Court, désarmant au début, pression montant progressivement en puissance jusqu’à une fin qui laisse hagard, Le Tigre a été au final séduit. Jaillet a un certain talent pour faire du Nothomb mais en mieux, que cela se sache. Bref, une sucrerie littéraire amère qui de surcroît laisse un arrière goût de cendres, pour faire classieux.
Il était une fois…
Le quatrième de couv’ est un extrait de la préface d’un certain Marcus Malte et n’aide pas vraiment à faire avancer le schmilblick. En fait si, j’ai découvert que ce personnage a écrit des livres capables de ravir, à l’instar de Jaillet, Le Tigre (cf. infra). Aussi voici mon résumé :
Jean et Martine sont mariés, on un enfant (qui est le narrateur de l’œuvre), seulement la famille est loin d’être heureuse. En effet, Martine fait l’objet d’un harcèlement inouï de la part de son mari, et sa réaction va bouleverser l’équilibre déjà précaire du foyer. Le narrateur nous livrera son analyse et ses impressions à l’aune de ce qu’il a pu récolter comme informations. Dont certaines remontent avant sa naissance.
Critique de La maison
Contrairement aux éditeurs (indiqués ici) qui me livrent, à une boîte postale domiciliée aux îles Caïman comme il se doit, des livres dans le cadre de leurs services de presse, c’est Nicolas Jaillet en personne qui a eu la bonté d’envoyer le présent roman au Tigre après avoir découvert une élogieuse (à juste titre) critique d’un de ses romans parus chez Folio policier (cf. infra). La déontologie du Tigre, aussi rigoureuse que celles d’un avocat et d’un CAC réunies, n’a hélas rien pu faire contre La maison.
Si j’ai eu peur des trente premières pages où je ne voyais ni où cela menait ni qui était qui dans ce joyeux bordel, les instruments de compréhension se mettent rapidement en place. L’histoire, tristement banale à ses débuts avec en toile de fond une triviale altercation d’ivrognes (dont le nouveau marié) lors d’un mariage, se dévoile plus fine et complexe au fil des (nombreux) chapitres. Et la suite gagne en intensité (avec des magnifiques pics) jusqu’à une fin un tantinet décevante : les souvenirs d’école et premiers émois sentimentaux du narrateur ne collent pas vraiment au reste du scénario, quelque chose a du échapper au Tigre.
Au final, en dégageant du compte la préface, ce sont 100 pages bien espacées qui seront vite lues. L’affaire de trois quart d’heure, on peut regretter que l’écrivain n’ait pas tenté d’en faire quelque chose de plus lourd, même si la charpente dépouillée de son texte fait merveille. Dernier mot sur le format qui peut surprendre : première publication en poche, à croire que les éditions Rue du Départ ont lu un de mes billets, ça compense en partie les 10 € que cet objet peut coûter. Car plus de 3 € le quart d’heure de lecture est susceptible en faire tousser plus d’un.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
Tout d’abord, la mémoire. Le narrateur évoque l’histoire en admettant qu’il est autant de versions que d’individus concernés, et lui-même sait l’artifice de certains souvenirs. Le terme anglais le plus adapté (et qui ne me paraît pas être traduit en français) est celui de « confabulation ». A la différence de l’affabulation qui n’est qu’invention, le préfixe « con » suggère la construction intellectuelle d’un souvenir à partir d’élements tangibles (une photographie ou les dires d’un proche par exemple).
Ensuite, les violences conjugales. L’auteur français appuie là où ça fait mal : la violence sourde, celle qui est plus psychologique que physique car suggérant sans aller droit au but, à l’instar du style de Nicolas J. en fait. C’est aussi dur à lire que le lecteur ne peut vraiment refermer le livre lors de ces passages tragiques, juste subir avec un sentiment de mal-être grandissant. Reproduction sociale ou hasard, le narrateur se détruit à petit feu lorsque Martine ne peut plus être une victime, comme si le jeune protagoniste allait au devant du comportement à venir de son père.
Enfin, la résistance et le courage dont fait montre Martine qui est fermement décidée à ne pas rester les bras croisés. [Attention SPOIL] Cette admirable femme est plus maline et déterminée qu’au premier abord et a monté son « plan » dès le mariage. Une opération de plus de 15 ans où tout sera méticuleusement calculé, à savoir partir du foyer en trouvant un boulot ailleurs et en gardant caché (sa fameuse pièce) de quoi peupler rapidement un nouvel appartement. Être parfaitement autonome en fait. Cerise sur le gâteau : Martine dégage le jour des 16 ans du narrateur, celui-ci est désormais apte à se défendre seul contre le père qui immanquablement retournera sa colère contre lui. [Fin SPOIL]
…à rapprocher de :
– De Jaillet, il y a donc le sublime Sansalina, dans le Mexique du début du siècle dernier. S’il fallait une preuve supplémentaire de l’éclectisme de cet auteur.
– Dans un registre plus « populaire » et moins crédible, il y a Darling, de Jean Teulé. Court et efficace, un bon moment de littérature également.
– Version scandinave/polar, ça donne La Femme en Vert, d’Indridason. Version irlandaise, c’est La douleur de Manfred (sans plus, y’a mieux de lui).
– En plus long et horrible, mais avec un titre très proche, je vous renvoie amicalement vers La maison muette, de Burnside. Dérangeant à souhait.
– De Marcus Malte (le gars de la préface), j’ai notamment lu Le lac des singes avec le héros Mister. Du très bon.
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