Lecteur exigeant, tu es parvenu, sans doute grâce à mes modestes conseils, à lire tes livrés préférés la musique à fond les ballons. Hélas ce mélange des sens n’est pas optimal et tu sens que tu merdes sur les deux tableaux. La raison ? Une grave inadéquation entre le morceau musical et l’œuvre littéraire. Le Tigre est là pour te montrer la voie.
Quoi, et pourquoi ?
Petit Sutra aux allures plus sonores que littéraires, Le Tigre s’éloigne provisoirement de son territoire de prédilection pour aller chiner du côté des walkmans (chacun ses références).
Le conseil général est de ne pas se rater lorsqu’on lit en écoutant de la musique. Une communauté de rythme, des affinités de style sont strictement nécessaires dans ces deux arts pour vivre une expérience intellectuelle d’une intensité maximale. Que ce soit la lecture ou l’écoute, chaque domaine doit nourrir, et se nourrir, de l’autre. S’ensuivra une émulsion exponentielle qui n’aura d’égale que celle de la recherche spatiale entre les states et l’urss dans les années 50 et 60.
Avant de démarrer la leçon, je préfère prévenir avant de décevoir : Le Tigre fera appel à de nombreux artistes dans le champ musical, et indiquera l’auteur ainsi que le morceau. Si je possède les albums, ne comptez pas sur moi ni pour les laisser en libre écoute ni faire les liens sur deezer ou youtube. Pour l’un, Hadopi va me tomber sur le râble aussi sûrement que la lettre de déclaration de l’IR. Pour l’autre, une incompressible flemme me hante. Ce sutra est donc à lire, pour le meilleur et pour le pire, avec un site d’écoute de musique ouvert sur une autre fenêtre de votre navigateur.
Quel types de musique pour quels auteurs ?
partie, la plus importante, va s’intéresser à quelques genres de musique et leur attacher les types d’auteurs qui sont, selon Le Tigre, adéquats. Une petite dizaine de genres, ça vous convient ?
1/ Le rock & roll : les péripéties qui swingent bon l’oldschool
Le rock & roll, c’est selon moi un style entraînant et au demeurant assez souriant : des notes endiablées d’un Jerry Lee Lewis à la BO de Grease, ça donne furieusement envie de bouger son popotin et prendre son balai (lorsque le chat n’est pas dans le coin) pour enchaîner quelques passes d’une technicité certaine. Un livre entre les mains, ne pas se planter de partenaire au risque de passer un mauvais quart d’heure.
Quart d’heure américain plus particulièrement : pour être dans l’ambiance, Le Tigre propose de taper dans le roman noir anglo-saxon, du style hard boiled comme un James Hadley Chase ou un Jim Thompson. Vocabulaire fleuri, rapide enchaînement des péripéties, en outre les décors des années 30 aux sixties correspondront parfaitement à ces sonorités. Le folk passe bien également.
2/ Le rock progressif : les longs riffs planants des chapitres transcendants
Pink Floyd, Nirvana (pas vraiment ce genre, mais ça colle avec l’ambiance), Genesis (Phil Collins surtout), que des mélodies envoûtantes un peu perchées. Pour être un peu plus propulsé dans la stratosphère, Le Tigre vous conseille des romans de SF ou de cyberpunk qui s’affranchissent de toute frontière : Maurice G. Dantec, Le Temps du twist de Joël Houssin, quelques Alastair Reynolds ou Peter F. Hamilton…
Ainsi, les longs riffs efficaces (Jimmi Hendrix en étant l’ordonnateur principal) s’accorderont parfaitement avec l’univers littéraire de certains auteurs qui s’acharnent à décrire un monde sombre et vaste où chaque protagoniste se sent un peu seul. Cela ouvrira encore plus vos horizons et l’empathie vis-à-vis des héros s’en trouvera augmentée.
3/ L’électro : électricité et subversion
Le Tigre s’intéressera à un sous-genre de l’électro, à savoir les titres froids et métalliques que certains nomment « cocaïnofères » puisque se savourant en boîte de nuit sous l’emprise de substances illégales. Comme plusieurs écrivains traitent de tels sujets (voire ont consommé), quoi de mieux que faire passer en boucle des sons
Sur les livres, je vous propose ceux d’Irvine Welsh, Bret Easton Ellis, Chuck Palahniuk ou Will Self. Tous présents sur QLTL. L’anticipation sociale en fait, avec une narration atypique souvent décousue faite de petites phrases et références culturelles underground. Quant à la musique, Vitalic (La Rock, Newman, Poney EP) et Miss Kittin (Stock Exchange, 1982,…) sont plus qu’appropriés. On peut mettre aussi du Vive La Fête (Assez est sublime), Robots in Disguise ou Felix da Housecat.
4/ La pop music et la new wave : joyeux et frais, books on the beach
La new-wave, un des genres préférés du Tigre. Je pourrai vous faire suer des heures avec la musique des eighties…bon, juste un peu alors : Depeche Mode, Fake (Brick), The Cure, Joy Division, Fancy (mon quota allemand), Alphaville. Et tant d’autres. Les boites à rythmes, les mélodies aguicheuses et terriblement addictives, martyriser de pauvres synthés, il est difficile de s’en lasser. Alors quel type de livres se coltiner avec d’aussi mélodieux extraits ?
Il faut quelque chose qui ne soit définitivement pas « prise de tête » : style léger et amusant, pas de phrases qui dépassent trois lignes, des scénarios qui mettent du baume au cœur, bref le roman à lire sur la plage. Et pas un magazine. Pour ce qui daigne venir à l’esprit fécond du Tigre, il y a les titres d’Arnaud Le Guilcher, les notes du blog de Boulet, quelques sucreries d’Hunger Games ou les œuvres de fantasy de Pratchett.
Autre exemple, l’inénarrable Beigbeder qui se laisse parcourir sur une playa à Ibiza avec Chase de Giorgio Moroder (qui fait partie de la BO de Midnight Express). L’auteur en parle lui-même de ce titre dans quelques uns de ses romans. Le Tigre préfère le remix de ce morceau par Vitalic au passage.
5/ La trance (goa ou classique) : son organique pour littérature orgasmique
La trance epic ou psychédélique, ce sont des morceaux de 8 à 12 minutes au rythme assez violent avec une montée en puissance progressive. Parmi les meilleurs, Infected Mushroom (Dancing with Kadhafi est sublime), Sesto Sento ou encore Astral Projection. X-Dream se défend bien en outre. Des sons pour la plupart assez spéciaux, le plaisir ne vient souvent qu’après au moins deux écoutes. Comme certains auteurs d’ailleurs.
Les écrivains se mariant bien à la « psy » sont ceux qui repoussent les frontières de la narration jusqu’à perdre le lecteur lambda. Les mecs (ou femmes, pas de raison) dont on sent qu’ils avaient l’esprit passablement embrumé pendant qu’ils pianotaient sur leur clavier à un rythme indécent. Résultat, le style est rapide et sec avec des débordements descriptifs un poil déjantés. Cette race d’auteurs est plutôt rare, avec en tête de file Hunter S. Thompson ou quelques Sandman de Neil Gaiman (en BD, attention).
6/ Le reggae et autres musiques à bas tempo : rien ne presse
Il n’y a pas que Bob Marley dans la vie, y’a aussi The Wailers, UB 40 voire le dub en général. Dans la plupart des cas, les BPM (battements par minute) sont les mêmes que celui du cœur humain au repos. Impression de synchronicité entre votre métabolisme et la musique, il est possible de la renforcer en faisant péter quelques auteurs qui se la coulent douce. Les écrivains monotones sont hélas rares, le dieu de la littérature ne laissera sûrement pas passer cela.
Pour cela, Le Tigre pense avant tout à la poésie. Légers et courts, les versets d’un Baudelaire, Keats ou Char se marieront à merveille avec le reggae : la coolitude de cette musique faite de samples répétitifs me semble être une invitation à savourer chaque terme, les intégrer et les relire autant de fois qu’il est nécessaire. Ou alors un livre particulièrement long (et dur à suivre souvent), comme un bon vieux Zola ou Les Bienveillantes de Littell.
7/ La musique d’ascenseur : l’easy listening au service de l’easy reading
Le pire pour la fin, avec les écrivaillons qui sont à la littérature ce que Picard est à un chef étoilé. Si Le Tigre est une quille en ce qui concerne le classique, la musique d’ascenseur n’a point de secret pour ma bibliothèque : les compils Buddha Bar ou Cafe Del Mar, Dimitri From Paris, St Germain (pas les titres house), Steph Pompougnac, Alphawezen (Days et Freeze me font pleurer de bonheur), on oublie parfois que la sono tourne à plein régime. Or il est des bouquins qui procurent le même état de passivité béate.
Ces livres, ce sont ceux régulièrement pondus par les auteurs que Le Tigre nomme affectueusement « du dimanche ». Vous savez, ce glorieux jour où Dieu a décidé de ne plus en foutre une ? La littérature facile, vous savez de qui il s’agit avant même que j’évoque leurs noms : Levy, Musso, Pancol, Nothomb, Coben, de bons souvenirs certes, mais hélas périssables. Cette ultime association du présent post, c’est un peu le repos de votre guerrier de cerveau qui demande à vidanger le trop-plein de la journée.
Conclusion en fa dièse
Article fort subjectif qui me donne envie d’ouvrir une plateforme d’écoute d’extraits musicaux. Plus tard peut-être. Sutra #55, car il faut rester dans la logique des sutras #54 et #56. Délices du hasard, en 1955 le rock & roll battait son plein grâce aux excellents Little Richard et Chuck Perry.
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je suis incapable de me concentrer à la fois sur un livre et sur de la musique ! moi pour lire, c’est silence ou rien. mon cerveau a ses limites..
Avec la soupe qui sort des radios, je ne suis pas sûr qu’on puisse réellement parler de « concentration ». Mon cerveau aussi a ses limites, dès qu’il y a des paroles je suis largué sur les deux plans.
oh mais même de la soupe de radio j’imagine que ça me ferait des interférences..et en effet c’est encore pire s’il y a des paroles !
Pour cela, cher Globule, je te propose de jeter un coup d’œil au Sutra #54 qui répond plus à tes remarques.
ah bon ? d’accord !