|VO :Julian Comstock: A Story of 22nd-Century America]. Vers 2173 après JC, l’Amérique n’est plus que l’ombre d’elle-même. Plus de pétrole, une présidence tyrannique au service d’une théocratie, une interminable guerre contre l’Europe…et arrive une lueur d’espoir, un homme cultivé qui va atteindre le sommet…pour mieux se casser la gueule avec fracas. Triste et beau.
Il était une fois…
La première partie de la présentation de l’éditeur, ici partiellement reproduite, est plus que valable :
« [Julian Comstock] est le neveu du président des États-Unis. Son père, le général Bryce Comstock, a été pendu pour trahison (on murmure qu’il était innocent de ce crime). Julian est né dans une Amérique à jamais privée de pétrole, une Amérique étendue à soixante États, tenue de main de maître par l’Église du Dominion. Un pays en ruine, exsangue, en guerre au Labrador contre les forces mitteleuropéennes. Un combat acharné pour exploiter les ultimes ressources naturelles nord-américaines. On le connaît désormais sous le nom de Julian l’Agnostique ou (comme son oncle) de Julian le Conquérant. »
Critique de Julian
Le félin a volontairement omis la suite du quatrième de couverture qui évoque une « critique sans concession des politiques environnementales actuelles », qu’un stagiaire n’aurait même pas osé rédiger. Car c’est putainement faux. Ce roman parle avant tout du gâchis d’une civilisation ayant reculé de 300 ans et qu’un homme, trop seul, tentera de faire évoluer dans un sens plus libéral – échec cuisant, et c’est la force des romans qui se terminent relativement mal.
Cette histoire, finement découpée en cinq actes, est contée par l’ami le plus proche du héros : Adam Hazzard. Issu de modeste extraction, Adam a la chance d’avoir comme compagnon de jeunesse Julian, ce qui lui permet accessoirement d’ouvrir son esprit à des choses auxquelles peu ont accès – de la littérature différence de celle approuvée par le Dominion, dans laquelle il découvre notamment que des hommes se seraient jadis posés sur la lune… Or, Julian n’est pas n’importe qui : neveu de Dekan Comstock, Président des States désireux, à terme, de se débarrasser du fils de celui qu’il a (injustement) fait condamner à mort.
Nos amis (auxquels s’ajoutent Sam, fidèle protecteur de Julian) mènent une vie relativement paisible dans un comté rural, loin de la guerre, jusqu’à ce que cette dernière les rattrape. Fuite de leur village, vagabondage jusqu’à un enrôlement forcé dans l’armée américaine utilisée comme chair à canons par un chef incompétent (Deklan) dans une guerre contre les Européens dans le Labrador. Pendant ce temps, Adam se découvre des prédispositions à l’écriture. En moins de 200 pages, Julian passe de soldat anonyme (il avait changé son nom) à commandant audacieux (astucieux même) et respecté débarquant à New-York avant de ravir le pouvoir à son oncle – oui, le palais présidentiel est situé en plein Central Park.
Avec cet auteur canadien, l’histoire proprement « militaire » est accompagnée d’une foultitude de narrations annexes, que ce soient les tribulations personnelles d’Adam (en tant qu’écrivain et en tant qu’époux de la pétillante Calyxa) ou les lubies d’un Julian président, adepte de longues discussions philosophiques (avec un certain Magnus vis-à-vis duquel les sentiments paraissent ambigus), réalisateur d’un film sur la vie de Charles Darwin (imaginez la tronche que tire le très saint) Dominion, bref un personnage d’une rare profondeur dont l’intransigeance vis-à-vis de l’intégrisme religieux lui coûtera bien cher.
Concernant le style de l’écrivain, ne vous attendez pas à de la SF méga pêchue qui vous laisse sur le cul. On est plutôt dans le registre de la mélancolie, une fable douce-amère (surtout amère) dans un roman dont les références confinent au gothico-néo-victorien – désolé pour le tri-name-dropping, mais en termes d’auteurs autorisés dans les années 2170, de technologie sans pétrole digne du 19ème siècle, du curseur moral et de la stratégie militaire de la même époque, on est en plein dedans. Ajoutez à cela l’ambiance de la Guerre de Sécession couplée à la connaissance qu’existait avant un âge d’or du pétrole peuplé des « Profanes de l’Ancien Temps », et vous comprendrez que l’optimisme n’est pas au rendez-vous.
Julian est plus qu’un roman, c’est une biographie fictive, rédigée par un lettré à peu-près objectif (pour notre époque) et qui rend compte d’une double chute : celle d’un homme trop seul qui a tenté de changer l’Amérique déclinante, et celle de la civilisation humaine qui semble plus ou moins vouée à l’extinction – l’espoir ne paraît pas venir des Mitteleuropéens dont on ne sait hélas pas grand chose, sinon qu’ils causent le hollandais. Bon roman en somme, même si Robert C. Wilson a habitué le félin à mieux.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
Le fauve en a déjà beaucoup dit, et rajoutera deux ou trois précisions :
Julian le Conquérant, c’est le génie d’un homme dont les conquêtes sont nombreuses : victoires militaires d’abord, avec des actes de bravoure et des trouvailles stratégiques (mêlant bluff et trouvailles tactiques) sorties d’un esprit inventif. Victoires contre un oncle infâme qu’il parvient à déposer tout en n’entretenant pas le cercle vertueux des changements de dirigeants – la trahison ou l’exécution de son prédécesseur. Évidemment, toute conquête n’est pas éternelle, la situation étant trop précaire pour s’assurer une place au soleil. La précarité du pouvoir, y’a rien de plus vrai.
Julian l’agnostique, c’est un visionnaire libéral baigné dans les écrits d’antan mais né deux siècles trop tard. Un agnostique, c’est quelqu’un qui ne se prononce pas et laisse planer le doute, comportement dangereux dans l’environnement décrit par Robert Charles Wilson. Julian aurait pu renverser la direction prise par une Amérique puritaine et dictatoriale sous le joug de la religion rétrograde du Dominion. Sauf que le Dominion est plus puissant, plus tenace et finit par avoir le dernier mot. La faute à un Julian qui se radicalise jusqu’à être accusé de renier sa religion ?
Ainsi, et au fur et à mesure des chapitres, le protagoniste tend à se rapprocher d’un personnage historique bien connu : l’empereur romain Julien dit l’Apostat, qui a eu de terribles déconvenues en tentant de rétablir le polythéisme dans un empire profondément chrétien. Les deux Juju ont marqué leur époque par leur rejet (presque viscéral pour Julian) d’un ordre bien établi qui dispose de la mainmise sur la population. Dans tous les cas, le décès brutal annonce le retour à un statu quo ante, interdisant pour un certain temps la réhabilitation de l’ancien chef d’État.
Pour conclure, Julian, c’est un prénom assez doux, qui correspond bien à la bonté d’un homme confronté à la laideur humaine qui fait bloc. Envoyé dans des missions dangereuses (sinon suicidaires) par un oncle qui espère qu’il se fera tuer au combat, désireux de restreindre le pouvoir d’une organisation plus dictatoriale que la Présidence des États-Unis (certes en utilisant des mesures exceptionnelles), passant la plupart de son temps à diriger un film qui sera probablement perdu, tout ça pour crever d’une maladie contagieuse alors que tout s’écroule autour de lui, voilà une histoire qui se termine mal comme je les aime – car pleine d’enseignements.
…à rapprocher de :
Robert Charles Wilson. Un des auteurs que Le Tigre affectionne dans les grandes largeurs. Par exemple :
– La base, c’est la saga Spin, Axis et Vortex. Point barre.
– En moins long, Mysterium est un peu chiant tandis que Les Chronolithes a les faveurs du Tigre. Et puis quelques nouvelles bien sympatoches, du genre YFL-500 ou La cabane de l’aiguilleur. Sans oublier Le vaisseau des Voyageurs ou Blind Lake, deux purs plaisirs.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.
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