VO : Russian Spring. Dans un passé uchronique, l’Europe et la Russie reprennent du poil de la bête tandis que les States végètent. En suivant la famille d’un ingénieur de talent tiraillé entre sa patrie d’origine et son désir de participer à la conquête de l’espace, c’est une certaine histoire du monde que l’auteur francophile livre. Un peu caricaturale certes, mais point désagréable.
Il était une fois…
Tandis que les États-Unis s’enfoncent, depuis les années 80, dans une récession doublée d’une paranoïa limite raciste, l’U.R.S.S. de Gorbatchev se porte comme un charme. Tellement qu’elle va dès les années 90 rejoindre la Communauté Européenne, laquelle n’est pas loin de devenir la première puissance mondiale. Côté USA, y’a Jerry Reed, ingénieur qui voit bien qu’il n’a aucun avenir à la NASA. Côté Union soviétique, la pétillante Sonia Gagarine décide de travailler pour l’Étoile Rouge, bras économique du communisme light triomphant. Ces deux personnages vont immanquablement se croiser. Et faire des étincelles.
Critique du premier volume du Printemps russe
La préface est instructive dans la mesure où celle-ci annonce un des défauts potentiels de l’œuvre : Spinrad a voulu verser dans l’anticipation politique dans un futur trop proche. Et il s’est planté sur l’avenir du bloc communiste sur toute la ligne. Du coup, la science-fiction laisse la place à une forme d’uchronie plutôt bancale qui se concentre plus sur le destin d’une poignée d’individus que sur les grands mouvements historiques qui auraient pu advenir.
Une micro-uchronie à l’échelle d’une famille donc, avec un style d’une simplicité désarmante qui se veut largement descriptif. Tel personnage pense ceci, un autre se balade par là et l’auteur décrit sa visite avec quelques détails bien sentis, le tout avec des dialogues directs et francs que le lecteur avalera avant de passer à une autre scène – il sera souvent question de la sublime ville de Paris et d’un mode de vie européen passablement fantasmés (France = champagne + cul). Le tout par un écrivain récemment installé en France, pays dont il est indubitablement tombé amoureux. Le Tigre sait que ce roman a de nombreux défauts, pourtant l’imagination (délicieusement à côté de la plaque) de l’écrivain a quelque chose de désuet qui est terriblement séduisant.
Parlons un peu du scénario. L’automne américain, d’abord, qui présente Jerry Reed et Sonia Gagarine (rien à voir avec l’astronaute, mais elle en joue). Le premier reçoit une offre de l’agence spatiale européenne, néanmoins l’accepter ferait de lui un paria en Amérique. Qu’à cela ne tienne, sa carrière et ce à quoi il aspire sont en jeu…faut dire que la rencontre avec Sonia, baiseuse libérée de première, l’a aidé à prendre sa décision. La jeune Russe, embauchée comme traductrice à Bruxelles, montera vite en grade pour représenter le plus gros consortium contrôlé par le gouvernement russe. Le printemps russe, ensuite, développe cette histoire d’amour tiraillée entre la famille (les Reed ont deux enfants assez différents) et contexte géopolitique délicat dû à l’entrée de l’U.R.S.S. dans la C.E.E. (triple lol) sous couvert d’accords spatiaux et de radicalisation des U.S.A. qui nationalisent les avoirs européens.
En 400 pages (soit plus de 30 ans), Norman Spinrad part de deux jeunes protagonistes jusqu’à s’intéresser à leurs enfants Franja et Robert (il préfère Bobby), lequel a le cul entre deux chaises : sa vision de l’Amérique, encore pure, se heurte au comportement affligeant de ses gouvernants. A-t-il envie d’étudier en Californie et, surtout, est-ce que ses parents lui laisseront cette opportunité ? Le félin était suffisamment immergé dans ces problématiques personnelles qu’il a oublié de s’interroger sur la cohérence de l’uchronie. Combien de pays dans l’Europe unie ? Que foutent la Chine et l’Inde pendant que le Vieux Continent installe des hôtels spatiaux et s’apprête à établir des bases sur d’autres planètes ? Pourquoi certaines technologies n’évoluent pas (communications, armement, etc.) ? On s’en bat les glaouis apparemment.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
Ce qui m’a interpellé est le contraste qui s’établit si vite entre les deux blocs occidentaux. Le fauve n’évoque pas l’Europe de l’Ouest qui ouvre sans broncher ses cuiss…euh ses portes pour intégrer Moscou dans son giron – à moins que ce ne soit l’inverse. Le plus surprenant est la violente charge de Spinrad contre un pays dont il imagine les pires travers. Voici donc venu l’automne américain, cauchemar d’un pays enfermé sur lui-même qui ne survit que grâce à son complexe militaro-industriel et quelques opérations en Amérique du Sud – entre deux réévaluations du dollar. Travailler à l’étranger est suspect (Jerry en fera les frais), l’éducation est remaniée (programmes salement réécrits, les universités ont perdu leur lustre d’antan) et la populace entretenue dans une haine perpétuelle contre les bouffeurs de haricots (le Mexique sur le point de perdre la Basse Californie) et les Europines – sans parler des vilains Rouges. Rien à voir avec l’Amérique des années 50/60 que cherche à enseigner Jerry Reed à son fils, nation ouverte pour qui la course à l’espace n’avait pas un but strictement militaire.
La politisation est une constante d’un roman qui s’attache à rendre compte des luttes de pouvoir et leur impact sur une famille atypique – mère russe, père américain avec passeport européen. Le parcours professionnel de Reed est régulièrement soumis à des considérations politiciennes qu’il abhorre. Ne pas être nommé directeur de tel programme en raison de sa nationalité, laisser la place à un Russe conformément aux accords sur le programme eurorusse, ça épuise. Quant à Sonia, sa position fait qu’elle ira jusqu’à être « invitée » à plus ou moins rapporter à ses supérieurs des conversations avec son époux. L’antagonisme Américano-popov sera à son comble lorsqu’il sera question des études du jeune Robert Reed, au point de faire péter l’unité d’une famille.
Dernier petit point : il est évident que Spinrad a donné un peu de sa personnalité aux Reed (père et fils). Les deux hommes suivent un parcours similaire consistant à s’éloigner de leurs proches pour se confronter à l’étranger – une contrée honnie dans leur patrie. Dans les deux cas, il semble que le protagoniste, après découverte du charme du pays visité (laquelle passe par quelques agréables expériences sexuelles), revisite ses a priori et prenne une décision difficile. Avec Spinrad, s’installer à l’étranger est potentiellement une trahison, mais nul n’est prophète en son pays, et puisque les voyages forment son homme…et bla bla bla.
…à rapprocher de :
– Le second volume (en lien), bof. Au moins c’est terminé.
– De Spinrad, le félin a surtout pris son pied avec Rêve de fer – attention, uchronie second degré.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.
Ping : Norman Spinrad – Le Printemps russe, Vol. 2 | Quand Le Tigre Lit
Au départ, ce n’était pas une uchronie mais une anticipation… J’ai ressenti le même enthousiasme à lire ce beau livre de Spinrad, et du coup en dix-huit mois je me suis mis à lire tout ce qu’il m’était possible de dénicher qui portait son nom.
La dernière nouvelle du recueil « Les Années Fléaux » se passe dans un univers très proche de celui du « Printemps Russe » au passage.
Ping : Norman Spinrad – Rêve de fer | Quand Le Tigre Lit