Sous-titre : Un roman dans la Deuxième Guerre mondiale. VO : Hitler’s Peace. Courant octobre 1943, Roosevelt, Churchill et Staline doivent se rencontrer à Téhéran pour discuter du sort de l’Allemagne (et accessoirement préparer la suite des réjouissances). Sauf que l’endroit est truffé d’espions. Somptueux pavé difficile à apprivoiser (du moins au début), en ce qui me concerne j’ai été transporté.
Il était une fois…
Alors que ça commence à puer le sapin pour les Nazis, les « Trois Grands » décident de taper la discute IRL (in real life) en Iran. Ayant vent de la petite sauterie, Hitler a l’idée de les tuer en bombardant le lieu de rendez-vous – avec une escouade de SS d’origine ukrainienne. Entre Roosevelt qui traverse l’Atlantique, Churchill accroché aux basques des Américains, Staline qui pète de trouille dans un avion ou le Shellenberg qui prépare l’opération « Triple Saut » pour buter les trois gus, une pétée d’espions et d’autres correspondants (doubles pour certains) de l’ombre s’agitent comme des puces autour d’une rendez-vous qui ne se passera pas comme prévu… [paye ta phrase de cinq lignes avec autant de prépositions]
Critique de La paix des dupes
600 pages, chapitres non séparés par une page. Oh le cochon. Était-ce vraiment nécessaire de faire péter un ouvrage aussi lourd ? Connaissant l’auteur britannique et sa propension à développer son intrigue pour une immersion presque parfaite, Tigre ne voit guère où trancher dans le lard littéraire aurait été possible.
Revenons à l’édifiante histoire de nos barbouzes en plein conflit mondial. Des États-Unis à l’Allemagne, en faisant quelques détours par l’Égypte puis l’Iran (alors plutôt favorable aux Nazis), le félin a été introduit dans un épisode assez méconnu du début des années 40 : la conférence dans la capitale perse, bien avant celle de Yalta, était la première dans son genre. L’écrivain propose d’étudier les problématiques de chaque camp (l’URSS dans une moindre mesure) avant le fameux rendez-vous, que ce soient les recherches sur le massacre de Katyn ou les péripéties du voyage du fragile Roosevelt et d’un de ses traducteurs (Mayer). Évidemment, la concentration d’autant de représentants de grandes puissances attire forcément des envies de décapitation en mode « une pierre trois (sinon plus) coups ».
Vous l’aurez compris, le nombre de protagonistes est assez élevé. Cependant l’écrivain parvient à se concentre sur une paire d’individus : Schellenberg, SS qui organise et présente à Himmler l’opération Triple Saut (qui a réellement existé), mais surtout Willard Mayer, véritable ancre narrative du roman. Le philosophe américain, entraîné dans l’Histoire aux côtés des chefs d’États, sera le personnage que le lecteur connaîtra le plus intimement, et auquel il est le plus facile de s’identifier – les chapitres le concernant sont livrés à la première personne du singulier, il est vrai que cela aide.
En guise de conclusion, si le félin n’a pas attribué la meilleure note, c’est à cause des quelques clichés qui parsèment la lecture de l’œuvre. Très très difficile à suivre pour qui ne s’intéresse pas particulièrement à cette période de l’histoire. De même, Kerr a contraint Le Tigre à frénétiquement compulser ses livres d’Histoire. Où commence la fiction et l’imagination ? Quand est-ce que le lecteur commence à se faire embrigader dans une progressive uchronie savamment contée ? Quels protagonistes ont réellement pu avoir ce type de comportement (je pense notamment au sanguinaire Beria) ? A vous de le découvrir.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
Tout d’abord, qui sont ces dupes ? Tout le monde en fait. L’Allemagne dont les communications secrètes sont cassées à mesure que ses armées subissent le même sort – tout en espérant une paix séparée avec les Anglo-saxons, paix qui viendra finalement sous une forme inédite. Les Russes, qui ont déjà perdu des millions de soldats et continuent à se saigner tandis que le très capitaliste Staline accepterait des compensations financières contre la fin des hostilités. Les Américains, obligés de se pointer en Iran, sans compter un FDR (Roosevelt) diminué qui offre beaucoup aux Soviétiques. Les Britanniques qui semblent plus tenir la chandelle qu’autre chose. Tous sont suspicieux et, ayant peur de se la faire mettre, font preuve d’un incroyable cynisme. [et je ne parle pas des pays de l’Est de l’Europe, dont le passage d’Hitler à Staline ne représente qu’un changement de façade].
La signification du terme « dupes » prend néanmoins toute sa saveur dans les derniers chapitres. Désolé mais ce paragraphe va salement spoiler. Vous voilà prévenus. La kolossalle überraschung vient de Hitler qui, en fait, participe à la conférence de Téhéran. Voui voui, l’Histoire ne s’est pas déroulée de cette façon. Et les pourparlers entre les participants, hallucinants, n’en restent pas moins réalistes. On y voit à quel point les objectifs de chacun sont irréconciliables, et pourtant ils sont à deux doigts de former une paix honorable (d’un point de vue nazi surtout). Après l’échec des négociations, les Allemands n’agissent plus que pour le pire.
Enfin, ce roman permet de mesurer le nombre impressionnant d’espions, agents, etc. qui se branlent la nouille entre eux dans un joyeux bordel où les relations personnelles, déterminantes, amènent à des situations inextricables. Notamment le protagoniste, personnage un peu falot mais au pedigree diablement intéressant : ayant connu les grands pontes du nazisme lors de son séjour en Europe, passé coco, proche du NKVD, acoquiné avec une noble polonaise, Willard est l’essence même de la duplicité d’une période où les arrangements opportunistes écartent toute morale.
…à rapprocher de :
– Tigre est la première groupie française du bon Kerr. Si cela devait achever de vous convaincre : La Trilogie berlinoise d’abord, un doux plaisir qui nous introduit à son héros de premier plan, Gunther. S’ensuivent La Mort, entre autres ; Une douce flamme ; Hôtel Adlon ; Vert-de-gris ; Prague fatale ; Les Ombres de Katyn ; La Dame de Zagreb etc.
– C’est amusant, mais un protagoniste revient assez souvent dans les chapitres (on parle de lui) : il s’agit de Felix Kersten, masseur du chétif Himmler. Si vous voulez en savoir plus, allez donc découvrir Les mains du miracle, de Joseph Kessel.
– Sur la politique-fiction qui part plus en sucette, en BD, je vous enjoins grandement à découvrir la saga Block 109 (ouvrage fondateur ici).
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.
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