VO : Idem. Ne vous fiez pas à l’image de couverture bien pourrie (décidément, le stagiaire chez Milady est en pleine forme), il s’agit encore d’une petite bombe littéraire toute britannique. Dans un futur pas si lointain, une race d’hommes (qui a certes prouvé son utilité) dérange les autorités aux entournures. Conspiration, suspense, surprises, tout cela servi par un style enlevé et jouissif.
Il était une fois
Au début du 22ème siècle, l’Humanité est (relativement) heureuse. La colonisation de Mars avance à grands pas et les terribles guerres du siècle précédent (oui, le notre) ne sont qu’un vilain souvenir. Enfin presque, car il reste les Variantes 13, sorte de supersoldats qui ont aidé à gagner les conflits. Carl Marsalis est l’un d’eux, et depuis son retour de Mars (permis grâce à une loterie) il n’a d’autre choix que de travailler pour le gouvernement en traquant les dernières Variantes (une en particulier qui fait de la merde).
Critique de Black Man
Morgan est un excellent auteur, et il le confirme avec un thriller mâtiné d’anticipation sociale, sinon de science-fiction. Un peu moins de 800 pages, c’est long mais immersif. Pour ma part, je me souviens l’avoir lu en une dizaine de jours, ce qui est trop. D’où ce conseil : achevez le d’un coup, au risque de perdre le fil qui est, Richard Morgan oblige, assez complexe.
Pour faire simple, les variantes humaines dont fait partie le héros n’ont plus état d’être, aussi notre ami Carl est engagé pour enfermer les autres (certes aidé de Sevgi et Tom Norton) qui ne sont pas sur Mars ou encore parquées dans des camps. Hélas, mille fois hélas, il ne faut guère compter sur la coopération des cibles, et leurs connaissances en conflit et guérilla urbaine en font des adversaires redoutables. Si bien qu’au cours du récit, on ne sait plus trop qui traque qui.
Là où l’auteur britannique a fait fort, c’est dans la description de tous les petits à-côtés de cet univers. La colonisation de mars et la tune que cela coûte ; les nouvelles formes de criminalité assez flippantes ; l’anthropologie revisitée (cf. partie suivante) ; le pouvoir des corporations sur les États ; l’avenir de l’Europe ; la scission des États-Unis (en trois ensembles du genre un paradis des bigots, un pays des NTIC et le Nord-Est « normal »), bref c’est aussi cohérent qu’ouvert aux possibilités narratives dont Morgan sait user.
Comme toujours avec l’écrivain, le scénario s’avère d’une rare complexité et les problématiques abordées auraient pu justifier la séparation en deux tomes. Cela n’empêche pas de ricaner de temps à autre avec quelques bons mots bien cyniques, voire de rosir de plaisir en lisant les descriptions plutôt crues de scènes de cul. On oublierait presque la traduction de l’ouvrage qui prend des airs de travail d’amateur et pollue un peu l’ambiance sombre et glauque de l’univers.
En conclusion, ceci n’est pas un énième titre de cyberpunk, mais un excellent roman qui va au-delà du policier ou de la SF en proposant de s’interroger sur les dérives de la modification de l’être humain et de la recherche de la rentabilité à outrance. [cette phrase fait blogueuse engagée, je sais]
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
Pour comprendre comment on en est arrivé à modifier génétiquement des soldats, l’auteur distille le « rapport Jacobsen » (qui a amené aux Variantes 13) en début de chaque chapitre. Grosso merdo, parce que l’Occident est englué dans ses guerres et que la population s’est trop féminisée (en fait un gêne a disparu depuis des milliers d’année, nous permettant de coexister et être ensemble, la civilisation en fait), il faut revenir aux basiques en créant une race de soldats sévèrement burnés, des mâles à l’état pur pour qui la coopération et l’empathie n’existent pas. En période de guerre, les mecs abattent (hum) un boulot phénoménal, toutefois leurs statuts de mâle alpha solitaires n’en font pas de bons compagnons (sauf de jeu, en effet ce sont de vraies bêtes de sexe).
Morgan se s’arrête pas là, d’autres idées de bidouilles génétiques parsèment le roman. Deux exemples. 1/ Le gène « bonobo » dont certaines femmes sont pourvues : la féminité exacerbée d’un point de vue machiste, à savoir faire plaisir à son homme, lui être soumise et y être attachée comme une esclave sexuelle. Assez terrifiant dans la mesure où la programmation génétique de l’épouse ne lui permet aucune alternative 2/ Des individus qui permettent à leur métabolisme d’hiberner : hyperactifs et ne dormant pas pendant six mois, puis roupillage en règle à l’abri de tous. Quand le héros en réveille une en plein sieston, ce n’est pas joli-joli à voir.
Concernant d’autres thèmes comme l’aspect cyberpunk ou la suprématie des groupes capitalistiques sur les États (notamment l’organisation LINCOLN qui gère la colonisation martienne), Tigre vous renvoie vers les billets de la saga Kovacs (cf. infra) qui sont bien plus prolixes sur ce sujet.
A rapprocher de :
– De cet auteur, Tigre vous signale donc la trilogie de Takeshi Kovacs : Carbone modifié, puis Anges déchus et enfin Furies déchaînées. De mieux en mieux à chaque fois. Même héros à la testostérone qui pète le plancher, mais avec des E.T.
– Tiens, le « Jésusland » du Sud des States me rappelle, dans une légère mesure, l’essai Au pays de Dieu, de Douglas Kennedy (avant qu’il ne se mette à écrire n’importe quoi).
– Le techno-thriller saaaans prise de tête en version française, ça donne Incursion (en lien) de Pierre Brulhet. Plus court et moins sérieux néanmoins.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.
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