Sous-titre : un roman à dix étages. VO : Ten Storey Love Song. Roman encensé par le grand Irvine Welsh en personne, on comprend pourquoi vu le style et certains personnages. Richard Milward, voilà peut-être une nouvelle tête dans le monde de l’anticipation sociale : acide, drôle, narration et format qui sortent des clous, bref ça a plu au Tigre.
Il était une fois…
Dans le nord de l’Angleterre, une tour HLM nommée Peach House héberge une dizaine de protagonistes que le lecteur suivra dans leurs pérégrinations. Bobby le peintre déjanté et sa petite amie Georgie, Johnny l’impulsif et sa copine Ellen, Alan le Salaud (ex-flic) qui est porté sur les jeunes filles, et quelques autres cas sociaux. Lorsque Bobby l’Artiste voit ses toiles repérées par un homme (avec l’aide de sa cousine qui habite Peach House) qui tient une galerie branchée en plein Londres, le microcosme en apparence harmonieux de nos héros risque de partir sérieusement en couille.
A ce titre, Le Tigre a trouvé que le quatrième de couverture ne rendait bien compte que de la forme du roman (cf. infra), hélas pas du fond qui est bien plus riche et déjanté.
Critique de Block party
Le Tigre a eu une arythmie cardiaque passagère en ouvrant le roman : il manque les chapitres, les paragraphes, les tirets pour les dialogues et même les sauts de page ! Comme si l’auteur nous contait, sans reprendre son souffle, quelques jours du quotidien mouvementé des habitants de l’immeuble. Or, à partir d’une trentaine de pages le lecteur se trouve pris dans le tourbillon. Car si le début n’est pas franchement génial, avec des personnages qu’on se représente difficilement, Block party accuse une intensité qui va crescendo, jusqu’à une fin qui nous laisse comme sonné. 300 pages de ce format, c’est au moins 450 pour un poche « normal ».
Sur l’histoire et le style (outre l’aspect « bloc » littéraire), il faut souligner que Richard a une admiration particulière pour l’anticipation sociale et reprend ses canons de manière délicieuse. Ainsi les hommages aux grands auteurs de ce genre de littérature légion : le mec parano violent (imaginez Begbie dans Trainspotting) ; un autre qui se chie dessus alors qu’il est en pleine parade nuptiale ; la cassette porno amateur qui tombe entre les mains d’un ami (une cassette en 2009 ? Voyons..) ; les suites de mots sans queue ni tête, c’est du pur Irvine Welsh. On peut remarquer de temps à autre l’utilisation extensive du name droping (marques et produits), exercice rappelant tant Palahniuk que Will Self.
En conclusion, une excellente (et originale) expérience littéraire que Le Tigre affectionne particulièrement. En sus, l’objet-roman est de très bonne qualité, et l’idée de mettre sur le rabat de fin une playlist des morceaux conseillés par Richard M. en personne illustre parfaitement la symbiose entre les deux arts (ce dont j’ai déjà parlé). Une dernière pensée pour la traductrice Audrey Coussy qui a dû avoir plus d’une fois les yeux qui piquent à force de reproduire les idiomatiques de Milward et son style puissamment rythmé.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
La drogue. Comme tout bon écrivain d’anticipation sociale, la plupart de nos jeunes fument (pas que du tabac), boivent (pas que de l’alcool), gobent (pas que des dragibus comme Georgie) ou sniffent comme s’ils allaient mourir le lendemain. Ce qui donne lieu à de savoureuses situations gênantes, quiproquos et autres dégueulasseries bien marrantes. Si j’ai cru que Milward ne décrirait (avec talent) que les effets euphorisants et « déconnants » de la dope, le dernier quart de l’œuvre fait la part belle au bad trip.
L’amour. Et oui, un peu de romance dans cette œuvre avec notamment le pauvre Johnny, cocu d’un soir, qui crève de jalousie (alors qu’il ignore ses tristes cornes) face à une Ellen qu’il ne parvient pas à satisfaire au pieu. Il y a en outre Georgie et son copain d’artiste qui paraissent filer le parfait amour. Ces deux couples vont évoluer, chacun dans un sens opposé. L’homosexualité est même abordée avec le galeriste (Lewis) qui pense, à tort, que Bobby ne serait pas contre une petite partie de jambes en l’air. Amours interdites enfin, avec Alan l’alcoolo aux penchants pédophiles (et une terrible révélation sur la fin). Bref, de tout.
L’art me paraît constituer un bon dernier thème, puisque c’est l’élément déclencheur de l’œuvre. Et le lecteur pourra goûter une description au vitriol de ce que sont les gens et les usages dans ce business. Car Milward sait de quoi il parle, l’écrivain est aussi peintre et maîtrise naturellement l’univers interlope des galeries d’art contemporain. Mais je vous laisse découvrir par vous même de quoi il retourne.
…à rapprocher de :
– Puisque l’auteur explique avoir eu envie d’écrire dès son plus jeune âge après avoir lu Trainspotting de Welsh, autant le signaler. Et en profiter pour dire que la suite, Porno, n’est pas autant de très bonne facture.
– Chuck Palahniuk et Will Self, puisque j’en parlais, avec notamment, du premier, Tell All (le name droping) ou, du second, The Sweet Smell of Psychosis (les drogues et le monde des médias). Il y en a d’autres, comme par exemple Fight Club qui est invoqué dans le présent roman. Sur l’asepct « monobloc », et si vous êtes prêt à lire du très complexe, essayez donc Umbrella de Self.
– Pour parfaire votre connaissance de l’univers artistique, je vous renvoie amicalement vers Sept jours dans le monde de l’art, de Sarah Thornton (anglaise elle aussi).
– Chez le même éditeur, Le Tigre vous conseille également Côté cour, de Leandro Ávalos Blacha. Original.
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Ce roman a l’air exceptionnel en effet. Merci pour cette référence.
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Merci pour cette belle critique, Le Tigre, et pour cette pensée à la traductrice! J’avais les yeux qui piquaient par moments, mais le cœur qui battait tout autant au rythme effréné du roman. Heureuse que ce rythme vous ait emporté aussi.
Quel honneur de recevoir sur mon modeste site une traductrice ! Il est rare que l’éditeur indique de manière si visible en quatrième de couv’ la personne qui a traduit l’ouvrage (Au Diable Vauvert le fait également). Aussi lorsqu’on dévore d’une traite un tel titre en oubliant qu’il a été d’abord écrit en anglais, il me paraît normal de glisser un petit mot sur votre travail. Du coup vous m’avez donné une idée de Sutra.