans va se révéler déterminante. C’est alors que deux morts reviennent rapidement dans le monde des vivants, impuissants, pour voir ce qu’il s’y passe.
Résumé de Sourire suivant
Eric fait plus ou moins le gigolo avec une vieille insatiable ; les nénettes vendent (par la poste) leurs culottes usagées à destination de vieux dégueux ; les méchants se prennent des flèches tirées on ne sait d’où ; certains sont accrocs à une sorte d’engrais et bavent du lait quand ils sont en manque ; etc. [vous l’avez compris, je n’ai strictement rien bitté à ce dernier opus]
Critique du Roi des Mouches
Si j’ai eu un profond mal de chien à brièvement résumer les trois opus, c’est que c’est presque impossible : les auteurs se sont attachés à faire des chapitres d’une petite dizaine de planches avec des personnages différents autour d’intrigues qui se recoupent. Une même scène peut être présentée à un intervalle de 20 pages, et sous un autre angle (ce dont les auteurs, heureusement, n’abusent pas).
Très curieusement, il me fut également difficile de situer ces BD. Les bâtiments, les commerces, l’omniprésence automobile, tout indique les États-Unis. Mais certains lieux, la nature, les billets de banque (on croit décerner des euros) ou le nom des héros sont de facture européenne. Inconsistance géographique certes, mais incertitude temporelle surtout.
J’ai rapidement abandonné tout espoir de lier les différentes histoires, surtout celles du dernier tome qui frisent avec le fantastique (la drogue-engrais, la quille magique, etc.). En outre, les dialogues (surtout internes) des protagonistes tendent à étirer le temps jusqu’à ce que le lecteur perde, à de nombreuses reprises, la trame narrative. Si vous rajoutez une sévère touche de verbiage (ce qui est parfois lassant), il n’est pas anormal de trouver le temps longuet. Pour ma part, la lecture du troisième tome fut un quasi supplice, j’avais hâte que ça se termine malgré quelques passages glauques comme je les aime
Quant aux illustrations, c’est ma foi très « comics ». D’apparence grossière, on notera que les graphiques (ligne claire et trais épais) s’avèrent précis et donnent une profondeur supplémentaire aux personnages. Les couleurs sont basiques, agressives même (vert, violet, caca d’oie) et entretiennent correctement l’ambiance morose et délétère dans laquelle baignent les héros.
Au final, une série j’ai trouvé géniale mais qui pourront rebuter certains lecteurs (cf. infra). S’emboiter les trois tomes d’un coup, à l’instar du Tigre, est vivement déconseillé : laissez plutôt passer quelques jours entre deux prises.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
La jeunesse en perdition. Cette trilogie est constitué de (presque) banales saynètes au cours desquelles nos héros, lorsqu’ils ne se murgent pas la gueule, sont en prise à des substances prohibées. C’est déprimant tellement nos amis semblent n’avoir aucun avenir ni projet pour se tirer de ce monde terne. Un « no future » qui sonne bien années 80 en somme. Ce qui pourrait les éveiller (comme l’amour ou, paradoxalement, la mort) est également traité à la légère, quand ce n’est pas avec cynisme. Baise, jalousie, trahison, aucune différence apparemment.
Une certaine forme de psychédélisme est enfin à l’honneur, aidée par l’abus de drogues, les déguisements des protagonistes et aussi les illustrations. Mais, comme tout titre versant dans ce domaine, j’ai souvent eu l’impression de lire du vide. A l’ambiance néo dépressive s’ajoute un verbalisme savamment entretenu par les auteurs. Ces derniers sont parvenus à créer un univers certes cohérent mais profondément verbeux. La question est de savoir si vous saurez être entraîné (hypnotisé, ai-je envie de dire) dans ce tourbillon pas comme les autres.
…à rapprocher de :
– Puisque je faisais référence à Charles Burns en intro, son dessin comme les thèmes que cet auteur aborde m’ont rappelé Le Roi des Mouches. Notamment Black Hole.
– La jeunesse bien droguée et qui ne sait pas trop où elle va, ça me rappelle quelques titres de Bret Easton Ellis, par exemple Moins que zéro ou Suite[s] impériale[s].
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ces titres via Amazon : premier opus, le deuxième et enfin le troisième.
Ping : Manu Larcenet – Blast | Quand Le Tigre Lit
Une mise en image d’un enfant sauvage ?
Ça m’a l’air intéressant il va falloir que j’y jette un œil.
Je pense que tu apprécierais. Peu de références musicales hélas. Au final, le dessin est comme oppressant, ça manque paradoxalement d’espace. Aucun rapport avec un enfant sauvage sinon (on peut trouver en cherchant ceci dit). Faut d’ailleurs que je résume « Black Hole ».