Il n’y a pas que les Anglo-saxons dans l’anticipation sociale dans la vie, de temps à autre un Français sort du joli lot. Et quelle leçon de lecture ! A partir d’une idée plutôt écoulée mais finement abordée, Bordage nous fait plaisir avec trois histoires en apparence indépendantes. Bon sans être renversant, à lire pour les curieux.
Il était une fois…
Léonie, jeune libérienne débarquée sur le territoire français, fait office d’esclave (séquestration, prostitution) et parvient à s’enfuir la vingtaine venue. Sans papiers et dans le dénouement le plus total, elle répondra à une annonce d’un institut médical pour tester un mystérieux produit, moyennant finances… Le fringuant Cyrian, qui vient d’intégrer une célèbre école de commerce, voit se proposer une expérience tout à fait inédite : tranférer son âme dans un autre corps… Quant à Edmé, flic de la brigade criminelle, son équipe dégotte un terrible charnier dans la banlieue parisienne… Quels rapports auront nos trois héros par rapport au principe du « portage d’âmes » ?
Critique de Porteurs d’âmes
Bon petit roman de SF à la française, voilà ce qui viendrait à l’esprit si on demande au Tigre. Sauf que de science-fiction il n’est point, à part la possibilité scientifique d’occuper pendant un certain temps le corps d’une tierce personne. Le reste, c’est plutôt une fable sombre qui se déroule dans un monde sans pitié.
Les trois scénarios qui se déroulent en parallèle sont relativement prenants et les rapports entre les protagonistes apparaissent peu à peu, jusqu’à une unité narrative et une fin fort décevante (pas de scandaleuse surprise) hélas. Sur ces histoires, Le Tigre a préféré celle de Cyrian, jeune de la haute un tantinet désabusé et à la recherche du grand frisson. Si les pérégrinations de Léonie sont vivantes et parfois dures, la partie avec le policier ne m’a pas paru si pertinente (et intéressante) que cela.
Sur le style, bah c’est du Bordage : le monsieur prend le temps de nous présenter tous ses petits héros, leur environnement et leurs pensées afin qu’on puisse suivre leur évolution au fil des épreuves. Chapitres pas excessivement longs heureusement, Le Tigre avoue avoir lu en un temps très correct ces presque 450 pages. Bon signe donc.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
Je ne vais point parler de la façon dont on « porte une âme », l’angle sous lequel Pierre B. a traité ce sujet porte sur les changements de point de vue de certaines personnes qui vont forcément gagner en empathie.
Ce qui est redondant chez cet écrivain est la description violente, voire déprimante de la société du futur proche. Domination et rapports de force, voilà le monde de demain. Le pouvoir semble être tenu par une minorité (les 1% ?) aux ressources et possibilités presque infinies. Au sein des plus modestes, la dure loi de la rue, entre forces de l’ordre et petits escrocs, m’a fait penser à certains passages de la Saga des ombres, de Scott Card. Chez les plus riches, c’est également la fête : l’intégration dans la société secrète, par exemple, n’est effective qu’après avoir accompli un acte ignoble (laisser sa petite amie se faire sauter, violer en fait, par d’autres).
Face à ces glauques descriptions, le message de Bordage (comme dans la saga Wang) s’illustre encore plus par son humanisme et sa générosité (loin de la naïveté). Tout cela grâce à deux personnages qui vont se connaître intimement. Et je ne parle pas de galipettes en apesanteur. Juste un jeune garçon qui va, grâce à ses entrées dans le beau monde, connaître paradoxalement l’envers du décor. Ce qui s’annonce comme un jeu, une expérimentation va se transformer en thriller haletant à l’issue duquel nos héros ne seront plus jamais les mêmes.
…à rapprocher de :
– De Bordage, Le Tigre a adoré Wang ou Abzalon.
– Sur le principe de prendre possession, la SF regorge d’exemples : la série des Carbone de Richard Morgan ou encore la technologie de quelques factions chez Alastair Reynolds, notamment L’espace de la révélation.
– Sur le thème de l’immigration, quelques histoires présentes dans Tea-Bag de Mankell sont aussi sombres que celle de l’héroïne du présent billet.
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