VO : Berlin Noir. Regardez seulement la couverture. Digne d’un film de propagande nazie (Riefenthal’s style), tous ces jeunes corps prêts à être sacrifiés. Mais ici rien sur la guerre, les manoeuvres, la grande politique. Seulement une personne, Bernie, berlinois de son état, qui est embarqué dans trois longues enquêtes. 1.000 pages, c’est un peu dur certes, mais ça les vaut largement. A mettre entre toutes les mains.
Il était une fois…
L’été de cristal : 1936, Bernie, détective privé, est sollicité par un riche industriel pour retrouver ses bijoux volés (sachant que sa fille a été assassinée pendant le vol).
La pâle figure : 1938, le privé a réintégré la police criminelle, et part sur les traces d’un serial killer sur fond de crise des Sudètes.
Un requiem allemand : 1947. Entre Berlin en ruines et Vienne, entre dénazification et nécessité de recruter des éléments pour espionner russes et américains, notre héros désormais marié subit de plein fouet les débuts de la guerre froide à venir.
Critique de La Trilogie berlinoise
Petit coup de gueule pour commencer. La traduction du premier titre, certes bien trouvée, mais rien à voir avec l’original, « March violets ». Les violettes de mars, ce sont les adhésions en 1933 (après les élections) au parti nazi qui se sont accélérées. Du coup, pour prouver sa loyauté, il était bon d’avoir un numéro d’enregistrement au parti le plus faible possible. Je vous laisse imaginer les petits trafics que ça provoquait, et le livre en parle. Voilà pour les 30 secondes de culture G.
La trilogie : trois magnifiques romans où on accompagne Bernie, policier puis détective privé dans des intrigues tout à fait bien ficelées. Je vous avoue que je ne me souviens plus très bien des histoires dans leurs détails. En revanche le suspense, correct, est à chaque fois assorti de retournements qui ont lieu à tout moment, pas forcément qu’à la fin d’un tome. Plus important : au-delà de l’histoire Kerr est parvenu à rendre compte de l’ambiance de l’Allemagne hitlérienne et post nazie de manière magistrale.
Enfin, ça se lit d’autant mieux que le personnage de Bernie Gunther est savoureux à souhait. Cynique, à l’humour parfois corrosif, malgré ses métiers et les personnes qu’il amène parfois à fréquenter, le héros a un réel bon fond. Il le prouve à chaque opus, et pour le clin d’oeil au lecteur occidental il n’hésite pas à taper méchamment sur les soviétiques.
Ecriture agréable à lire, expressions de Gunther de temps en temps bien trouvées, jugez plutôt :
[…] La concierge était une pute en fin de carrière. Ses cheveux paraissaient aussi naturels qu’un défilé au pas de l’oie dans Wilhelmsrasse, et elle devait avoir une main enfouie dans un gant de boxe lorsqu’elle s’était appliqué son rouge à lèvres […]
Il faut lire ce pavé en 10 jours, voire deux semaines : au-delà, c’est que vous n’avez pas accroché et ça ne sert à rien de continuer au risque de perdre le fil du scénario.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
La vie avant, et après la guerre. Le Tigre ne connaît pas le travail de documentation de Philip K., mais le résultat est là. On s’y croirait presque, toutes les étapes du Reich millénaire sont livrées intelligemment : l’excitation des JO qui vont avoir lieu et le nettoyage de la capitale que cela implique, la frénésie guerrière à coups de bluff, et enfin la gueule de bois, dix-huit mois après le conflit. Rien sur le déroulement du conflit, à part qu’on sait que Gunther, avec son matricule SS tatoué, avait oeuvré sur le front est.
Les grands hommes de l’Histoire, vus par le commun des mortels. En règle générale, le lecteur se voit offrir un aperçu convainquant des pensées et réactions des gens de cette époque trouble. Et ici pas n’importe lesquels, puisque Kerr se permet de faire intervenir quelques personnages d’envergure de cette période. Bernie Gunther garde tout son mordant face au puissants qui font certes des passages fugaces (sauf peut-être dans le dernier tome). Himmler lors d’un enterrement, Goering à une soirée mondaine pour ne citer qu’eux. La description du gros Goering, avec ses yeux de félin, son air d’halluciné sous opium (ses petites pilules) est tout simplement superbe.
Le plaisir à moindre prix. Face au succès de cette saga, les trois romans (plus de 300 pages chacun) sont sortis sous un même livre, ce qui est à saluer tant d’autres auteurs nous font l’inverse : Agotha Kristof, par exemple, ce sont trois romans de 100 pages, chacun au prix fort.
…à rapprocher de :
– La mort, entre autres, du même auteur, est la suite. Si vous aimez, autant lire Une douce flamme, Hôtel Adlon ; Vert-de-gris ; Prague Fatale ; Les Ombres de Katyn ; La Dame de Zagreb accusent la même qualité globale à quelques exceptions près. La Paix des dupes se doit également d’être lu (uchronie contemplative et complète au sujet de la conférence de Téhéran) .
– Ambiance aussi sombre, des années avant, en Pologne…un polar signé Marek Krajewski : Les fantômes de Breslau.
– Un homme à peu près sain (d’esprit au moins) dans un environnement totalitaire, c’est aussi Un mort à l’hôtel Koryo, de James Church.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.
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