Dans un futur plus ou moins apocalyptique, un homme tâche de reconquérir sa fille en plus de sauver ce qui peut encore l’être. Entre déprimant road trip et douloureux souvenirs à solder, les protagonistes ne sont guère à la fête malgré, ici et là, l’espoir d’une rédemption. Roman contemplatif et peu nerveux, la lecture fut mitigée.
Il était une fois…
[j’étais à deux chiures de doigts de copier-coller la présentation de l’éditeur, parfaite, mais suis parvenu à me retenir. Voilà ma version :]
Antoine, ex-prof qui a démissionné (première fois que ce cas de figure se présente sous mes yeux ébahis) et s’occupe chaque jour de sa fille Chloé qui croupit dans un asile, va voir son existence bousculée. Son jeune amour de jeunesse, Sonia, prend contact avec lui pour terminer un film qu’ils projetaient il y a bien longtemps. Sauf que la miss clamse trop vite, et Antoine accepte de récupérer ses archives afin de les garder en lieu sûr. Il s’ensuit une balade d’agrément avec Chloé avec plein de belles rencontres – hum.
[ah, j’allais oublier : l’histoire se passe dans un futur proche où le climat a, plus que d’habitude, sérieusement déconné. Les Français sont ainsi devenus des réfugiés climatiques fuyant la chaleur, et les institutions semblent se faire tranquillement la malle]
Critique de Nous entrerons dans la lumière
Voici un ouvrage lourd et complet. Pas par le nombre de pages ou l’écriture somme toute fluide, mais par l’abondance des sujets développés sur une toile bien connue (la France, un protagoniste « normal ») mais peinte avec une couleur sable, tirant sur le rouge, représentant une canicule ayant frappé le pays et où tout n’est que violence sourde – sortir de chez soi est comme entrer dans un zoo où la bienséance sociale a laissé place à l’instinct, animal, de la survie.
Revenons à notre héros, Antoine, dont la femme l’a quitté vers un endroit plus sûr. Mais Antoine reste dans leur maison et parcourt, armé d’une caméra, les environs de son pavillon à la rencontre d’anciens élèves qui ont plus ou moins mal tournés. De même, il rend régulièrement visite à sa fille, la vingtaine à bout de nez, soignée dans un hôpital à la suite d’un accident qui sera progressivement révélé – on s’en doute un peu. L’élément déclencheur sera le coup de fil de Sonia, lequel apporte des flashbacks de la jeunesse du protagoniste – instants insouciants et plein de promesses.
Néanmoins, son but change du tout au tout et se transforme en voyage (contrainte ?) vers la maison de Sonia aux fins de prélever ce qui peut être sauvegardé. Et Antoine mènera cette quête avec sa fille qu’il sort de l’institut et dont l’instabilité est encore prégnante. Aussi un triple combat se présente à lui : un devoir de mémoire alors que les supports de cette dernière (archives papier, films, espace de sauvegarde dans sa caméra) sont extrêmement fragiles ; reconstruire un rapport père/fille alors que cette dernière est loin d’être saine ; rester en vie et traverser une partie de la France alors que cette dernière est en déliquescence, en proie à la maladie et à un solide début d’anarchie – la fin est, à ce titre, inquiétante.
Ce n’est pas que Nous entrerons dans la lumière m’a laissé indifférent, toutefois l’ambiance générale ne m’a pas semblé assez originale et vive pour entrer pleinement dans l’histoire – au surplus, il n’est pas aisé de ressentir de l’empathie pour les personnages. Au moins le style de Dame Astrud est puissant, et parvient avec des tournures de phrases simples et évidentes à rendre la lecture des chapitres aisée et plaisante. Hélas, une certaine torpeur envahit un récit qui, parfois, m’a paru bien terne. En fait, Le Tigre, porté sur la SF et l’anticipation sociale, aurait voulu que ça pète à un moment. Qu’il y ait un peu de géopolitique de grande ampleur. Mais ce n’est pas l’objectif d’un ouvrage qui est plus noble que mes attentes.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
D’une part, il est question de l’importance de la mémoire. Mémoire individuelle avec la manie d’Antoine de tout photographier et filmer son quotidien tandis qu’il ressasse les anciens temps. Jusqu’à ce que son approche prenne une tournure plus « universelle » dès lors qu’il s’agit de mettre en lieu sûr un fragment de l’histoire humaine, à savoir des documentaires d’une femme talentueuse qui n’est plus là pour en parler. Le roman passe ainsi de l’histoire d’Antoine et de son rejeton de Chloé à l’Histoire (oui, le grand H.). L’entrée dans la lumière est ainsi la manière dont les protagonistes vont laisser, à leur modeste niveau, une empreinte dans la grande aventure d’un pays dont les gouvernants sont étrangement absents – à peine un ancien ministre, seule l’armée paraît être encore dans le coup.
D’autre part, et c’est peut-être ce qui a plus interpellé le félin, le lecteur pourra, en refermant la dernière page, se rendre compte qu’il a lu l’histoire d’un migrant. Remplacez n’importe quel pays lointain en guerre par l’Hexagone exsangue où l’ordre (moral notamment) s’est carapaté on ne sait où. Il en résulte un danger de tous les jours, la perte de confiance en ses contemporains et le quotidien de tout réfugié : les check point incompréhensibles, l’absence d’information fiable sur l’état du pays (entretenue par l’auteur il est vrai), et les fameux camps gérés par l’armée où passer la nuit – et où un certain ordre demeure encore.
Tout ça pour arriver à quoi ? Sauvegarder quelques éléments culturels ? Entrer dans la lumière, à savoir se faire une place au soleil et quitter ce pays dévasté ? Cela est cependant réservé aux nantis qui ont l’argent/les contacts pour quitter cet endroit maudit – sans spoiler, ça ne leur réussit pas vraiment. La lumière ne serait-elle plutôt pas la paix familiale, avec une fille bien portante et un père capable de la protéger en toutes circonstances ?
…à rapprocher de :
– Le choix ne manque pas en matière de livres d’anticipation sociale dans un monde en perdition, avec un soupçon de quête initiatique. Au débotté, Tigre pense au Monde englouti, de Ballard (attention, livre exceptionnel).
– C’est scandaleux, mais je n’ai aucune autre idée. Pour info, Michèle Astrud a publié d’autres romans. Et il est sûr que parmi ses œuvres, il y a de quoi satisfaire le fauve.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici. Ou, mieux, via le site de l’éditeur.
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