Dilogie science-fictionnesque de qualité écrite par un auteur français plutôt prolixe, on est dans la valeur sûre. L’histoire d’un jeune homme embarqué dans une histoire mêlant stratégie militaire et géopolitique, mâtinées d’un tableau vivant de la misère d’un tiers-monde moyenâgeux. Happy end un peu décevant, mais on ne va pas chipoter pour si peu.
Il était une fois…
Au 23ème siècle (ben voyons), l’Humanité est divisée en quatre gros blocs. Le plus riche, l’Organisation des Nations Occidentales (ONO), regroupe les États-Unis (qui ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes) et l’Europe occidentale, largement influencée par la puissance de la France (re-ben voyons). Pour se protéger des dictatures voisines (notamment l’empire sino-russe), l’ONO a mis en place un rideau électromagnétique (le REM) presque infranchissable. Car ce dernier s’ouvre parfois en Bohème, et pour Wang, jeune Chinois à peine majeur qui vit misérablement en Pologne, c’est l’unique opportunité d’échapper aux clans qui lui en veulent (une sombre histoire de loi clanique). Accompagné de la belle Lhassa, qu’arrivera-t-il à notre héros une fois de l’autre côté ? Personne n’est jamais revenu de l’Ouest, à peine si d’étranges jeux militaires avec des humains utilisés comme de la chair à canon sont évoqués.
Critique de Wang
Je reconnais que la présentation de l’œuvre dans le paragraphe précédent est relativement longue, mais pour un pavé de 800 pages aussi dense faire plus court aurait été criminel. Pas vraiment un pavé d’ailleurs, puisque Pierre Bordage a subdivisé son texte en deux romans, mais cela se lit comme un tout.
Le premier titre, Les Portes d’Occident, fait référence au rideau qui sépare l’Occident opulent mais fade (Wang qui doit se taper Delphane, par exemple, a l’impression de niquer une poupée glabre sans vie) de l’univers de notre héros, totalitaire et dangereux car soumis au bon vouloir de groupes criminels. En parallèle le lecteur suivra Frédric Alexandre, jeune stratège de talent qui réussit une à une les manches des Jeux uchroniques (cf. thèmes abordés), qui se jouent au début sur ordinateur.
Dans la suite, Les Ailes d’Orient, Wang qui est parvenu à passer à l’Ouest devient progressivement la star des Jeux militaires. Car fini les ordis, ça se bat pour de vrai et les enjeux de cette compétition s’avèrent être énormes. Le but de notre Chinois, faire tomber le REM, devra composer avec la volonté de ne pas créer une guerre mondiale et retrouver la petite Lhassa qui loge chez un vieux monsieur assez sympa au demeurant (l’équivalent du vieux sage occidental épris de liberté).
C’est grand, c’est beau, le scénario est cohérent dans un univers cyberpunk finement décrit même si le chauvinisme français de l’auteur insulte un peu l’avenir. La lutte entre le français et l’anglais, d’accord, mais l’Hexagone en tête de file d’un Occident tout-puissant, ça fait doucement ricaner. Cela n’a pas empêché Le Tigre de passer un excellent moment, le style de l’auteur étant d’une fluidité à toute épreuve, notamment le rendu des scènes de bataille où Wang s’illustre.
Le meilleur moyen à ce jour pour se familiariser avec le père Bordage (Abzalon n’est pas mal non plus), puisque ses autres cycles m’ont paru trop « ésotériques », voire versant dans le fantastique, ce qui ne plaît pas forcément au Tigre. Avec Wang, rien de cela, juste une vision pessimiste et originale d’un avenir qui a peu de chance de se manifester (ou alors quelques éléments ici et là).
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
La stratégie et la tactique militaires. Ces fameux Jeux uchroniques sont bien pensés : deux compétiteurs, un défenseur et un attaquant ; une bataille historique rééditée pour la plus grande joie des spectateurs, et en avant la musique ! Le fin Frédric fait des merveilles en changeant le cours normal de l’histoire telle qu’on la connaît (d’où l’aspect uchronique) grâce à un sens inné de la tactique, notamment utiliser Wang comme élément d’improvisation. Bordage nous permet alors de revisiter quelques illustres champs de bataille (souvent antiques, mis à part le Viet-Nam) avec la liberté d’écriture de l’auteur débordant d’imagination.
Les inégalités. Si Le Tigre parle de cyberpunk, c’est que le monde imaginé par Pierre B. est plus sombre que jamais. D’une part, l’environnement polonais du début avec Wang n’envoie pas du rêve, on dirait celui de Bean jeune dans la Saga des ombres de Scott Card : jungle urbaine, confiance limitée (sauf au sein de la famille), anarchie apparente, bref un peu du struggle for life in the future. D’autre part, l’Occident semble tout propret (à part le respect de l’être humain) et bien froussard. Car le sujet prégnant est la façon dont une civilisation, par peur ou pour éviter d’avoir à aider ses voisins, décide de se retrancher derrière un mur de Berlin inversé.
…à rapprocher de :
– Sur la stratégie militaire des siècles à venir, il faut absolument lire le premier tome de la saga Ender, d’Orson Scott Card. Et les romans en parallèle de la saga de l’ombre : La Stratégie de l’ombre, et ses suites.
– L’Homme des jeux, de Ian M. Banks, est similaire à Wang dans la mesure où un jeu de stratégie détermine la position de chacun dans la société.
– De Bordage, Tigre a aimé Abzalon, et un peu moins Porteurs d’âmes.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici : premier tome, puis second opus.
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