Dans un univers dystopique assez inquiétant existe un homme sur le point d’être pendu. Comment en est-il arrivé là ? Mérite-t-il sa mort ou est-il une énième victime d’un impitoyable système ? Scénario dérangeant (car nous prenant de court sur des thèmes actuels) servi par de noires illustrations, voici une petite claque comme Le Tigre les aime.
Il était une fois…
Copier-coller du quatrième de couv’, non pas parce que j’ai la flemme, mais que celui-ci n’est point mauvais du tout :
« Quand on s’coltine la moitié du globe à pinces pour finir avec une corde autour du cou, on s’dit qu’on aurait mieux fait de rester chez soi. «
Critique de Edgar ou les tribulations d’un pendu
Lorsque Le Tigre a acheté ce bouquin d’un éditeur indépendant que j’aime bien, très honnêtement il ne s’attendait pas grand-chose d’un roman graphique supputé comme obscur, sinon underground. Bah j’ai (encore) eu tort, ces 120 pages furent dévorées sans reprendre ma respiration – enfin presque. Un vrai plaisir.
Edgar est donc dans un bar, et cherche à se faire servir le plus de verres possibles. Pour cela, il raconte son existence au taulier, de son errance dans une Europe dévastée à son arrivée dans une île de repos, en passant par sa participation à une guerre qui n’est pas sans rappeler la « Der des der ». Le héros, qui n’en n’est pas vraiment un, parvient à de nombreuses reprises à sauver sa petite peau de façon très habile (parfois lâche) tout en étant ballotté par les impondérables que peut rencontrer tout vagabond – péripéties qui dépendent plus des puissants que des actes d’Edgar. Plus le lecteur tournera les pages, plus la brutalité et l’iniquité du système se feront pressantes et déterminantes.
Quant aux illustrations, au premier abord on pourrait penser qu’Elena Vieillard ne s’est guère foulée, le noir et blanc associé à un trait relativement grossier prive n’offre que trop rarement de satisfaisantes planches question architecture, reine de l’immersion – sauf rares exceptions. Mais à y regarder de plus près, les quelques indices géographiques lâchés suffisent amplement pour donner envie d’en savoir plus, sans compter les personnages dont le rendu, largement exagéré (le vice dégouline de leurs traits), paraît parfaitement adapté au scénario quasi kafkaïen mais dramatiquement crédible.
En conclusion, ce roman graphique mérite définitivement d’être lu (et relu) : non seulement la lecture, fluide, permet de se lier rapidement aux personnages et à leur dérangeante histoire ; mais le lecteur sera plus d’une fois interpellé par la justesse des messages délivrés par la BD, qui sont extrêmement pessimistes quant à la nature humaine. Tout ça de la part d’auteurs qui sont nés au milieu des années 80, le félin est passablement jaloux.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
Un autre tour de force d’Ariel Pelaprat (le scénariste) est la manière dont il distille un certain mystère sur l’environnement politico-social dans lequel évolue notre pauv’ Edgar. Car c’est un monde désorienté soumis à des catastrophes renvoyant à différentes craintes : les grands mouvements migratoires au sein d’un pays, la fuite via l’océan, les intimidants ensembles urbanistes désertés, ou encore les lieux plus ou moins « sacrés » (musées par exemple) à l’inutilité flagrante. La civilisation occidentale à la ramasse, ce n’est guère joli à voir – et que dire alors des hôtes plus orientaux…
L’exil et l’immigration sont traités de façon assez originale, à savoir à l’envers de ce qui est communément représenté : Edgar le Français, face à la déroute totale de son continent, doit partir de l’autre côté de la méditerranée. Là où des militaires (qui ressemblent à Kadhafi) lui mettent un flingue entre les mains et le contraignent à guerroyer contre la promesse d’un lopin de terre – à peu près l’argumentaire de l’Empire Romain, hé hé. Notre émigré forcé, à force de bravoure et de coups bas (qui l’en blâmerait), survit tant bien que mal. Ainsi, le statut de l’immigré violent et fourbe nous parvient par un chemin détourné (réaliste par rapport à ce qu’on peut entendre), avec les horreurs qu’il peut subir. Tout ceci est délivré avec un humour noir qui fait mouche, comme pour souligner l’ironie de la quête d’un lieu où s’établir, objectif légitime mais impossible.
Edgar, parce qu’il n’est que trop bien adapté par la bassesse de son temps, ira donc jusqu’à survivre ? La fin, certes facile, n’en reste pas moins superbe.
…à rapprocher de :
– Étrangement, les illustrations m’ont rappelé Escapo, de Paul Pope. Belle histoire initiatique également.
– Quant aux horreurs rencontrées par un migrant, il y a Dans la mer il y a des crocodiles, de Fabio Geda. A lire absolument.
– On retrouve Elena aux pinceaux pour illustrer les faux (mais excellents) proverbes de François François Szabowski dans La famille est une peine de prison à perpétuité.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.
Ping : François Szabowski – La famille est une peine de prison à perpétuité | Quand Le Tigre Lit
Mon libraire était fermé je suis donc passé par le Tigre pour l’achat ! Avec les délais de livraison en période de fête je ne devrais pas pouvoir lire l’ouvrage avant 2015 mais merci pour le conseil.
La pieuvre
Tu viens de me faire gagner 1 euro. Béni sois-tu. T’aurais bien filé mon exemplaire en attendant, hélas je l’ai tamponné à mes initiales – sans compter la dédicace des auteurs…
Merci le Tigre.
Ca a l’air interessant. Je vais le mettre dans ma liste au Pere Noel.
De rien, heureux d’avoir de tes nouvelles. Je vais faire pareil – pour offrir hein.