La Grande Guerre achevée, les charognards sont de sortie pour dépecer ce qui reste de l’honneur de soldats tombés. En suivant trois hommes différemment touchés par les suites du conflit dévastateur, l’écrivain dresse un tableau prenant et terriblement crédible d’une civilisation qui se recherche des repères. Avec une écriture aussi accessible que riche, pour ne rien gâcher.
Il était une fois…
Fin octobre 1918. Ultime assaut pour la route dans la tranchée 113. Parmi la chair à canon, Albert Maillard et Édouard Péricourt. Le premier est sauvé par le second (qui se prend quelques éclats d’obus au passage) alors qu’il était enseveli dans un trou d’obus. Défiguré à vie, Édouard refute d’obtenir une prothèse et, bizarrement, de rentrer chez lui. Maillard parvient alors à lui faire changer d’identité, mais la vie après la guerre est miséreuse pour nos deux héros. Parallèlement, Henri d’Aulnay-Pradelle, qui connaît bien les lascars pour avoir été leur lieutenant, conclut un beau mariage (avec la sœur d’Édouard d’ailleurs). Et s’enrichit honteusement en inhumant, pour le compte de l’État, les Français morts au combat. De leur côté, Albert et Édouard imaginent une autre sorte d’arnaque…
Critique d’Au revoir là-haut
Difficile de faire moins de 1 000 mots pour ce billet. Parce qu’il y a beaucoup à développer, l’auteur est parvenu à nous pondre un roman complet, une jolie petite fresque où deux univers antagonistes se croisent, s’éloignent mais, en fin de compte, présentent la même odeur de douce pourriture. Et le résultat n’est pas loin d’être exceptionnel, même s’il faut attendre le tiers du roman pour se familiariser avec les trois personnages principaux (j’ai eu curieusement du mal à savoir qui est qui au début) et la moitié pour que l’intrigue vantée par le quatrième de couverture se mette en place.
Traçons les grandes lignes : Aulnay-Pradelle est un salaud. Un sang bleu fin de race, héritier d’une particule et d’un château croulant et qui a décidé de profiter de son statut de héros (survivant plutôt) de guerre. En épousant notamment Madeleine Péricourt, sœur d’Édouard réputé mort et fille d’un homme riche. Édouard est le pivot de l’histoire, un individu au triste destin progressivement dévoilé. Celui d’un fils sensible né quelques décennies de trop, un artiste trop efféminé et dont le père a honte. Un gars accroc à la morphine tellement malheureux qu’il n’a pas envie de revenir dans sa famille, même pas pour une sœur quelconque qui épouse un homme qui a bien failli les tuer.
Seconde étape : profiter de la victoire. Pour Aulnay, cela signifie récupérer les contrats relatifs aux grandes nécropoles : des milliers de poilus à enterrer, aux frais de l’État. Cercueils bas de gamme, garnis de soldats inconnus (ou de pierres), exploitation d’une main d’œuvre peu onéreuse (les fameux Chinois), tout est bon pour pour se faire des tunes. Une organisation millimétrée faite de trafics d’influences et autres détournements administratifs mais sur le point de s’écrouler. Édouard et Albert, en plein dénuement, choisiront une voie moins élégante mais tout aussi juteuse : faire miroiter des monuments au morts à des villes et quartiers crédibles qui lâcheront trop vite un acompte. Puis filer à l’anglaise avec le fric.
Pierre Lemaître ne s’est pas contenté, avec son style précis, de dépeindre une époque vue par différents protagonistes avec des enchevêtrements attendus mais bien amenés entre ces deux mondes intimement liés. Le lecteur entrera plus d’une dans la tête de ces anti héros, à l’aide d’un style agréable qui mélange passages plus contemplatifs (que j’ai parfois lus en diagonale) et remarques in petto des personnages d’un rare croustillant. Et parfois, en embuscade, l’humour décapant à base de bons mots et tableaux cocasses qui provoqueront plus d’un ricanement. Voilà (enfin) un roman qui n’a pas été primé pour rien.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
Quid de ce titre ? Il s’agit d’une touchante lettre d’un poilu à sa femme, sachant qu’il ne la retrouvera qu’au ciel. Les premiers chapitres démontrent, si besoin était, le terrible gâchis constitué par une génération perdue par folie humaine. Sauf que, le conflit terminé, le désordre moral est entier. Lemaître présente des égoïsmes d’une puissance phénoménale qui, sous couvert d’un fervent hommage aux hommes tombés pour la Victoire, ne pensent qu’à grimper dans l’échelle sociale (et ça passe notamment par les tunes). Au-revoir là haut m’est apparu comme autant de biographies de personnages malheureux (peu importe leur richesse), rongés par le regret, l’envie et le sentiment plus ou moins diffus que leur existence aurait du se passer autrement.
En fait, je me demande si Pierrot (tu permets) n’a pas tenu à créer un méchant collectionnant les péchés capitaux avec une minutie qui force le respect. Car Henri d’Aulnay-Pradelle a tout contre lui : le statut de lieutenant dont il use et abuse (l’orgueil) ; ses pensées tournées vers la réfection de son illustre baraque (la démesure, donc la gourmandise) et sa propension à tout négocier (l’avarice) ; ses coups de gueule monumentaux contre le pauvre Dupré, son assistant ; sans compter les maîtresses qu’il collectionne. Quant à la paresse, c’est la voie la plus courte pour se faire des pépettes, sans considération sur le bien-fondé moral de ses actes. Un vrai anti héros comme le félin les aime. Vous demandez quelqu’un d’à-peu-près intègre ? Je ne vois que Martin, anonyme fonctionnaire qui semble être le seul apte à résister au pouvoir de l’argent – et qui aide Aulnay à creuser un peu plus sa tombe.
Enfin, il faut rapidement évoquer la tragique histoire d’un père qui, tardivement, pleure son fils. Double perte hélas, car la « gueule cassée » ne reviendra pas à la maisonnée tellement il en est dégoûté. La situation de sa sœur, qui a épousé le pire des salauds, ne le fera même pas rentrer. Tragédie d’autant plus forte que les talents d’illustrateur de Péricourt fils, insignifiants avant la guerre, revêtent une importance capitale par la suite – il aurait pu être célèbre à ce titre. La guerre en fossoyeuse de l’art, tuant les vocations mais pas autant que la pression sociétale de l’époque.
…à rapprocher de :
– Le cynisme de la guerre, en plus déjanté avec une exceptionnelle touche de fantaisie (sans compter l’écriture, superbe), c’est l’incomparable Gagner la guerre, de Jean-Philippe Jaworski.
– L’existence chamboulée d’une famille se retrouve également dans La palombe noire d’Alain Dubos (à forte teneur régionale). Un des protagonistes, profondément traumatisé, fait une fixette sur l’enterrement des soldats morts.
– Sur la guerre 14-18, les ouvrages de qualité ne manquent guère. Sur le blog, vous trouverez 42 mois de tranchées, autobiographie passable de Louis Lepetit. En BD, ça donne l’indispensable C’était la guerre des tranchées de Tardi
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.
Ping : Alain Dubos – La palombe noire | Quand Le Tigre Lit
Salut mon Tigre!
En lisant ton billet, j’espérais comprendre pourquoi ce bouquin bien fait bien ecrit et tout et tout m’a laissé sur ma faim. J’arrive même pas à exprimer en quoi j’ai été déçu, et pourtant..
Le mystère persiste
C’est le propre des mystères me diras-tu
Bonnes fêtes à toi
K
Dis moi donc ce qui te manque comme information, je tenterai de modifier le billet en ce sens.
Ping : Jacques Tardi – C’était la guerre des tranchées | Quand Le Tigre Lit
Ping : Louis Lepetit – 42 mois de tranchées | Quand Le Tigre Lit