Encore une jolie claque d’émotion livrée par l’auteur québecois qui accumule les honneurs sur QLTL. Rabagliati joue dans plusieurs registres avec une certaine maestria : humoristique, touchante, sobre et parfois dure, cette BD se dévore comme une madeleine canadienne de Proust.
Il était une fois…
A la fin des années 90, Paul passe quelques week-ends chez sa belle-famille. Chacun en profite pour refluer ses souvenirs d’enfance, cependant les temps heureux ne sont plus. En effet, Roland, le père de Lucie (épouse de Paul), a un léger problème à la prostate. Ce pépin de santé s’aggrave rapidement, si bien qu’il reste trois mois à vivre au vieil (pas tant que ça) homme. Entre un déménagement dans une maison coquette et les allers-retours pour rendre visite au malade, la famille est sous tension.
Critique de Paul à Québec
Tigre ne se lasse pas de cet illustrateur et de sa saga « paulesque » qui valent vraiment le coup d’œil. Ce doit être le sixième album des aventures de Paul, qui d’ailleurs a été primé à Angoulême au début des années 2000 (entre autre). On n’est encore pas loin du somptueux (quand est-ce que je pourrais lire un titre mauvais de cet auteur ?).
Paul est un père de famille heureux qui travaille en tant qu’illustrateur / graphiste ayant parfois quelques soucis avec la chose numérique : la quête pour avoir une connexion internet est d’un ravissement qui n’est pas sans rappeler un des douze travaux d’Astérix. Plus sérieusement, lors d’un séjour chez beau-papa au cours duquel l’ambiance bat son plein (nombreuses interventions des protagonistes relatives au Québec libre, d’où le titre ?), le protagoniste principal remarque une sorte de tatouage sur le ventre de ce premier. Il s’agit de marqueurs pour une opération de la prostate qui hélas ne parvient pas à contenir un cancer plus généralisé.
A partir de là (seconde moitié du roman), Michel R. va « sauter » de mois en mois, puis de jours en jours pour que le lecteur accompagne les trois derniers mois de Roland. On aurait pu craindre quelque chose de mièvre et larmoyant, mais à part les dernières scènes au pathos puissant le tout reste sans grosse prise de tête. Le vieil homme est admis dans une maison spécialisée et on profitera des dernières semaines pour en savoir plus sur cet homme et les relations qu’il entretient avec la famille.
Style toujours aussi fluide ; phrasé québecois truculent (par rapport au français de métropole) ; noir et blanc efficace avec quelques belles planches (évolution de l’architecture, faciès des personnages) ; éclectisme narratif (pas mal de sujets sont traités en fin de compte), voilà autant de raisons pour donner la meilleure note à ce roman graphique de grande noblesse.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
La gestion de la maladie est centrale dans cette œuvre, et ce qu’on y voit est plutôt intelligent. D’abord Roland a la chance d’être admis dans une « maison de soins palliatifs », ce qui correspond pour lui à un vulgaire mouroir. Mais quelques maladresses du patient (par rapport auxquelles il est sévèrement tancé) plus tard, l’homme est apaisé et accepte son état. Ensuite, il en profite pour présenter le meilleur de lui-même (Paul peut enfin le tutoyer, détail pas si insignifiant) et laisser quelques souvenirs (cf. infra) de son existence. Comprenez que j’étais presque à écraser une larme naissante à la fin. Quant à l’euthanasie active, c’est à mon sens un thème trop sensible pour le glisser dans un tel billet.
Pour finir, Tigre a eu l’occasion de repérer ici et là quelques problématiques liées au décalage de génération. Déjà, l’évolution en quelques décennies de l’existence des habitants est surprenante (les dessins « avant/après » de Rabagliati aidant). Mais surtout, Roland décrit à Paul (donc au lecteur) quelques tranches de sa vie. Et la jeunesse de cet individu est infiniment triste, disons qu’avec un tel père il était mal parti. Il a dû s’élever par sa volonté et sa niaque, tout en ayant une vie de famille heureuse. Car c’est là le plus beau : le mourant n’a jamais eu besoin de se justifier ni se rendre sympathique, la manière dont il a « cassé » le cercle vicieux de l’éducation parents/enfants suffit.
…à rapprocher de :
– Rabagliati a une jolie collection avec le fort sympathique Paul : Paul à la campagne, Paul a un travail d’été, Paul en appartement, Paul dans le métro, Paul à la pêche, Paul au parc, Paul dans le Nord. Pour l’instant.
– La gestion de la fin de vie, l’euthanasie mûrement réfléchie, le Canada, le torrent de larmes à la fin du roman graphique, merde ce serait presque le film Les Invasions barbares, de Denys Arcand et avec le sémillant Stéphane Rousseau.
– Tigre se répète, mais visuellement on n’est pas loin de Guy Delisle (notamment Shenzhen, lorsque le héros s’énerve).
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver cet illustré en ligne ici.
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A Quebec, j’ai eu l’occasion de rencontrer M. Rabagliati, aussi sympathique que son Paul.
Sa facon de traiter le Quebec se rapproche bcp de Magasin General (de Loisel et Tripp), tout en douceur, en evoquant des moments chaleureux.
On en ressort tout en sourire hein le Tigre?
Lucky you ! En effet, l’état d’esprit des protagonistes et comment sont traités avec tendresse leurs petits travers restent un ravissement pour les zygomatiques (merci à la correction auto).
Pour le Mag Gé’, j’attends de voir s’ils pondent des intégrales.
Si cet univers te plait, il y a aussi les contes de Fred Pellerin qui ont un succès énorme la-bas. Un peu dans le même style mais en plus fantastique. Il en a tire 2 films aussi: Babine et Esimesac.
Par contre, il faut s’habituer a l’accent et au vocabulaire évidement. Par forcement évident pour un non-initié.
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