Sous-titre : Une jeunesse au Moyen-Orient (1978-1984). De manière aussi fine qu’humoristique, l’auteur nous conte sa (pas si) tendre enfance dans deux belles dictatures militaires arabes – et les séjours en France. Scénario et dessins produits par un seul homme qui sait de quoi il parle. En un mot : intelligent. Plus qu’un roman graphique, un essai autobiographique-graphique.
De quoi parle L’Arabe du futur, et comment ?
« Ce livre raconte l’histoire vraie d’un enfant blond et de sa famille dans la Libye de Kadhafi et la Syrie d’Hafez Al-Assad ». Pour une fois qu’un quatrième de couv’ donne l’impression de tout dire, celui-ci mérite d’être rapporté. En effet, relater les six premières années de sa vie n’est pas donné à tout le monde, surtout dans les conditions qui ont été les siennes. Naissance en France, premières années en Libye, puis re-France avant d’aller en Syrie, et dernier aller-retour, la famille Sattouf a beaucoup voyagé.
Pour chaque pays, Riad a choisi d’utiliser une coloration différente (couleurs froides pour l’Europe notamment), et ça se marie parfaitement avec le dessin adopté par l’auteur : trait généreux et large, minimalisme (figures des protagonistes principal) associé à des cases assez petites, ça pourrait rappeler du Guy Delisle mais sans grand plan d’ensemble ni grandes fresques architecturales – tout est observé du point de vue d’un enfant.
Pour tout vous avouer, j’étais plutôt habitué, avec Riad S., à de courtes bandes dessinées passablement déconnantes, du genre à me provoquer quelques ricanements, si ce n’est de gras rires. Et là, non seulement il y a quelques longueurs, et la mortification touchera plus d’une fois le lecteur face aux descriptions réalistes et souvent dures – exemple du chien torturé à mort. Toutefois il y a, au détour des pages, cette petite tendresse et prise de recul agréablement surprenantes. Son père, en particulier, est un personnage avec certaines faiblesses qui suscite la sympathie par le décalage entre sa situation enviable (c’est relatif) et ses réactions parfois conservatrices.
En conclusion, c’est un roman graphique qui fait montre d’un impressionnant boulot d’introspection, même si certains souvenirs à cet âge doivent plus relever du fantasme que d’autre chose – mais il gère cet aspect très bien. Fin du fin, Riad Sattouf ne juge pas ni se pose en moraliste : il se contente de relater, tout simplement, le début d’une existence bien remplie.
Ce que Le Tigre a retenu
C’est dingue, le félin a l’impression que n’importe quel aspect (aussi insignifiant soit-il) mérite d’être rapporté sur ce blog. Je vais en prendre trois qui me viennent à l’esprit :
Déjà, qu’est-ce que signifie le titre ? Il faudra attendre l’avant-dernière page du bouquin pour lire la remarque de son père (d’origine syrienne) : l’Arabe du futur, c’est celui qui va à l’école. Certes, mais laquelle ? Parce que les institutions fréquentées par Riad ne font pas rêver – lorsqu’il a le droit d’y aller. Entre la Libye et la Syrie, on ne saura que très peu des enseignements dispensés (à croire qu’on y apprend rien, mais savoir lire et écrire suffit). Du coup, on a la sensation que l’apprentissage éthique et moral des jeunes Arabes se fait dans la rue, et ce n’est pas glorieux. Haine des juifs, bagarres incessantes, bigotisme excessif, tutti quanti. Mais ne riez pas trop vite, parce que l’école élémentaire en Bretagne a de quoi également foutre les jetons : on dirait un asile de chiards tous nés de parents frères et sœurs alcooliques.
Bien sûr que la politique s’invite dans l’ouvrage, et le modeste compte rendu de la politique socialiste des deux pays arabes n’est guère reluisant. L’abrutissement de la population par une bande de dictateurs aussi mégalomanes qu’incompétents et paranoïaques existait dans ces années, et la vie quotidienne des habitants était certes paisible (tant qu’on ferme sa gueule), mais misérable. Comme l’analyse le père (non sans tristesse), les pays occidentaux sont dans l’erreur à souhaiter aux pays du Moyen-Orient d’adopter la démocratie à l’européenne. Les Arabes auraient besoin d’hommes forts pour les obliger à s’éduquer, à se bouger le cul en quelque sorte, et ensuite ces derniers se débarrasseront naturellement de leurs dictateurs. Triste, vous dis-je.
Dernière remarque et je m’en vais : la maman de Riad, belle Bretonne responsable de la blondeur de ses cheveux, m’a époustouflé par sa force de caractère. Même si le système de l’époque n’a rien à voir avec un État régi par la plus impitoyable des charias, la femme n’était pas destinée à un grand avenir dans ces pays. Clémentine (c’est son prénom) a bien tenté d’avoir un travail, mais ça n’a pas duré plus d’une heure. En outre, la mère a su rester digne et stoïque face au nouvel univers dans lequel elle a vécu (confort général amoindri, arrivée d’un second enfant, journées sans pouvoir sortir, aucune lecture possible, presque pas de TV), sans compter les positions parfois rétrogrades (d’un point de vue français du moins) de son époux. Bravo à elle, je ne serais pas arrivé à sa cheville.
…à rapprocher de :
– Il paraît que cette série est en trois tomes. Je trépigne d’impatience pour les autres.
– De Sattouf, Le Tigre a beaucoup lu : La Vie secrète des jeunes (flemme de les résumer ici), mais surtout la grandiose trilogie de Pascal Brutal.
– On ne peut s’empêcher de penser à Persépolis, de Marjane Satrapi – même si Marjane n’a pas, à la base, la double casquette Orient-Occident.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.
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