Paris, Goa, Mumbai, Los Angeles, reParis, lorsqu’on laisse des armes ou des laisses de biffetons à une bande d’individus plus ou moins adaptés au monde contemporain, y’a moyen que ça fasse de sérieux dégâts. Avec une écriture légère et hélas un peu foutraque sur les bords Romain Ternaux nous entraîne dans des aventures qui n’ont pour prétexte qu’une révolution dont les idéaux, à chaque page, s’éloignent irrémédiablement.
Il était une fois…
Avec ses compagnons de hasard (Caro la prostituée, Cal le clodo et Ulrich le survivaliste), notre héros alcoolo et incapable va sillonner le monde en vue de lever un armée destinée à pendre par les tripes les odieux capitalistes de la planète. Du moins c’était son idée première. Car dès qu’il a une once de pouvoir ou de biens entre les pognes, le gâchis est imminent. Et violent.
Critique de Croisade Apocalyptique
Ce bouquin serait largement passé à côté des griffes tigresques si son auteur, lors d’un gala en l’honneur de la disparition de Maxime Chattam, ne m’avait pas supplié, à coups de gin tonics, d’acheter son premier roman et d’en faire un billet. Romain a même signé mon Code de déontologie. Dont acte.
Je dois vous avouer que la présentation générale de l’œuvre m’a légèrement filé les jetons : 4 chapitres pour plus de 200 pages, une photo dérangeante (bravo à Bénigne, le photographe) en début de chapitre, et un premier tiers d’ouvrage qui fut difficile à appréhender. Entre un personnage principal (dont on ne saura jamais le prénom, sauf erreur de ma part) profondément antipathique et d’autres protagonistes excessifs par leurs caractères, autant vous dire que l’histoire mêlant un inattendu trafic d’armes et un départ pour Goa a de quoi surprendre.
Et puis, notre anti-héros pose ses pénates, seul cette fois-ci, à Los Angeles. A partir de ce moment le pedigree du gus s’épaissit considérablement (concomitamment à son obésité en fait) pour prendre une tournure dramatico-absurde : ses rêves sont plus inaccessibles que jamais et son délire alcoolico-révolutionnaire atteint d’édifiants sommets. Le style, fait de phrases (style familier la plupart de temps) simples, se marie alors plutôt bien avec les odieuses pérégrinations d’un homme en manque de repère.
Hélas, mille fois hélas, la fin est obscure au possible, disons que ça file aux quatre coins de la rose du vent scénaristique. Plus généralement, on sent à mesure de la lecture que l’auteur n’y croit pas vraiment, trop de détails ou de précisions sont allègrement laissés de côté. Ce qui pose la question du pourquoi d’un tel roman. A mon humble avis, la réponse me paraît toute bête : Roman T. se fait plaisir en embarquant ses protagonistes dans un grand n’importe quoi réjouissant – où l’idéalisme le plus extrême s’écrase certes tardivement face à la triste réalité.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
Le félin pourrait déblatérer sur l’alcoolisme nihiliste de tout ce petit monde ou leurs vies brisées à cause de mauvais choix, voire évoquer quelques scènes peu ragoûtantes où il est question de repeindre sa chambre avec du caca, cependant il y a des choses plus intelligentes (enfin c’est selon) à dire.
L’idéalisme marxiste qui anime l’antihéros est ancré en lui de façon viscérale, et ses pensées ne sont que vomissements contre une société capitaliste. Le lecteur se dira « chouette, ça va dépoter dans les chaumières », toutefois il n’en est rien : le mec est un loser fini infoutu d’organiser de manière correcte sa petite vie. Pire, lorsque ses « amis » lui présente un moyen durable de changer le monde, il fout tout en l’air à cause de considérations toutes personnelles. Ainsi, sa croisade est uniquement apocalyptique pour lui dans la mesure où il associe son état gangrené par l’alcool à celui de l’univers qui l’entoure. Et si améliorer le monde nécessite de changer son mode de vie en premier lieu, rien ne bougera.
De même, le personnage principal a un sérieux problème avec l’argent, qui ici agit comme un repoussoir et un moyen d’action…pour partir à l’autre bout du monde ou s’acheter des binouzes très souvent. En fait, le fric est surtout traité en tant que source d’intenses tracas, que ce soit faire des conneries avec (mais avec plus d’amplitude) ou se miurger plus que de raison – l’insistance de l’auteur vis-à-vis des alcaloïdes est louche. En imaginant ce qu’un crétin pareil pourrait faire s’il avait une ligne de crédit infinie, on pense tout de suite à une horrible dictature où le whisky sort des robinets et où la prostitution représente 30% du faible PIB. D’ailleurs, la dernière page est assez déroutante puisque notre ami, enfin, semble avoir surmonté ses soucis en refusant ce que n’importe qui accepterait volontiers – après une impitoyable catharsis et un début de delirium tremens, le clochard serait-il devenu un sage ?
…à rapprocher de :
– L’auteur a récidivé avec L’histoire du loser devenu gourou, qui se laisse lire.
– J’ai eu une période jeune-dégueulasse-en-guerre-contre-le-monde, par des auteurs (pour l’instant) inconnus, notamment Monstres, de Mike Kasprzak – recueil de nouvelles avec de beaux spécimens.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.
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