Sous-titre : un militant de la liberté. VO : Jefferson : A Great American’s Life and Ideas. Cet essai sur la vie et l’œuvre de Thomas Jefferson, troisième Président des Etats-Unis, ne manque pas d’attrait, et le lecteur en sortira grandi. Malgré un début poussif et un parti pris manifeste de la part de l’essayiste (qui le blâmerait ?), la lecture reste globalement agréable.
De quoi parle Jefferson, et comment ?
Écrit au début des années 50, je ne sais pas comment cet antique essai (prix en anciens francs, quelques fautes de typo dignes de la France d’après-guerre) s’est retrouvé entre mes mains. Surtout que, de vous à moi, une biographie d’un des pères fondateurs de l’Amérique n’est pas la première chose qui me viendrait à l’idée de lire.
Comme tout lecteur normalement constitué, j’ai su zapper la préface du Maréchal Juin (de l’âaacadémie française), deux pages dont l’utilité me paraît contestable. Ensuite, le très cartésien Padover a divisé son ouvrage en une succession de chapitres chronologiques aux titres pleins d’emphase, commençant par La jeunesse (depuis 1743) jusqu’à Le sage (jusqu’à sa mort, le 4 juillet 1826, 50 ans après la déclaration d’indépendance), en passant par Le rebelle, Le philosophe, Le spectateur, etc – quelques chapitres semblent improprement titrés, mais on l’a tous fait dans nos dissertations.
Ensuite, le style. Du bel ouvrage académique, la traduction de Maurice Fould est plus que correcte…trop sans doute, il y a comme un malaise dans les premières pages : la jeunesse et la tendre éducation du grand Thomas Jefferson, personnage vif d’esprit avec un air un peu « paysan », est traitée à coups de remarques lénifiantes assez ennuyeuses. En outre, il est quelques circonvolutions lexicales (ou circonlocutions) assez marrantes pour dire que Jeff’ était un sacré coincé du cul qui ne parvenait pas à aligner deux mots face à la gent féminine.
Enfin, Saul K.P. est tout acquis à l’héritage du bon Jefferson, quitte à soutenir chacune de ses actions (et vilipender ses opposants) avec une insistance qui m’a plus d’une fois étonné. A moins que ce ne fût souhaité, il est dommage qu’un tel essai, remarquablement documenté il est vrai, fasse preuve d’une telle subjectivité – il est question du « génie » de Jefferson, de comparaisons avec Goethe,…ad nauseam. Si la prise de recul avec l’époque traitée est réelle, Jefferson est plus qu’à son tour décrit comme l’auguste individu qui s’élève, tel avec quelques alliés (Madison par exemple), de la fange de certains de ses contemporains. Mais où est donc sa putain de part d’ombre qui doit bien exister ?
Bref, Le Tigre ne cherche pas particulièrement à trouver des poux dans la tête bien faite de feu Padover, néanmoins son bouquin n’est pas le genre de trucs que je me taperais sur la plage ou au coin d’un feu. Car Jefferson est idéal pour tout thésard en quête d’informations sur un homme politique de premier plan à cette époque ou toute personne désireuse d’en savoir plus sur la politique des EUA pendant les guerres napoléoniennes (vente de la Louisiane, embargo), ce dont Tigre n’est point.
Ce que Le Tigre a retenu
Tellement à dire, si peu de place…
J’ai été surpris d’apprendre que Jeffy était un esprit accompli dont la curiosité était insondable. Travailleur manuel hors pair ; gestionnaire de sa grosse exploitation (menues remarques sur la micro-économie du personnage dont l’essayiste ressort les chiffres des dépenses quotidiennes) ; versé dans la mécanique, l’architecture (il a dessiné le bâtiment principal de l’Université de Virginie), la flore locale, la musique ; lisant et parlant plusieurs langues, bref le gus aurait pu exercer mille métiers. Et c’est tout naturellement qu’il s’est tourné vers la politique.
L’activité d’administrateur était en ces temps assez ingrate, du moins Padover l’a présenté ainsi. Thomas J. s’est presque ruiné (la fin de sa vie est d’une rare tristesse sur ce point) à exercer à deux reprises la magistrature suprême, et souvent il a occupé un poste important presque à son insu – il a appris sa désignation comme Secrétaire d’État en ouvrant un journal. Pour ma part, les atermoiements et silences de l’animal politique pendant que ses amis le pressent de se présenter sont la marque d’une personne très maligne, qui, en plus de se faire désirer, sait plus ou moins être le seul recours disponible – et à juste titre.
A l’instar d’autres grands politiciens, la vie familiale de notre héros ne fut guère facile. Femme décédée à la suite d’un accouchement douloureux, nombreux enfants décédés (dont une de ses filles, à 26 ans), c’est un homme souvent seul – moins que Lincoln certes. A signaler le rapide coup de foudre (à sens unique) avec Mme Conway, rencontrée à Paris. Il lui écrivit une lettre enflammée et ridicule, tellement que l’essayiste avoue, à demi-mots, que celle-ci est « longue, prolixe et assez peu subtile » – c’est le moins que l’on puisse dire.
Quant aux idées politiques du personnage, c’était un réel démocrate (chef du parti républicain contre les fédéralistes aux idées plus « élitistes ») qui ne portait pas la classe cléricale dans son cœur. Ayant eu une relation particulière avec la France qui a aidé l’Amérique dans son combat pour la liberté, Jefferson a toutefois gardé un esprit critique et sévère contre la vieille Europe menée par d’incapables dynasties. C’est parti pour la citation, lorsqu’il écrivit à un gouverneur d’un État fédéré :
Les Européens ont des gouvernements de cerfs-volants qui volent au-dessus de pigeons. Les meilleures écoles de républicanisme sont Londres, Versailles, Madrid, Vienne, Berlin, etc.
…à rapprocher de :
– Au détour d’un chapitre, il arrive que d’autres essais sont invoqués par l’auteur…et là, magie, il s’agit de l’influence du pamphlet de Thomas Paine, intitulé Le Sens commun. Cela avait fait grand bruit à l’époque, un vrai best-seller.
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