Un beau lundi, j’ai reçu cet étrange courriel : « Cher Maître Tigre, je vous contacte parce que Loana, mon animal de compagnie, a été écrasée par une voiture ce week-end. Ne désirant pas faire appel à un vétérinaire ou autre charlatan qui me soulagerait de quelques euros, j’aimerais savoir comment me débarrasser du macchabée en respectant la loi. Merci ! PS : ci-joint une photo de mon problème. Pourriez-vous m’aider à titre gratuit ? »
Mon animal de compagnie est décédé, que dois-je faire ?
[PREFACE : les gens qui pensent que je vais leur répondre gratis, ils ne doutent de rien. En plus, la photo jointe à la demande de cette femme pour « illustrer le problème » est d’une violence rare – c’est pourquoi j’ai crypté les endroits les plus dégueulasses. Comme la cliente voulait que je l’aide pro bono, je lui ai dit d’aller sur mon blog, sur lequel un jour peut-être je lui répondrai. Autant faire profiter de mes lumières au plus grand nombre. Voici donc la consultation juridique de Maître Tigre].
Chère Madame,
Je fais suite à votre message par lequel vous m’interrogez sur les différentes alternatives que la loi offre aux propriétaires d’un animal récemment décédé.
Avant toute chose, je vous prie de recevoir mes condoléances les plus sincères pour la perte de votre animal. Je sais combien ce malheur vous atteint et tiens à ce que vous sachiez toute la part que je prends à votre douleur, aussi vive soit-elle.
Je vous remercie de l’image que vous avez pris la peine de m’envoyer, celle-ci me permettant d’avoir de plus amples informations quant aux dispositions susceptibles de s’appliquer.
1. L’état général de votre animal
A titre liminaire, il faut savoir que les possibilités sont nombreuses quant au sort des restes de votre animal. Même si vous l’écartez, la solution à privilégier est de déposer ce dernier chez votre vétérinaire habituel. Le zootechnicien s’occupera des différentes formalités et vous proposera des références d’entreprises pour se débarrasser, en toute légalité, du cadavre.
En outre, si l’amour que vous portiez à votre chat l’impose, sachez qu’il existe des cimetières à animaux où pourrait reposer Loana. De même, vous pouvez toujours faire appel à un taxidermiste afin d’en garder un souvenir ému. Néanmoins, la photographie que vous avez prise semble indiquer que la plastique de votre chat a été soumise à rude épreuve. Aussi l’artisan taxidermiste risque de ne pas pouvoir le traiter correctement.
J’ai bien entendu que, en bonne grosse radine étant soumise à des aléas financiers, vous souhaitez effectuer ces démarches sans assistance. Je vous prie donc de trouver, ci-dessous, l’état du droit en la matière.
2. La loi applicable aux cadavres d’animaux
Parmi la cinquantaine de codes juridiques français, le Code rural et de la pêche maritime (avant 2010, celui-ci se nommait Code rural) vise les dépouilles d’animaux. En particulier le chapitre VI (sur les sous-produits animaux) du Titre II (intitulé « Mesures de prévention, surveillance et lutte contre les dangers zoosanitaires ») du Livre II de ce code.
Il est important, lorsqu’on évoque le terme « animal de compagnie », de préciser lequel. Car si cet animal pèse plus de 40 kg, alors vous devriez suivre les dispositions de l’article 226-2 du code rural. Celui-ci est particulièrement strict (je souligne) :
Constituent une mission de service public qui relève de la compétence de l’État la collecte, la transformation et l’élimination des cadavres d’animaux ou lots de cadavres d’animaux d’élevage de plus de 40 kilogrammes morts en exploitation agricole, outre-mer, ainsi que, en tous lieux, des catégories de cadavres d’animaux et de matières animales dont la liste est fixée par décret, pour lesquelles l’intervention de l’État est nécessaire dans l’intérêt général. La gestion de tout ou partie de ce service peut être confiée par décret à l’établissement mentionné à l’article L. 621-1. Cette substitution n’entraîne aucun droit à résiliation des contrats ou à indemnisation des cocontractants.
Les propriétaires ou détenteurs des cadavres d’animaux et des matières animales visés au premier alinéa doivent les mettre à la disposition de la personne chargée de l’exécution du service public de l’équarrissage.
L’exécution de ce service public de l’équarrissage est assurée selon les modalités fixées par décret.
Il s’ensuit des textes relatifs au noble art de l’équarrissage, indispensable activité consiste à récupérer et traiter les carcasses et autres déchets d’animaux morts. Ces articles sont motivés par un souci d’éviter, autant que faire se peut, tout risque sanitaire et environnemental.
Les chats les plus gros au monde dépassant rarement la vingtaine de kilogrammes, vous n’êtes pas soumise aux dispositions relatives à l’équarrissage. Sous réserve que vous n’avez pas une flopée de Loanas dont le poids total dépasserait cette limite, c’est l’article 226-4 qu’il convient d’appliquer (je souligne encore) :
Par dérogation à l’article L. 226-2, dans les zones de pâturage estival en montagne et en cas de force majeure, ou en cas de nécessité d’ordre sanitaire, constatées par l’autorité administrative, il est procédé à l’élimination des cadavres d’animaux par incinération ou par enfouissement. L’élimination sur place des cadavres mentionnés à l’article L. 226-1 relève du service public de l’équarrissage.
Il peut également être procédé à l’enfouissement des cadavres d’animaux familiers et de sous-produits de gibiers sauvages.
Les conditions et les lieux d’incinération et d’enfouissement sont définis par arrêté du ministre chargé de l’agriculture et, le cas échéant, des autres ministres intéressés.
L’incinération obéit à des règles spécifiques définies par un arrêté relatif aux centres d’incinération de cadavres d’animaux de compagnie. Vous relater ces règles ne me semble pas opportun dans la mesure où vouloir brûler dans son coin la dépouille de Loana nécessite des procédures de sécurité et un matériel qui vous coûteraient quatre reins et trois bras.
C’est pourquoi, en l’état du droit, vous ne pourrez que procéder à l’enfouissement de Loana.
3. Les règles pour l’enfouissement d’un animal
L’article 226-4 du Code rural et de la pêche maritime expose clairement qu’un arrêté ministériel définit les conditions d’enfouissement de son animal de compagnie. Cette situation concorde avec l’article L. 1311-1 du Code de la santé publique qui dispose notamment que les règles générales d’hygiène sont prises par décrets en Conseil d’État – même portée réglementaire qu’un arrêté, mais avec une procédure différente.
Or, pour l’instant, aucun arrêté ni décret sur l’enfouissement d’un chat (ou chien) n’a été publié. Dans l’attente d’un tel texte, il convient donc de se référer aux anciennes dispositions. En particulier l’ancien article L1 du Code de la santé publique qui disposait :
Dans tous les départements, le préfet [*autorité compétente*] est tenu, afin de protéger la santé publique, d’établir un règlement sanitaire applicable à toutes les communes du département. […]
Il faut donc que vous vous consultiez le règlement sanitaire de votre département. Vous pourrez trouver celui-ci en consultant le site du Conseil général.
Néanmoins, il est très probable que le préfet n’a pas jugé utile d’établir un règlement. Dans ce cas, il faut se reporter au « Règlement sanitaire départemental type » – seulement pour les domaines non couverts par les décrets en Conseil d’État.
A ce titre, une circulaire du 9 aout 1978 a révisé ce règlement sanitaire départemental type, document qui a été publié au Journal Officiel du 13 septembre 1978.
[pas d’impatience, on y est bientôt les amis]
Le titre IV de ce règlement, intitulé « élimination des déchets et mesures de salubrité générale », porte l’article 98 (à la page 7211 si cela vous intéresse) qui expose :
Il est interdit de déposer les cadavres d’animaux sur la voie publique ou dans les ordures ménagères ainsi que de les jeter dans les marres, rivières, abreuvoirs, gouffres et bétoires, ou de les enfouir d’une façon générale à moins de 35 mètres des habitations, des puits, des sources et dans les périmètres de protection des sources et des ouvrages de captage et d’adduction des eaux d’alimentation prévus dans la réglementation des eaux potables.
Leur destruction est assurée conformément aux prescriptions des articles 241, 264, 265 et 274 du code rural et compte tenu des dispositions prises en vertu de la loi du 10 juillet 1976 relative aux installations classées pour la protection de l’environnement.
Outre l’interdiction totale de jeter Loana n’importe où, vous pouvez donc procéder à l’enterrement de votre chat à plus de 35 mètres de tout ce qui se rapproche, de près ou de loin, à de l’eau potable. Évidemment, vous ne pouvez procéder à cet enfouissement que sur votre propriété.
Enfin, j’attire à nouveau votre attention sur le fait que, si un règlement sanitaire départemental spécifique existe, celui-ci viendrait s’appliquer en lieu et place du règlement type. A titre d’exemple, le règlement du département de Paris est nettement plus strict, y compris sur l’enfouissement des cadavres d’animaux :
Il est interdit de déposer les cadavres d’animaux sur les voies publiques, dans les lieux publics et dans les ordures ménagères ainsi que de les jeter dans les cours d’eau et leurs dépendances, dans les pièces d’eau, carrières et terrains vagues.
Il est, en tout lieu, interdit d’enfouir les cadavres d’animaux ; leur enlèvement est assuré par le service spécialisé de la Préfecture de police.
Tout ceci étant dit, je vous conseille vivement de porter à la connaissance des autorités la disparition subite de votre animal de compagnie. Cela peut être fait par votre vétérinaire auquel vous remettrez, en douce, le carnet de santé de Loana avec un petit mot explicatif. Charge à lui de prévenir le Fichier National d’Identification des Carnivores Domestiques – ou toute autre agence idoine.
Je reste bien entendu à votre disposition pour revoir tout ceci à votre convenance.
Bien à vous.
Maître Tigre
Conclusion
Lors d’une consultation, Le Tigre ne met jamais les liens vers les articles/arrêtés, et fait plutôt confiance au sacro-saint copier-coller. Cependant, je préfère vous signaler que ce billet, écrit courant 2014, ne sera certainement plus valable à moyen terme. Et ne comptez pas sur le félin pour le mettre à jour.
Enfin, je vous prie encore de bien vouloir me pardonner pour avoir publié la photo. L’exhaustivité et la qualité d’une consultation l’exigeaient.
Cher Tigre,
Tu as justement conseillé madame dans la limite de la loi.
Etant moi-même plutôt porté sur les solutions écologiques, je me permets de t’en soumettre. Évidemment, l’aspect légal est plus relatif: à vos risques et périls. Mais je suppose qu’en se rapprochant d’une association écolo, il y aura peut-être moyen de bénéficier de leurs services juridiques…
Primo, supprimer tout moyen d’identification: puces, tatouages, etc. La peau se conserve bien, ce serait dommage de se faire emmerder à cause d’un tatouage.
Une fois cette étape établie, il reste pas mal de solutions.
1- Faire du hachis Parmentier.
« Vous aimiez votre chat les enfants? Ben reprenez en un morceau. »
Bon, vérifier avant que Loana n’avait pas pris de traitement trop toxique pour l’humain. Et bien cuire la viande pour tuer les parasites et autres bactéries. Pour le prion de la vache folle, c’est 300°C minimum (à la cocotte minute, donc).
Pour les poils, cela fera un magnifique pull angora.
La peau peut servir d’abat-jour. Et les boyaux une fois correctement traités peuvent être valorisés en cordes de raquettes. Ou en tripous.
2-Faire des boulettes pour chat
Je suppose que pour remplacer Loana, vous avez déjà pris un nouveau chaton dénommé Steevie?
Quel plus beau cadeau à lui faire qu’une pâtée élaborée à partir de son prédécesseur? Ainsi Steevie aura un peu de Loana en lui.
3-Nos amies les fourmis
Une forêt à proximité? Une magnifique fourmilière en forme de dôme de branchette? Prenez une pelle, creusez un trou dans la fourmilière, mettez-y Loana, rebouchez. D’ici un mois, peut-être moins, les fourmis auront nettoyé les os de Loana. Vous pourrez même venir les récupérer: cela sera du plus bel effet sur la cheminée. N’oubliez pas d’arroser abondamment d’insecticide avant si vous ne voulez pas finir comme Loana.
Très cher Grasduc,
Tes remarques, frappées sous le bon sens, sont définitivement dans l’esprit du blog. Mais figure-toi que (enfin la plupart de) tes propositions ont été pensées, et feront l’objet d’autres billets – notamment la taxidermie ou l’utilisation du squelette félin, ô combien esthétique.
C’est pourquoi j’ai limité cet article à des considérations bassement juridiques, sinon mon quota de mots (pas plus de 2.000) aurait été allègrement dépassé.
Cela étant dit, permets moi quelques remarques
Point 1 : le prion ne se développe pas dans le corps félin, j’ai essayé.
Point 2 : nul cannibalisme ici, je préférerais donner à manger aux poissons – ne pas enfermer le chat dans un sac avant de le jeter dans la marre donc.
Point 3 : le risque est l’apparition de vers, donc de mouches dans la fourmilière. Ces dernières se retrouveront sûrement en surnombre, mettant en danger la colonie de fourmis.
Amitiés félines.