VO : Russian Spring. Dans un futur uchronique, l’Europe et la Russie marchent main dans la main vers des succès spatiaux tandis que les États-Unis se radicalisent…pour longtemps ? D’une apprentie cosmonaute à un journaliste américain d’origine européenne, l’auteur francophile termine sa saga avec un happy ending tant attendu que sirupeux. Ai connu mieux.
Il était une fois…
La Communauté Européenne (dont une U.R.S.S. libéralisée), première puissance mondiale, poursuit sa course à l’espace grâce à l’esprit visionnaire de quelques-uns – appuyés le bras économique des États. Sonia Gagarine, fille d’une apparatchik soviétique et d’un ingénieur Américain, s’envole dans les cieux. Pendant ce temps, son frère assiste impuissant au repli d’une Amérique qui n’est plus l’ombre d’elle-même. Si tout oppose ces deux personnages, les circonstances vont les rapprocher jusqu’à une étreinte familiale aussi touchante que dramatique.
[le quatrième de couverture évoque la découverte d’une espèce E.T., franchement cet aspect, anecdotique, n’a rien à foutre ici]
Critique du premier volume du Printemps russe
Plus d’une décennie après le premier opus, l’auteur américain s’attache à conter les destins des deux enfants de Jerry et Sonia Reed. Du coup, ce qui ressemblait aujourd’hui à une uchronie assez cocasse se transforme en une anticipation sociale qui hélas repose sur des prédicats irréalisables – libéralisation de l’U.R.S.S. ou départ en sucette des States.
Tout d’abord, il y a le drame humain. Les membres de la famille Reed, aux cœur des évènements mondiaux, sont plus que jamais soumis à des forces étatiques (politiciennes) qui leur fait prendre des décisions à l’encontre de leur volonté. Imaginez un Bobby terrifié par la voie que prend son pays d’adoption, et qui doit suivre et couvrir (en tant que journaliste) une politique U.S. faite de haine et de vulgaires faits divers. Pendant ce temps, sa sœur, émérite ingénieure à Moscou, se retrouve (pour des raisons politiques là encore) à jouer les « singes de l’espace », c’est-à-dire assurer les réparations de divers vaisseaux dans une station spatiale paumée dans l’espace – le lecteur pourra passer sur l’aspect réaliste d’un tel garage dans les cieux et des conditions de vie (avec le cul omniprésent).
Au milieu de ces extrêmes, un père presque mis au placard et victime d’un accident, et une mère contrainte à divorcer pour préserver son avenir professionnel. Et toutes ces lignes narratives de se regrouper, notamment parce que Jerry Reed, qui se sait condamné, entamera une dernière quête.
Ensuite, Le Tigre tient à rappeler la force du roman : l’écriture fluide et sans fioriture de Norman Spinrad. Sujet-verbe-complément, avec des descriptions sobres et un style qui ne cherche pas à verser dans la « littérature », pour un résultat efficace qui participe à l’impression de survoler (dans le bon sens du terme) un roman où, pourtant, les péripéties sont nombreuses. Très certainement les encarts d’articles de la presse américaine et européenne/russe aident à prolonger l’immersion, sans compter le vocabulaire assurément familier lorsque certains protagonistes prennent la parole – les relations/dialogues d’insultes entre le Vice-POTUS et le POTUS sont très réussis.
Pour finir, mis à part la facilité de lecture et les quelques bonnes idées d’anticipation sociale, le félin a trouvé que ces deux opus (qui, au passage, auraient très bien pu tenir en un seul ouvrage) manquent de grandeur. C’est passable, mais sans le « sense of wonder », ce petit truc qui vous pète l’esprit ou vous détache des contingences de ce bas monde. Si le réalisme politique est présent, l’aspect SF a ce quelque chose de suranné et qui vieillit sacrément mal.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
L’Amérique reste dans un piteux état, jusqu’à la partie dénommée (assez logiquement) Le Printemps américain – a contrario, la Russie paraît s’embourber dans de vilaines luttes entre « ours » nationalistes et europhiles. Tout part de la bande de joyeux lurons que fréquentait Bobby, de dangereux gôchistes (d’un point de vue U.S.) qui décident, pour faire parler d’eux, de se présenter à chaque élection. Et puis ça marche, une connaissance de Bobby, Nathan Wolfowitz, se voit catapulter Vice-Président (nommé par un Président qui le haït) puis Président. Après un petit temps de flottement (Nathan n’imaginait pas une seconde occuper ce poste), l’Amérique reprend du poil de la bête. Et la renaissance passe par l’ouverture totale – et c’est là le message politique fort de Spinrad.
Le principe est le suivant : les USA ont laissé une ardoise énorme en Europe, et leur seule force consiste en une force militaire spatiale écrasante – des satellites prêts à casser n’importe quel jouet européen. Le deal de Wolfowitz est simple : créer une sorte d’Alliance Occidentale, de l’Alaska aux confins de la Sibérie. L’Amérique propose d’entrer dans la CEE et, pour être acceptée, donnerait en échange le contrôle de ses armes. Une proposition qui a tout du bluff, mais est en réalité un mouvement stratégique digne des plus grands joueurs de poker – ce dont est Nathan.
Et l’Inde, le Japon, la Chine ? Nada.
Un autre fil directeur est la recherche d’une certaine forme d’immortalité. A la suite d’une explosion, Jerry Reed ne peut survivre que sous une lourde assistance technologique (rendue possible grâce à la technique soviétique), hélas ça ne suffira pas. Reed s’attache dont à laisser son empreinte : finaliser un projet de super-vaisseau dans lequel il veut voler (malgré son état) ; et trouver le moyen de sauvegarder son esprit (et son corps) dans un système pérenne. S’ensuit une petite course contre la montre, avec l’aide de son fils, consistant à s’informer sur les techniques de « vitrification » du cerveau et autres joyeusetés. Principes certes séduisants, mais la justification « scientifique » relève plus d’un fanzine de SF que d’une revue médicale.
…à rapprocher de :
– Le premier épisode (en lien), qui a ma petite préférence, doit être évidemment lu avant le présent opus.
– De Spinrad, le félin a surtout pris son pied avec Rêve de fer – attention, uchronie second degré.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.
Ping : Norman Spinrad – Rêve de fer | Quand Le Tigre Lit
Ping : Norman Spinrad – Le Printemps russe, Vol. 1 | Quand Le Tigre Lit