Un homme, chargé de mener une enquête dans un univers kafkaïen, sera éjecté du système. Objet littéraire difficilement identifiable, ça peut déplaire dans la mesure où l’abstraction y est poussée extrêmement loin. Pour ma part, malgré un début fort prometteur, la fin pose plus de questions qu’elle n’en apporte – sans compter que Tigre n’est pas sûr d’avoir tout compris.
Il était une fois…
Dans une ville pluvieuse et sombre débarque l’Enquêteur. Celui-ci est chargé d’en savoir plus sur les suicides qui ont endeuillé l’Entreprise – 23 suicides, ça vous dit quelque chose ? Cependant rien ne semble se passer comme prévu : la Géante de l’hôtel aux requêtes insensées, le Policier trop bon dans son rôle, rien n’est simple dans la Ville. Que fout-il donc dans ce merdier ?
Critique de L’Enquête
Philippe Claudel n’est pas un auteur français comme les autres, il n’y a pas vraiment de discussion sur ce point là. Au surplus, Le Tigre ne sait guère sur quel pied littéraire danser avec Fifi, en particulier avec cet ouvrage qui, à l’instar de certains protagonistes, souffle à la fois le froid (le rhume de la compréhension du texte) et le chaud – quand le lecteur se dit qu’il a potentiellement saisi de quoi il retournait. Quoiqu’il en soit, ce n’est définitivement pas un feel-good book...
A mon humble avis, ce roman peut se décomposer en deux parties. Dans un premier temps, le héros (que le narrateur, à la troisième personne, présente comme l’Enquêteur) arrive dans un lieu dont il ignore tout, si ce n’est qu’il doit savoir pourquoi tant de suicides ont eu lieu dans la grosse boîte. Or, au cours de ses pérégrinations, il y a autant d’antagonistes que de personnes croisées. Ces dernières, nommées d’après le poste (ou le rôle) qui est le leur, entretiennent une ambiance froide et hostile complètement déshumanisée. Pendant ce temps, la fameuse Enquête n’avance que tchi.
Ensuite, et après quelques déconvenues assez frappantes (il y a du Zero Dark City dans l’air, que ce soient les chambres d’hôtel comme l’architecture d’autres lieux), l’Enquêteur est rapidement pris en charge par le Psychologue. A ce moment, le scénario aisé à suivre (un chapitre toutes les 5 pages, imaginez donc) se révèle plus retors que prévu, avec des considérations oniriques qui m’ont gâché le plaisir de la lecture. Car Claudel paraît trimbaler le lecteur où il veut, jusqu’à verser dans un « métaphysicisme » de belle facture certes, mais au verbiage qui pourra en énerver plus d’un.
Par conséquent, ce qui s’annonçait comme un roman rondement mené (avec, à la clé, un dénouement satisfaisant) devient progressivement un ouvrage laborieux, la clarté des débuts laisse la place à un grand n’importe quoi ouvert à toutes les interprétations. Le félin, plus d’une fois, s’est dit que comme il n’était pas sûr d’avoir vraiment tout saisi à la portée finale du roman, alors c’est que c’est forcément génial. Pas si sûr en l’espèce.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
Phil’ C. livre ici une vision sociétale des plus sombres où la conformité et le « reste donc à ta place mon bonhomme » sont les maîtres mots. Déjà, l’anonymisation (sans qu’on sache qui, du héros ou de la Société, l’a décrétée) des protagonistes laisse une sensation de vide : en effet, la fonctionnalité par le métier qui décrit les êtres humains tend à nier l’individu dans ce qu’il a de plus riche. De plus, la plupart de ces personnes aux rôles définis présentent rapidement des faiblesses (plus d’une pète les plombs, soyons clair), miroir de la faiblesse d’un monde ultra-libéralisé où chacun n’est considéré qu’à l’aune de son utilité. Et dans ce monde utilitariste, la position de l’Enquêteur est sujette à caution.
A bien y réfléchir, l’enquête en question est avant tout une quête de soi. L’Enquêteur, à mesure du déroulement (sic) de sa douloureuse mission aussi tortueuse que vaine, sera amené à regarder une certaine réalité en face. Qui l’a envoyé, que cherche-t-il au juste ? N’est-il pas qu’un produit déficient de son époque et destiné à la casse ? Hélas, les derniers chapitres sont à la limite de l’imbitabilité : vous vous souvenez des dialogues entre Néo et l’Architecte dans Matrix ? Bah tentez d’imaginer une conversation avec de pires autistes entre le héros et le Fondateur. Merde, moi qui m’attendais à quelques révélations finales, j’ai eu encore la dalle après avoir refermé le bouquin.
…à rapprocher de :
– De Claudel, Le Tigre a lu La petite fille de Monsieur Linh. Même genre d’écriture abstraite sans noms ni références. Beau mais bizarre.
– Ce roman a été d’abord publié chez la maison d’édition Stock. C’est marrant, mais en 2014 ils ont sorti un roman qui reprend quelques thèmes de L’Enquête, à savoir l’anonymisation et le glauque qui n’aide pas à se sentir mieux : c’est La chance que tu as, de Denis Michelis.
– Puisque tout le monde a su faire le parallèle, autant jeter ses deux patounes dans le plat : L’Enquête, c’est du Procès made in Kafka en puissance.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.
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Ça a l’air bien mais pas vraiment, du coup je suis intrigué et perplexe à tenter ou pas ?
Totalement. Il faut que tu ne le tentes peut-être pas. [sais pas trop quoi penser de ce truc, pour moins de 300 pages vas-y]
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