Une petite dizaine de chouettes textes enlevés et rigolards, mélangeant fantastique et douce folie, voilà de quoi s’aérer l’esprit. L’auteur en profite toutefois pour donner à quelques-unes de ses nouvelles une profondeur qui interpelle et permet de mieux réfléchir sur la condition précaire de l’homo modernus. Mickaël Auffray a de la suite dans les idées.
Il était une fois…
Un pébroque beau parleur mais hargneux ; une secte d’animaux invitant le narrateur à changer de vie ; un nain gentiment vicelard qui fait le bonheur d’un village ; un chat d’appartement qui se transforme en tigre ; un homme désespérément bavard ; etc. [le félin délivre le trailer de ces brèves nouvelles dans le désordre le plus gourmand]
Critique de Ce coquin de Félix
Avant de gentiment démarrer les hostilités, il convient de savoir que l’auteur est venu frapper à la tanière de votre serviteur afin de porter à son attention (celle du Tigre hein) l’existence de cet ouvrage consacrant son statut de primo-écrivain au sein d’une maison d’édition indépendante – désolé pour la phrase tarabiscotée. Les opportunités de lecture sont faites ainsi, et je me rends compte qu’on vient souvent me conseiller de la meilleure littérature par rapport à ce que je choisirais, au hasard, dans une librairie.
Revenons à Ce coquin de Félix. Il s’agit de la première nouvelle, qui est, à mon sens, la meilleure. Drôle, fine, avec cette légère atmosphère de contes de campagne, l’auteur attaque fort. Les textes lui succédant sont de la même veine cocasse et mordante, avec un trait qui est poussé un peu plus loin que la réalité afin d’exposer davantage les protagonistes. Ces personnages n’ont rien d’héroïque, mais ne sont ni méchants ni bêtes pour autant : ce sont souvent de braves types à qui l’extraordinaire survient (un parapluie qui se met à causer avant de vous agresser, un toucan promouvant…le Toucanisme, un chat se transformant en impitoyable félin)
Il ressort des histoires de Mickaël quelque chose de résolument sympathique, libéré et qui ne se prend pas trop au sérieux. Souvent l’absurde point le bout de son nez, et le lecteur exigeant pourra hélas être ennuyé par des dialogues que je qualifierais de nothombesques – oui, des joutes verbales telles qu’en raffole Amélie N. et qui finissent par horripiler, par exemple dans Clair obscur). Heureusement, la maîtrise du vocabulaire est relativement complète pour un jeune auteur, la sélection de ses mots n’a rien à envier à d’autres écrivains qui squattent les gondoles des librairies francophones.
La conclusion féline ? Neuf nouvelles, moins de 100 pages, l’efficacité est au rendez-vous et fait de Ce coquin de Félix le parfait compagnon pour s’évader par tranches de dix minutes. D’ailleurs, dommage que la nouvelle-phare n’ait pas été casée, en toute discrétion, au milieu du recueil. J’attendais une montée en puissance, et n’ai eu qu’une croisière pareillement rythmée (ce qui est déjà pas mal).
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
Alors, que retenir de cette œuvre ? Je ne dirais pas qu’il existe une morale unique, mais plutôt le constat de vivre dans un monde qui, à bien des égards, nous échappe. Les individus au centre des péripéties concoctées par l’auteur ne sont pas des puissants, manquent d’argent et d’amour. Ceux-ci subissent les contingences modernes et ne semblent guère habités par la révolte. Ce n’est grâce qu’à de surnaturelles rencontres qu’un début d’éveil leur sera proposé, et c’est en sorte un triste constat sur l’inaptitude du monde réel à nous enchanter. C’est même par la voie d’un animal parleur que la vérité, terrible, est évoquée :
Tu es trop faible pour modifier les règles du jeu, trop lâche pour ne pas t’y plier et trop fatigué pour les combattre.
Finalement, ces pseudo-héros ne le deviennent qu’à la suite d’extraordinaires péripéties. Ces personnes solitaires et uniques vont se révéler (sinon se sublimer) en croisant l’inattendu et en y répondant fort à-propos. Que ce soit un inénarrable bavard qui survit, sans s’en rendre compte, à force de tchatche (Si vous croisez ce type) ou un homme qui perd voiture et espoir de boulot et reçoit la visite d’une secte animale, etc. Tous les protagonistes font montre d’une certaine forme d’indépendance qui confine au comportement félin. En effet, Mickaël A. cache difficilement son amour des chats, et lorsqu’un tigre intervient dans une nouvelle, l’écrivain acquiert immédiatement les faveurs du taulier du présent blog.
Difficile de ne pas voir, dans ces piètres protagonistes, une image que l’auteur tente de renvoyer de lui – sans doute je m’avance. Ce qui explique pourquoi leur cas revêt autant de tristesse que d’admiration, pour un résultat qui n’est rien d’autre qu’une profonde tendresse. A ce sujet, le dernier texte, sorte de méta-écriture qui résume finement la problématique d’écrivain, confirme l’impression générale de la lecture : Mickaël Auffray n’est là que pour pousser notre réflexion tout en nous distrayant. Sans ambition aucune, lucide quant au pouvoir déclinant des mots dans notre civilisation.
…à rapprocher de :
– En fait, M. Auffray m’a contacté parce qu’il avait vu passer un billet du félin sur Sébastien Chagny, que vous trouverez ici (A chaque jour suffit sa haine).
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.