Indirectement conseillé par un essai sur la métaphysique, Tigre s’est aperçu que Ravage est un classique. Roman français de SF écrit au début des années 40, y’a de quoi être circonspect. Et pourtant, en refermant le bouquin j’ai été relativement satisfait (malgré de nombreuses choses à redire).
Il était une fois…
France, 2052. Seita est un célèbre producteur de TV, et s’apprête à présenter à la populace admirative la belle Blanche Rouget à la voix inimitable. Ce n’est pas vraiment au goût de Deschamps, ingénieur agro un peu sur la paille (sans jeu de mots). Hélas un évènement inconnu au bataillon va détruire la planète : l’électricité disparaît, d’un seul coup ! A partir de ce moment, nos héros (François Deschamps et Blanche surtout) vont lutter pour survivre dans un monde extrêmement chaotique.
Critique de Ravage
Un classique de la littérature, je dirais. Du moins pour appréhender la vision d’un homme sur l’avenir dans un contexte d’écriture assez mouvementé (la Seconde guerre mondiale). Pour tout avouer, j’ai eu peur au début du roman, la première partie fut autant longue que délicate à s’approprier. Puis dès la troisième partie (qui arrive certes tardivement) intitulée Le chemin de cendre, tout cela devient plus « vif » avec plus d’action et des chapitres bien plus courts. Et les quelques passages « fantastiques » (la visite d’un asile d’aliénés) tiennent correctement en haleine.
Barjavel a eu une idée fort originale : d’une part il présente un monde où la technique et la science offrent une situation quasiment parfaite. Voire en mode « foutage de gueule » dans la mesure où les artistes payés à ne rien foutre ou les ministres d’État aussi cons qu’inutiles (par exemple, le ministre de la guerre qui garde un stock de vieilles armes au cas où) ne présentent pas le pays sous son plus beau jour. D’autre part, la catastrophe qui va mettre à bas toute cette organisation. Et là ça mérite d’en parler dans la partie suivante.
Quant au style, et bah je craignais que ce soit trop désuet. En fait, à part le début avec des descriptions de nos jours improbables (la distribution de lait à l’instar de l’eau, l’absence de robots ni de vaisseaux spatiaux) qui m’ont laissé pantois, l’évènement déclencheur est l’occasion de revenir aux « basiques » : entendez, la lutte pour ne pas crever de soif ou de faim (voire se faire trucider) en dégageant illico presto de la capitale afin de créer une communauté idyllique avec quelques compagnons. Cela aurait pu bien se terminer si la dernière partie (Le patriarche) n’eut été aussi bizarre (cf. infra).
Pour conclure, un titre plus qu’intéressant à lire grâce à un vocabulaire et un rythme (seconde partie) qui ont su défier les décennies. Toutefois, le lecteur alerte s’attaquera à cette œuvre avec un esprit critique de premier ordre, notamment à cause de la société « parfaite » et équilibrée que propose l’écrivain.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
L’effondrement brutal de toute civilisation est, comme je l’ai précédemment évoqué, plutôt saisissant. Tout part vite en sucette : les avions qui tombent du ciel, les Parisiens perdus au milieu de nulle part, les morts entretenus dans des chambres froides chez l’habitant qui pourrissent, les antiques maladies qui repointent le bout de leur nez, les grands incendies du genre de celui de Londres en 1666, etc. Du coup, la nature humaine profonde reprend vite ses droits : chacun pour soi, la loi du plus fort prime. Ceux qui espèrent s’en sortir à coup de billets sont bien mal partis, le changement de paradigme étant aussi violent que soudain.
Face à cette déroute de grande ampleur, la solution apparaît rapidement comme étant le noble travail manuel. Déjà, les « credits » de l’auteur signalent un « A la mémoire de mes grands-pères, paysans ». Ça, c’est fait. Le héros Deschamps (le nom est lourd de sens) s’impose vite comme un Mac Gyver du futur avec un bon sens paysan (tiens tiens) qui fait toujours mouche. Le débrouillard du dimanche mais au milieu d’un parterre d’incapables. Gros succès garanti.
La dernière partie, hélas, pousse la logique un peu loin en présentant un monde utopique post-apocalyptique (et presque biblique) assez borderline : polygamie, repeuplement, gestion peu crédible sans monnaie (jusqu’ici ça va), mais avec une oligarchie de vieux sages qui ne veulent en aucun cas revivre la destruction, quitte à brûler tous les bouquins (sauf la poésie) du passé. Une bande d’arriérés en fait. La conclusion finale (y’en a bien une) s’illustre avec ce pauvre jeune homme qui, réinventant la machine à vapeur, se fait sévèrement tancer par le vieux patriarche. A la limite du luddisme, c’est plutôt dommage.
…à rapprocher de :
– L’essai qui m’a définitivement donné envie de lire cet ouvrage est Métaphysique et physique des mondes hors-science, de Quentin Meillassoux. L’auteur y explique, notamment, que Ravage est l’exemple parfait d’un monde de fiction hors-science à cause (ou grâce à) de cet évènement scientifiquement imprévisible.
– C’est marrant, mais la situation de « jouisseurs insouciants » des humains m’a rappelé ceux de l’univers d’Ilium (puis Olympos), de Dan Simmons. Surtout quand la technologie se retourne contre eux et qu’ils doivent se sortir les doigts du cul pour s’en sortir, du style « le couteau et la bite à la main ».
– La Sortie est au fond de l’espace, de Jacques Sternberg. Soufflé par un internaute, c’est dans la PAL tigresque.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman via Amazon ici.
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N’oublions pas non plus que Ravage a été publié à l’époque dans le journal « Je suis partout » dirigé par Robert Brasillach, principal journal collaborateur et antisémite sous le régime de Vichy.
D’où les thèmes tout de même très connotés « travail, famille, patrie » et cette obsession du retour à la terre.
Tiens, c’est vrai ça ! Je n’osais pas évoquer cet aspect pétainiste (pour ne pas dire fascisant), préférant me concentrer sur l’aspect purement « littéraire ». Mais votre info éclaire un peu plus le roman, merci !
Je ne suis pas vraiment d’accord sur ce point la.
Si on peut effectivement qualifier la conclusion de Ravage d’ultra conservatrice, on ne peut pourtant pas non plus classer Barjavel ni parmi les fascistes ni parmi les collabos.
Il n’est pas collabos car il n’a jamais été condamne pour ça. Et si ces idees sont clairement de droite, elles ne sont pas non plus d’extreme-droite, et encore moins fasciste et/ou nazi, tout simplement parce que l’aspect nationaliste ne figure pas du tout dans l’oeuvre de Barjavel.
La communauté créée ne souhaite pas (re)conquérir un territoire, ne revendique pas de nationalité, ne revendique même pas d’appartenance et recueille les refugies sans faire de discrimination (pourvu qu’ils adoptent les lois et le mode de vie de la communaute –> ca ce n’est « que » de la droite)
Au contraire, Barjavel ferait plutôt table rase de tout nationalisme dans une mondialisation et une universalité de l’apocalypse ou toute l’humanite est unie dans la catastrophe.
Pas de racisme non plus. La faute ne vient pas d’un pays, d’une race, d’une religion ou d’un peuple. Chez Barjavel, l’origine de l’apocalypse est toujours inexpliquée (Ravage) ou liée a la science et a la bêtise guerrière humaine.
Le terme « fascisant » (qui tend vers, donc n’est pas) qualifie la fin du roman, où l’intransigeance du héros par rapport au progrès technologique peut choquer. Une sorte de néo luddisme mâtiné de poujadisme, si j’essaie d’être plus précis.
Quant à la « tabula rasa », si Barjavel avait fait une suite, ça aurait sûrement ressemblé à l’évolution de la communauté dans « Le papillon des étoiles », de Werber (désolé pour la référence un peu légère).
Le roman est tellement perché (notamment les miracles dans les hôpitaux psy) que je n’étais pas à ça près pour une œuvre qui date 🙂
Cher Tigre, pardonnez mon inculture crasse, il a fallu que je cherche ce que pouvait bien signifier le terme Neo-Luddisme.
Neo-luddisme et poujadisme, pourquoi pas. Mais je ne crois pas que cela couvre suffisamment la terreur que Barjavel éprouve vis-a-vis d’une apocalypse d’origine scientifico-humaine.
Quant a l’evolution de la communaute, je n’ai pas lu « Le papillon des etoiles ». Mais Barjavel évoque plus d’une fois le thème dans d’autres de ses bouquins: C’est un éternel recommencement. La patriarche detruit la machine a vapeur construite par un jeune. Soit. Mais quand le patriarche sera mort, il n’y aura personne pour protéger l’humanité du progrès.
De même dans « La Nuit des Temps », Barjavel évoque un éternel recommencement de l’évolution de l’homme, du progrès, de la science, de sa déconnexion avec la terre, pour finalement s’auto-annihiler et recommencer depuis le début.
…à rapprocher de :
« La Sortie est au fond de l’espace » de Jacques Sternberg, 1956
Présence du Futur 1990
Ravage est effectivement un classique de la littérature de science fiction mais non pas parce qu’il a été écrit il y a longtemps mais bien parce que Barjavel a réussit a fonder le genre bien distinct de la survie après l’apocalypse, apocalypse non biblique mais bien humaine.
Quand il écrit Ravage, Barjavel est en pleine deuxième guerre mondiale alors il a un peu sous le nez et tous les jours les « ravages » dans un monde moderne, sans en voir par contre les avantages.
D’où effectivement des conclusions et des morales assez… particulières. Sa vision d’un monde idéal, avec un retour a la terre dans un environnement familial limite sectarise, le refus du progrès et la surveillance de la science et de la littérature par une gérontocratie donne des frissons et sens lourdement le bon vieux « Travail, famille, patrie ».
De même, dans d’autres de ses ouvrages écris peu après la guerre et le largage de la bombe atomique, Barjavel marque lourdement sa terreur pour la fin du monde (La Nuit des Temps, La Faim du Tigre, Le Diable l’emporte, …) et le résultat sent souvent un peu l’eugénisme pour tenter de faire survivre le « meilleur » de la race humaine.
Mais encore un fois, ce sont la des œuvres maintenant classiques, révélatrice d’une époque car marquée fortement par l’histoire et les courants de pensée de ce temps et il convient de garder cela a l’esprit lorsqu’on (re)découvre Barjavel.
Ping : Quentin Meillassoux – Métaphysique et fiction des mondes hors-science | Quand Le Tigre Lit