Jean Giraud est un génie. Même seul il parvient à faire rêver, rire et réfléchir avec peu de mots et des dessins simples mais percutants. Les six exemples de ce recueil au dessin net (presque tape-à-l’œil) et au phrasé enchanteur (y’a même du Rimbaud) offrent une idée de l’éventail du talent de l’auteur français, grand sublimateur d’une certaine idée de la science-fiction à la sauce humaniste.
Il était une fois…
Un soldat aux prises avec des monstres décidés à le manger (vraiment ?) ; un homme qui s’échappe par bien des aspects ; un chevalier à l’assaut d’une citadelle monobloc ; une balade dans un univers pas si différent du nôtre ; une enquête dans une cité immense ; la découverte d’une planète avec un seul minuscule continent…l’homme saura-t-il être meilleur qu’aujourd’hui ?
Critique de L’homme est-il bon ?
Voici six histoires plutôt courtes publiées entre 1974 et 1980 par Giraud (qui à l’époque signait déjà « Moebius ») dans divers fanzi..euh magazines de renom tels que Pilote et Métal Hurlant. La belle époque, celle où la science-fiction et la bande dessinée avaient encore le meilleur à produire (L’Incal, Dune en film, Alien) après le déluge rigolard et too much des années 60/70 – impression personnelle, merci de ne pas me chercher des noises là-dessus.
Le félin ne va pas vous conter ce dont il est à chaque fois question, toutefois en moins de soixante pages il y a fort à parier que vous retiendrez surtout la première nouvelle (qui donne son nom au présent recueil) et The Long Tomorrow qui occupe près d’un tiers de la BD. Cette dernière aventure, sorte de prélude dans un genre très Incal (scènes de sexe comprises), est une aventure policière/d’espionnage riche en rebondissements avec un héros taciturne qui a la chance de survoler les différentes strates de la société.
Les illustrations restent cohérentes dans l’ensemble, avec un trait assez gros qui néanmoins s’attache à entrer dans le détail – les murs ne sont jamais nets, l’architecture reste abondante et les visages présentent une réelle expression. Outre les scénarios, il n’est pas difficile de remarquer que Moebius a désiré s’exercer dans diverses représentations, qu’il s’agisse de dépeindre des monstres ou des méga-structures donnant le tournis. Quant aux couleurs, rien de vraiment réaliste puisque les teintes vives et peu naturelles s’allient à des tons pastels, le tout renforçant un onirisme qui sied bien aux histoires.
Quoiqu’il en soit, L’homme est-il bon ? surprend par la diversité des problématiques traitées et la manière dont l’auteur donne « sa » réponse. En moins d’une dizaine de petites aventures, le lecteur sera amusé, gentiment choqué ou amené à réfléchir à ce qu’il voit. Dans tous les cas, l’humour vaguement absurde mâtiné de fantasy renvoyant à nos contes (la table ronde du bon roi Arthur, l’Amazone reine de la jungle, etc.) rendent cet ouvrage suffisamment unique pour le relire avec plaisir.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
Le fauve supporte les textes courts dès lors qu’une agréable surprise clôt la narration. Et je fus largement servi. Entre quelque chose de banal qui se termine pareillement en eau de boudin (L’univers est bien petit), un homme dont le corps astral fait la nique aux geôliers (très poétique Double Évasion qui a quelque chose du dessinateur Quino) ou un autre dont on ne sait finalement dans quel univers il évolue (Ballade dans un pays en guerre contre les U.S.A.?), l’auteur confronte toujours premières impressions « normales » (dans une certaine mesure) avec une surprise finale qui invite à reconsidérer son intention.
A ce titre, il convient que je vous parle de la première nouvelle. A la question L’homme est-il bon ?, deux niveaux d’analyses sont offerts. D’une part, on voit un super-soldat tout en puissance paumé au milieu d’une planète qu’on suppute inhospitalière. Le gars bien bourrin qui ne pense qu‘en termes de confrontation et se hisse sur une pierre pour faire face à l’ennemi – bon, à sa place je ne le verrais pas poser son gun et tenter un pourparler. Bref, un être foncièrement mauvais. D’autre part, plus prosaïquement, Moebius demande si l’homme a bon goût. Après que notre soldat se soit fait bouffer l’oreille (que Giraud rappelle en préface être le centre – l’ultime chakra – de notre être) par ce qui ressemble à de dégueulasses orks, la réponse très « premier degré » n’est pas plus flatteuse pour notre espèce.
…à rapprocher de :
– On retrouve Moebius dans ce blog dans L’incal (un must-read) et Silver Surfer : Parabole avec Stan Lee (excellent).
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver cette BD en ligne ici.
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