VO : The Children of Abraham. Robert Littell, journaliste et écrivain émérite, a de la suite dans les idées. Malgré la collection de l’éditeur, cette œuvre ressemble plus à un cours de philosophie (et d’histoire) qu’à un polar. Sous couvert d’un enlèvement en pleine Palestine, victime et ravisseur vont avoir une conversation des plus intéressantes sur le sens de leurs combats et ce qui les différencient.
Il était une fois…
Isaac Apfulbaum a été enlevé. Mais pourquoi ? Serait-il, en plus d’être un rabin influent et virulent, le cerveau d’un groupe de terroristes israéliens ? La question sera posée par l’homme responsable de son kidnapping, Abu Bakr, qui est également assez connu niveau intégrisme religieux. Lors de la captivité du rabin, celui-ci et l’islamiste transformeront les intérogatoires d’usage en discussions passionnées. Sera-t-il libéré à temps ?
Critique des Enfants d’Abraham
Petit mot sur la famille Littell. Robert L., c’est bien le daron de Jonathan, vous savez, celui qui a écrit Les Bienveillantes… Déjà que le fiston a fait fort niveau culture (et indigestion pour certains), Le Tigre n’a pas vraiment été étonné par la qualité du titre de Robert. Une famille d’intellectuels comme on en fait rarement.
Un rabbin est gardé en otage par des islamistes. Il s’ensuit, presque naturellement, un dialogue de haut niveau entre Isaac et son ravisseur, Abu. Parallèlement, le Mossad, aidé par un journaliste (qui en fait partie), tente de libérer le rabbin qui est retenu en plein territoire palestinien.
Les enfants d’Abraham est un roman ambitieux, et ça a plutôt bien fonctionné pour l’auteur. L’histoire sur la façon dont les services secrets tentent de retrouver l’otage n’a que peu d’importance par rapport au face-à-face tendu entre les deux ennemis, avec de puissants dialogues entre eux. L’évolution de leur relation, subtile mais nette, est instructive (car parsemée de nombreuses référence) jusqu’à ce que le vieux rabbin et le théologien islamique parviennent, dans les dernières pages, à se faire la bise en s’appelant mutuellement « mon frère ».
En spoilant légèrement, Isaac et Abu vont se découvrir plus de points communs que de divergences, et ensemble finiront par accepter de mourir ensemble (main dans la main je rajouterais) pour leurs idées. Les chapitres sont plutôt bien découpés, et les 300 et quelques pages pourront être raccourcies si vous ne vous concentrez que sur les dialogues entre les deux fanatiques.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
Judaïsme et Islam. Le fascinant dialogue est une élégante manière de revisiter l’histoire de ces deux religions, et ce qu’elles ont en commun. Le dieu unique, celui de l’ancien testament ; la faute des Juifs qui n’auraient, à deux reprises au moins, aucunement reconnu des illustres prophètes ; les considérations de chaque religion concernant la terre d’Israël,…. On pourrait certes déplorer que l’aspect politique (et les manipulations des groupuscules) ne soient quasiment pas traités, mais à ce niveau de littérature, chipoter serait pécher.
Les fanatismes. Il appert, au cours des discussions, que la notion de sacrifice est ce qui lie les deux protagonistes. A un tel point qu’ils sont plus proches que leurs compatriotes respectifs. La folie et le respect sans condition de leur dieu contribuera à une estime mutuelle qui peut surprendre. Au final, les extrêmes se rencontrent. On apprend même, au cours du roman, que l’autorité palestinienne (la police en tout cas) et le Mossad ont comme commun intérêt de voir ces deux fous furieux disparaître de la surface – malgré le statut de martyrs qu’ils pourraient revêtir.
Sur la prise d’otage, les thèmes sont bien traités par Littell, si ce n’est le fameux syndrome de Stockholm dont je n’ai pas souvenir dans ce roman. Car la question demeure : si Isaac, après quelques jours de captivité, n’aurait tout simplement pas épousé l’idéologie de son ravisseur, ce dernier voyant naturellement « un être miroir » dans le rabbin ? Robert L. a du penser que la volonté, les idées bien arrêtées du personnage seraient de nature à empêcher un tel syndrome.
…à rapprocher de :
– Même auteur, services secrets soviétiques vs. CIA dans les années 90, avec une touche d’autochtones amérindiens, c’est Le fil rouge. Peu regretteraient cette lecture.
– Sur l’antagonisme israélo-palestinien, il y a Les matins de Jénine (qu’hélas Le Tigre n’a pu finir) roman de Susan Abulhawa. Voire Le jugement final, thriller qui se laisse lire – sans plus.
– Un polar ne se déroulant qu’en Israël, je m’étais plutôt régalé avec Meurtre à l’université, de Batya Gour.
– Sur les prises d’otages, y’a Otages de la peur de Robert Crais qui mérite d’être lu.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.
Ping : Daniel Easterman – Le jugement final | Quand Le Tigre Lit
Ping : Robert Crais – Otages de la peur | Quand Le Tigre Lit
Ping : Robert Littell – Le fil rouge | Quand Le Tigre Lit
Ping : Batya Gour – Meurtre à l’université | Quand Le Tigre Lit
Ping : Yann Martel – L’histoire de Pi | Quand le tigre lit