VO : Die Taube. A mi chemin entre le roman et la nouvelle, Süskind fait (encore) montre d’un grand talent. Malgré un début qui met un certain temps à me faire frisonner l’échine, la montée en puissance du scénario, simple mais efficace, apportera à tout lecteur une intense satisfaction. Voici comment la phobie peut confiner au suicide, du moins celui de ses plans de vie.
Il était une fois…
Jonathan Noël est un homme aux gouts simples et à l’existence d’une rare banalité, pour ne pas dire monotone. Tout est bien réglé dans sa vie, jusqu’à un terrible (sic) incident : un pigeon est dans le couloir où se trouve sa chambre de bonne. A partir de ce moment, la journée va sérieusement partir en quenouille.
Critique du Pigeon
J’ai rapidement lu ce roman après le majestueux (quoique fort violent) Le Parfum, et encore une fois je m’émerveille comme une collégienne du talent concentré de l’auteur germanophone. Ce n’était pas gagné, car le début est loin d’être exceptionnel, heureusement que Patrick S. a eu la bonne idée d’expédier les trente premières années du héros en une paire de pages.
L’histoire commence réellement pendant le mois d’aout 1984 (nom de Zeus, je n’étais même pas né à l’époque), avec un minuscule intrus près du non moins petit appartement de Jonathan. La description du pigeon, animal anodin dont l’œil est « monstrueusement ouvert », est superbe à côté de la réaction extravagante du héros. Car ce dernier, non paré à cet accident, va devoir faire preuve d’initiative comme jamais. Du calcul des conséquences matérielles et financières du fait de ne pas retourner temporairement chez lui à la perte de ses moyens pendant son taf d’agent de surveillance, l’auteur a pensé à tout.
Ce qui m’a autant surpris que légèrement déçu est le fin mot de l’histoire : je m’attendais à quelque chose de terrible et grandiose, et en fait non. Süskind s’est finalement amusé avec nous le temps d’une journée exceptionnelle, et ça ne m’étonnerait pas que derrière cette grosse nouvelle il faut simplement retenir que peu importe ce qui nous tombe sur la gueule, il y aura toujours pire ou plus original ailleurs.
Moins de 100 pages, des chapitres au final assez longs, comptez deux bonnes heures pour en venir à bout. Certains passages descriptifs peuvent être rapidement lus, toutefois ce n’est pas réellement le but de ce genre de lecture.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
La vie pépère (et surtout comment tout ça peut être brisé) est au cœur du Pigeon. Jonathan Noël a un « business life plan » de toute beauté : pas de mariage (mauvais souvenir auparavant) ; même logement (si on peut appeler ça ainsi) loué sur Paris qu’il est sur le point d’acheter ; la retraite qui arrive bientôt, en fait les années qui arrivent comme chaque journée sont soigneusement minutées et ne laissent aucune place à l’improvisation. A la limite, le pigeon serait le héros du roman que ça ne m’étonnerait pas.
Le plus choquant, dans l’existence de Noël, est qu’il a introduit le paramètre humain comme source d’emmerdements. Pour faire simple, il est d’une misanthropie à couper le souffle. Rien que le peu d’estime qui porte en la concierge (grosse, au teint blafard, je vous laisse imaginer le tableau) est révélateur de sa paranoïa : celle-ci saurait tout de lui, ses habitudes, ses manies, ce qui le dérange profondément. Ses collègues de boulot, le patron de banque à qui il ouvre le portail ? Apparemment inconnus au bataillon. Un loup solitaire, mais sans ce petit aspect « élitiste » d’un Hermann Hesse.
Corollaire de ce comportement intensément égoïste, Suskind m’a intensément fait sourire avec le passage sur le clochard. Pour être bref, le protagoniste enrage de voir un tel bonhomme ne rien foutre, mener une vie dissolue et manger à sa faim en plus d’être toujours en vie. Là où ça devient franchement fun, c’est quand Jonathan s’aperçoit, avec soulagement, que sa vie est bien meilleure dans la mesure où il n’a pas à devoir s’abaisser à chier en pleine rue. Voilà à mon sens le parfait exemple du petit confort bien propret de l’époque d’après-guerre.
…à rapprocher de :
– De Süskind, Le Tigre s’est notoirement régalé avec Le Parfum. Atemporel, et encore une histoire qui se passe en France.
– Puisque j’y faisais référence, Le Loup des steppes, de Hesse. Même si me suis sévèrement ennuyé dessus.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce court roman via Amazon ici.
Ping : Patrick Süskind – Le Parfum | Quand Le Tigre Lit
On m’en avait vante les merites… Le gars Noel n’est pas vraiment des plus sympathiques, se permettant de mepriser tout le monde et en particulier ceux qui lui sont inférieurs socialement.
Sur le thème du délire et du décalage avec la société, j’avais trouve Martin Page bien plus inspirant, en particulier dans « Comment je suis devenu Stupide ».
En effet, j’ai oublié de signaler à quel point « l’anti héros » est patibulaire, avec une sorte de mépris très mal distribué. Je ne connais pas Martin P., vous allez encore me faire lire un roman vous…
Si le Tigre se sent parfois trop intello face a la TV. Si le Tigre trouve au fond de lui son boulot assez vain. Si le Tigre se demande pourquoi on valorise plus le pognon que la culture et le savoir, alors le Tigre devrait prendre 40-60min pour lire « Comment Je Suis Devenu Stupide ».
Deux bouts de soirée. Je l’ai lu comme vous. Ce qui horripile aussi Jonathan, c’est la LIBERTE du clochard, mais il est bien incapable de l’imiter, notamment à cause de l’anecdote que vous citez et qui représente pour lui la déchéance ultime. Tout à la fin, je retrouve l’idée d’un « parfum », puisque c’est l’arôme du café de Mme Lasalle, alors qu’il est dans l’escalier, qui le fait revenir sur terre et éloigne la peur : il peut enfin affronter le couloir, libéré (le couloir et lui !) de sa phobie.
« Manger à sa fin », vous l’avez fait exprès ? 8-)) Sinon il me manque qq mots dans le 1er § des Thèmes.
Trouvé le Pigeon dans ma bibliothèque, ce sera pour ce soir. Le Parfum, dont j’ai plusieurs fois lu le début, toujours un peu plus loin … mais jamais terminé, tellement c’est violent et angoissant. Bcp de plaisir qd mm, du très grand art.
Corrigé, merci Ziggette ! Et bonne lecture