Auteur marseillais s’il en est, René Frégni a le verbe qui sent le romarin et dont les histoires sont réjouissantes et bien rythmées. Le lecteur aimera suivre un monsieur tout-le-monde qui, par une suite de hasards, se dépasse dans une aventure rocambolesque. Pourvu qu’on ne prête pas attention aux quelques improbabilités, sinon incohérences. En un mot, un roman pittoresque.
Il était une fois…
Pierre Chopin est un écrivain, la quarantaine, qui souffre de ce qu’on appelle communément le syndrome de la page blanche. Il s’emmerde sévère et crève de chaud dans son appartement à Marseille quand, tout à coup, Charlie Branco débarque. Ami d’enfance devenu un grand nom du grand banditisme, Charlie est gravement blessé et a juste le temps de lui remettre une mystérieuse cassette que Pierre s’empresse de cacher. Quelques secondes après, les flics débarquent dans l’appartement précipitamment déserté par l’ami. Les ennuis débarquent et, évidemment, la matière nécessaire pour écrire un bon polar.
Critique de Lettre à mes tueurs
Se faire une petite cure de polars sortis de Bouches-du-Rhône est parfois salutaire, surtout lorsqu’on le lit lorsque le climat est tout sauf méditerranéen. En effet, le style de Néné réchauffe le cœur, on jurerait que le soleil phocéen émerge des pages d’un roman court et plutôt prenant.
Sur une suite de chapitres courts, Le Tigre a assisté à l’engrenage d’un homme simple qui se retrouve au beau milieu d’une lutte terrible entre les flics, la pègre et quelques uns de ses plus froids tueurs. Acculé de toute part, Pierre peut compter sur les « amis » de Charlie pour survivre dans un tel bordel.
C’est hélas à ce moment que le roman perd en crédibilité : le héros, soumis à de nouvelles pressions et dont la vie est un grand danger, opère une surprenante transformation qui le fait passer d’auteur ennuyeux en une quasi machine de guerre. Il tient la dragée haute aux gangsters (Sauveur en particulier) et j’ai eu l’impression qu’il s’est plus fait greffer une troisième couille que l’environnement menaçant l’a transcendé. Changement d’identité, fuite à travers l’Europe (certes brève), c’est too much pour le cartésien félin.
Heureusement, on sent que Frégni s’est fait plaisir à décrire un monde fantasmé et, au fil des chapitres, le réalisme laisse tranquillement place à du grand n’importe quoi jusqu’à un dénouement en apothéose qui s’avère, paradoxalement, très juste (le titre étant un indice). Au final, et rien que pour les descriptions des lieux (Avignon, par exemple), les quelques cours d’Histoire dispensés ou les bruits de fond que sont les matchs de l’OM, la Provence n’a pas à rougir d’un tel auteur.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
Au premier tiers du roman, je pensais sincèrement que ce que j’appelle « les niveaux de gris » allaient être à l’honneur. L’implication de la police dans les basses manoeuvres des malfrats était clairement sous entendue, sentiment renforcé par la facilité avec laquelle le protagoniste se faisait pister. Le document numérique laissé par Charlot promettait de délicieuses révélations, hélas on apprendra rien à ce sujet. René F. ne s’est vraiment pas cassé le cul, et dire ce qu’il y a dans cette putain de cassette (la base de l’intrigue, je le rappelle) aurait été la moindre des choses.
En contrepartie des flics, le milieu du banditisme est décrit comme une bande de mecs (peu de nanas) qui évoluent dans un autre monde que nous. Personnages bourrus et à la parole rare mais d’honneur, Le Tigre a été quelque peu gêné par le tableau dressé. On sent presque l’admiration du Marseillais pour cette population qui, malgré ses codes moraux et amitiés indéfectibles, zigouille à tout-va et respecte la loi autant qu’un chat respecte une valise ouverte et pleine de vêtements.
Le dernier thème est éminemment plus personnel pour l’écrivain et traite de la matière à faire un roman. Le héros s’ennuie sec jusqu’à ce que quelque chose d’extraordinaire lui arrive. Aussitôt, il décide de coucher une partie de ses pérégrinations sur papier. Le parallèle avec René Frégni, qui a œuvré dans les prisons (pas en tant que délinquant), mérite d’être signalé. En côtoyant de tels individus, forcément l’imagination est exacerbée.
…à rapprocher de :
– On retrouve un texte de Frégni dans le correct (sans plus) Marseille Noir, présenté par le grand Cédric Fabre.
– Au cours de ce roman, René Frégni fait un hommage appuyé à Izzo, en particulier son roman Total Kheops. A lire sans doute.
– Sinon, dans la catégorie « polar marseillais », vous pouvez jeter un œil du côté d’André Fortin et son Restez dans l’ombre. Un poil ennuyeux, mais plus poussé sur l’histoire.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.
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