VO : Manfred’s Pain. Un homme. Une épouse. Un foyer. Un gâchis. Avec un style précis et épuré, Robert M.L. Wilson parvient presque à tenir son lecteur en haleine dans un scénario d’une infinie tristesse. Briser une famille est facile, s’acharner à recoller les quelques morceaux restants est moins évident. C’est entre autre ce dont souffre Manfred.
Il était une fois…
Manfred, vieil homme fort malade, ne voit sa femme sur un banc qu’une fois par mois. Les relations avec son fils sont épisodiques et quelque chose de terrible semble planer dans la famille. Mais quoi donc ? Itinéraire d’un homme complexe et d’une femme qui a survécu aux camps de concentration nazis, que cachent donc les maux du(des) protagoniste(s) ?
Critique de La Douleur de Manfred
Avant de commencer ce billet, de grâce ne lisez pas le quatrième de couverture. Je ne sais pas qui a été chargé de le rédiger, mais le salopiaud a très vilainement parlé d’un aspect de l’histoire qui n’est révélé que dans le dernier tiers. Pas bien du tout.
Ce roman, plutôt court mais dense, alterne entre le présent (peu glorieux) d’un vieillard sur le déclin et le passé de ce même homme. Britannique à l’enfance relativement heureuse et ayant plus tard participé à la Seconde guerre mondiale, Manfred rencontre ensuite Emma, une douce femme qui lui a fait un bel enfant. Il subsiste aux besoins de ses proches grâce à Tapper, personnage atypique par ses initiatives et son culot gérant une partie de l’immobilier londonien. Parallèlement, le lecteur découvrira un papy qui n’a plus grand chose à espérer de la vie. Si ces deux histoires ne se rejoignent pas, le dernier tiers du roman offre enfin l’explication de l’état de guerre froide au sein d’un couple irrémédiablement déconstruit.
C’est sans doute là le problème d’un titre qui n’invite pas plus que ça à être poursuivi. Le style de l’auteur irlandais est délicieux, presque hors du temps, quelque chose à la fois d’intimiste, sobre et fort neutre – par rapport aux thèmes abordés. Les descriptions de la fameuse douleur du héros sont ciselées et provoquent une empathie certaine vis-à-vis de lui, même lorsqu’on apprend le pire. Sauf que MacLiam Wilson ne fait pas assez monter la mayonnaise avant de déverser dans la violence pure (d’un point de vue littéraire) comme il a pu le faire dans d’autres romans. Des protagonistes comme l’irascible voisin Webb, par exemple, n’apportent leur pierre à l’édifice que trop tard.
Tout ça pour dire que ce n’est pas nul, loin de là. Mais La douleur de Manfred souffre terriblement de la comparaison d’avec ses prédécesseurs, plus complets et impressionnants. L’écrivain verse certes dans une narration originale car non linéaire (les flashbacks sont savamment délivrés), mais il manque du grandiose à l’ensemble. Si vous n’avez que peu de temps, foncez. A l’inverse, préférez ses titres cités en bas de billet.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
Puisque le titre en dispose, parlons un peu de ce qu’est la douleur. Cette notion se rapporte en premier lieu à Manfred dont le corps décati se rappelle à son bon souvenir – ne vous inquiétez donc point, la délivrance par la mort survient à la fin. A la déchéance physique s’ajoute de douloureux souvenirs : les horreurs de la guerre ; l’omniprésente prostitution qui suit le conflit ; la naissance d’un fils qui devient (plus ou moins consciemment) un rival ; un métier qui lui laisse peu de marge de manœuvre, etc. De façon discrète et fine, Robert McLiam W. présente un personnage dont on pressent que le poids de l’Histoire (et de son histoire personnelle) le contraint à se courber.
Suis désolé, mais pour le dernier thème (le plus important sans doute) je vais devoir passer par l’alerte habituelle. [Attention SPOIL donc] La vraie douleur paraît être celle d’un amour total qui, par une curieuse alchimie, a été dévoyé. Est-ce la jalousie par rapport à la beauté d’Emma ? Sa résilience de façade ? L’alcool ingurgité par le pater familias ? Quoiqu’il en soit, un beau jour Manfred a filé (en apparence sans raison) une torgnole à son épouse. Assez bizarrement, il aime ça et Emma ferme sa gueule. Pourquoi alors s’arrêter malgré les incessants remords ? L’engrenage de la violence conjugale est en route, et rien ne l’arrêtera. Les raisons de ces actes apparaissent comme un enchevêtrement dramatique, et ce d’autant plus lorsque Emma, après une énième baston, livre sa propre histoire. Et là, le lecteur est susceptible d’avoir autant mal que ce pauvre Manfred [Fin SPOIL].
…à rapprocher de :
– De McLiam Wilson, Eureka Street est excellent, mais pas autant que Ripley Bogle.
– Sur les violences conjugales et l’apparente résilience d’une femme, lisez le très percutant La maison, de Nicolas Jaillet.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.
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