Sous-titre : Immersion au cœur de la Brigade de répression du banditisme. « Immersion », le mot est lâché. Et bah cet essai graphique est plus que réussi : en suivant pendant quelques semaines la BRB, l’auteur a su dresser une trame narrative captivante servie par des illustrations presque parfaites. Ça change définitivement des reportages vus sur le très petit écran.
De quoi parle Enquêtes générales, et comment ?
Depuis 2010, Raynal Pellicer demandait régulièrement au 36, Quai des Orfèvres (l’adresse mythique de la populace gallinacée parisienne) de venir squatter chez eux pour faire un petit essai de son expérience. Deux ans après, son vœu est enfin exaucé. Du moment que l’auteur change le nom des protagonistes et que les dessins ne représentent pas leurs vraies gueules, il a carte blanche (à une exception près, je reviendrai dessus…).
Le résultat est une passionnante biographie qui traite du quotidien de la BRB, section « enquêtes générales », c’est-à-dire tous les braquages relatifs à des montants supérieurs à 300 000 boules. Du sérieux donc. Tigre parle bien d’un ouvrage biographique, car avec Lemoine, Morel, Surfeur, Belko, Letellier, Lucas, Manu, et tant d’autres, l’empathie est maximale. Empathie vis-à-vis de ceux qui franchissent la ligne rouge également, certains inspirant la pitié plus qu’autre chose (les transcriptions des interrogatoires sont édifiantes, la mauvaise foi se disputant au stress).
Cette facilité à entrer (sans vouloir en sortir) de cet ouvrage est due certes au récit, sobre et bien dosé, mais surtout grâce aux illustrations qui prennent des airs de grands tableaux. Portraits somptueux, efforts réels sur l’architecture, correctes scènes d’actions par caméras interposées, l’harmonie du dessin et du texte est osmotique. Pas étonnant dans la mesure où Titwane s’est appuyé des photos prises par Pellicer, toutefois je soupçonne l’illustrateur d’avoir passé des semaines entières à produire ces planches.
Bien sûr que ce n’est pas parfait comme essai, toutefois chercher la petite bébête relève de la gageure. En vrac, Tigre pourrait regretter que le « temps des flics », fait de longues enquêtes qu’on reprend quelques semaines après, passe parfois mal en BD dans la mesure où il faut se replonger dans une vieille intrigue dont on se souvient moins que les policiers. Comme les forces de l’ordre le précisent, ça peut se précipiter comme ça peut être au point mort.
De même, il faut savoir qu’une des conditions à la publication de ce titre est la revue, par les services, de son contenu. Rien de plus normal, et ne me faites pas prononcer le mot « censure » hein ? Néanmoins, rien sur les états d’âmes ou égarements de nos héros dont le seul défaut semble consister à parfois fumer dans le bureau. Du tabac bien évidemment. Mais en l’état, rien ne viendra gâcher la lecture. Foncez les amis.
Ce que Le Tigre a retenu
Comme je l’ai brièvement expliqué, si ce qui est dit ne reflète que le point de vue des flics (et non pas des « baveux » ou juges), la façon dont les arguments sont avancés est claire et sans parti pris excessif, ce qui est relativement agréable.
Pour commencer, l’impunité dont jouissent quelques malfrats est révoltante. En première partie de l’essai, la brigade a affaire aux fameuses « pink panthers », couillus bandits balkaniques qui fracassent les vitrines des bijouteries avec un naturel déconcertant. Les opérations sont de plus en plus audacieuses, et entre deux braquos les mecs vont se reposer tranquillou dans leur bled en Serbie ou en Albanie. Ils y sont comme des rois, et toute mesure contre eux est vouée à l’échec à cause de la corruption ambiante (procureurs, politiques, tous sont aux ordres). Heureusement que l’UE est venue mettre un peu d’ordre dans ce bordel.
Ensuite, la traque des grands criminels prend souvent une tournure ludique. Ça se regarde de loin, on déroule le fil d’un vol, d’une intrigue, d’une histoire en fait, et on frappe au moment opportun quand les preuves sont suffisantes. Car il s’agit de monter un dossier en béton pour le juge d’instruction, supérieur de la Brigade. D’ailleurs, les dernières pages avec l’intervention d’un de ses juges est énormément éclairante, un point de vue extérieur est apprécié (notamment sur la notion d’objectivité et le principe de l’enquête à charge et à décharge). Sinon, les vilains se savent surveillés, aussi l’image du chat et de la souris m’est plus d’une fois venue à l’esprit.
Enfin, la difficulté d’un tel métier qui s’avère souvent ingrat. Rédactions monstres de PV (des centaines de pages), analyses des fadettes, nos flics ne comptent pas leurs heures. Puis vient la récompense, qui peut être la visite d’un ministre ou le plaisir d’avoir presque compris l’alpha et l’oméga d’un braquage. Fin du fin, il n’est pas rare que certains braqueurs, à l’ancienne, félicitent en off les poulets pour le travail qu’ils ont abattu.
…à rapprocher de :
– Concernant le quotidien d’un flic de renom, y’a l’essai de Martine Monteil qui est presque un passage obligé.
– Côté sombre, Dominique Manotti (auteur engagée hein, et c’est une fiction) et son Bien connu des services de police avait plu au félin.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce titre en ligne ici.