VO : The Sweet Hereafter. Lorsqu’un accident vient endeuiller une modeste communauté américaine, lorsque les enfants meurent avant leurs parents, nul ne sait ce qu’il pourra advenir ensuite. Long au démarrage, mais tellement excellent par la suite. Avec ce petit bijou de justesse et de tristesse, le romancier américain a donné sa petite claque au Tigre.
Il était une fois…
Sam Dent, dans le Nord des États-Unis, la population est en émoi : le bus transportant les petits nenfants vers l’école s’est lamentablement craché dans un ravin. Tous se sont presque transformés en anges, et leurs parents sont sous le choc. C’est à ce moment qu’un avocat particulièrement doué leur propose ses services. Entre colère légitime, tentation de faire un procès et grosses merdes sous le tapis, le village constitué de gens modestes ne sera plus jamais le même.
Critique de De beaux lendemains
Je ne sais pas pourquoi, mais à l’époque où j’ai lu ce roman, j’ai souvenir d’une certaine difficulté à en venir à bout. Les 150 premières pages, laborieuses comme rarement, m’ont presque fait abandonner. Et puis Le Tigre s’est accroché, jusqu’à parvenir à un état de pleine félicité largement justifié par le talent de Russel Banks. Quelle empathie, quel vocabulaire, quelle immersion, c’en est purement génial.
La principale qualité de cette œuvre est, à partir d’un fait terrible, de américain nous entraîne très loin : grâce à quatre protagonistes, la narration (à la première personne du singulier) offre une richesse peu égalée de différentes sensibilités. Qu’il s’agisse d’un père doublement éploré (perte de la femme, puis de ses jumeaux), de la conductrice du bus (Dolorès de son petit nom) qui ne sait pas si elle roulait trop vite, d’un avocat décidé à venger les familles ou encore une jeune survivante ayant perdu ses jambes, Russel B. parvient à entrer dans l’esprit de personnages complexes et aux motivations qui se brisent à celles des autres.
Certes le lecteur pourra reprocher deux ou trois aspects, notamment la longueur des chapitres (à peine six pour 300 pages) ou un intérêt qui met un certain temps à se mettre en place. Néanmoins, il y a une superbe montée en puissance dans la multi-narration, chaque protagoniste apportant une nouvelle pierre à un édifice instable qui menace de livrer un terrible secret – et croyez-moi, ça vaut largement le détour. L’histoire de la petite Nicolle Burnell, notamment, sublime la problématique de l’histoire qui bascule, sans pitié, vers la tragédie. Quelles sont les raisons de l’accident ? Mais surtout, pourquoi Nicolle décide de mentir en vue du procès ?
Bref, foncez. Petit coup de gueule final pour la traduction du titre qui se veut ironique : s’il est vrai que les lendemains ne sont point beaux après un tel drame, l’idée d’un « doux au-delà » (traduction approximative) me paraît plus pertinente : non seulement on va au-delà de la douleur, du ressenti de la part d’individus qui sont face à l’illogique (la progéniture qui clamse avant les parents), mais le titre original renvoie plus trivialement à la mort et à la place désormais occupée par les jeunes victimes.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
La douleur qui touche la petite communauté est d’une rare violence, et dans ce genre de cas chaque habitant est susceptible de perdre la tête. Comme Mitchell Stephens (le baveux) le remarque vite, les locaux de Sam Dent peuvent être qualifiés de « petites gens » vite dépassé(e?)s par ce qui leur tombe sur la gueule. Une petite ville qui perd ses enfants est une ville sans avenir, selon certains, et pourtant la vie continue. Et ce en vertu de la désignation d’un bouc émissaire (le pauvre), quelque chose de pas trop compliqué à comprendre et qui évitera de poser d’autres questions – le préalable à une longue procédure judiciaire à l’américaine.
Plus généralement, l’écrivain américain parvient à nous introduire très intimement auprès des protagonistes, un sacré tour de force. Les problématiques de tel ou tel individu, comment il voit son existence se dérouler, ses souvenirs qui conditionnent ses réactions à venir (en particulier Billy qui en tient une sacrée couche), jusqu’aux décisions à prendre après la tragédie, tout cela est finement rendu. Après avoir posé ses pions, Banks les met en scène dans une sorte de tableau illustrant ce que peut être la théorie des jeux : tous ont un but (ou un écueil dans lequel ne pas tomber), et la divergence des intérêts fait que ça peut péter dans tous les sens – sans compter qu’il n’y a pas vraiment de bonnes décisions à prendre, toutes se valant.
…à rapprocher de :
– Le Tigre a découvert qu’un film, réalisé par Atom Egoyan, en 1997. Vous en parlerai dès que je l’aurai pirat…euh visionné.
– Au risque de paraître hors sujet, la communauté dont les enfants sont les cibles rappelle La tempête du siècle, du bon Stephen King.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.