VO : idem. Prenez un scénario d’anticipation social sur le clonage du Christ, saupoudrez avec l’idée originale du genre The Truman Show, rajoutez quelques fondamentalistes violents, enfin agrémentez avec le dessin de Murphy, et voilà le boulot ! Hélas la mayonnaise ne prend guère au début, sans doute le dessin n’a-t-il pas aidé. Fin plus que satisfaisante, Sean Murphy sait retomber sur ses pattes.
Il était une fois…
Dans un futur très proche (2019 il me semble), Slater, qui dirige une boîte de production américaine, enchaîne les idées lumineuses. L’avenir sera excessif, cela va sans dire :
Et si on récupérait de l’ADN de Jésus à partir du Saint Suaire ? Grâce à l’expertise scientifique de la belle doctoresse Epstein, check.
Et si on le clonait ? Suffit de caster quelques jeunes femmes vierges en vue de les engrosser. Hop on sélectionne Gwen, qui pour l’occasion sera renommée Marie.
Et…si on faisait une émission, en direct, sur la vie du divin gamin ? Ça risque d’être dangereux non ? Les chrétiens ultras risquent de mal le prendre ? Embauchons Thomas McKael, ancien activiste de l’I.R.A., le problème sera résolu. Et puis ça va faire tomber tellement de pépètes.
The show must go on.
Critique de Punk Rock Jesus
C’est rigolo : si je sais mesurer la qualité du travail de l’auteur/illustrateur Sean Murphy (cela reste rare dans le monde des comics), celui-ci me laisse souvent de froid. Sur 230 pages, il doit bien y en avoir une centaine qui m’ont relativement ennuyé. J’y reviendrai.
Le scénario, que je pensais un peu trop grossier et pas si bien ficelé que cela, s’avère au final solide et jonglant intelligemment entre présent et flashbacks. Dommage qu’il faille attendre si longtemps. Car il faut savoir que le vrai héros de cette BD n’est pas Chris (nom donné au cloné), mais Thomas, le garde du corps qui est au commun des mortels ce qu’une armoire en béton armée est à une penderie en toile cirée.
L’enfance du petit Jésu…euh Chris est donc observée par des milliards d’habitants qui assistent, en direct, à la jeunesse d’un enfant relativement malheureux. Mère qui ne tient pas le coup (toutefois elle tient bien le goulot à vodka) ; peu de contacts avec des camarades (sauf avec Rebeka, mais chut personne n’est censée savoir que c’est sa sœur jumelle) ; éducation religieuse bien sentie, c’est presque naturellement que Chris pique une formidable crise d’adolescence. Jusqu’à prendre la tête d’un groupe de punk (les Dead Jackets) en clamant des vers antichrétiens.
Les compétences de Thomas sont plus que de raison mobilisées, entre la foule de surexcités décidés à clore l’émission, et Slater – qui est loin d’être net en tant que producteur. Au fil du développement de son protégé, le lecteur en apprendra plus sur l’histoire de l’Irlandais baraqué. Si Le Tigre a trouvé le temps long avec un néoJésus un peu fade, il faut avouer l’envie de poursuivre l’œuvre est superbement maintenue grâce à l’intrigue dédiée à Thomas, pion dans une lutte entre catholiques et protestants.
Finissons par le mauvais point : le dessin. Le trait précis, le style punk avec des visages taillés au couteau, les jeux d’ombres dans un noir et blanc exacerbé (sans teints de gris), tout ça passe. Toutefois, cette impression généralisée d’inachevé, mâtinée d’un manque de vue d’ensemble, m’ont empêché d’appréhender les planches avec entrain. La lecture du texte même en fut douloureuse..
Au final, avec un scénar’ n’est pas si underground et révolutionnaire que cela et un dessin « à l’ancienne » avec des personnages denses et aux visages expressifs, Punk Rock Jésus est exactement le genre de comics abordable dans le sens où même le néophyte absolu y trouvera son compte. A offrir surtout.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
Forcément, le messie qui revient donne l’occasion de faire s’affronter les rangs du Christianisme (puis du monothéisme en général) contre celui de l’anticléricalisme. Ne vous laissez pas berner par les quelques joutes verbales à la TV ou des escarmouches à la kalach’, en fait il s’agit avant tout de la lutte de la science pour faire valoir la bonne parole de la réalité et du progrès. D’un point de vue intellectuel, rien qui ne déplace des collines.
Murphy profite de ce roman graphique pour livrer une vision cynique des cultes tels que pratiqués aujourd’hui : dès que les hommes sont concernés, ça part vite en sucette à cause de la politique. Conflits d’argents certes, mais surtout désirs de puissance et de pouvoir qui font faire, au nom de la religion, le pire. C’est notamment le cas du conflit nord-irlandais, où le twist final (qui est génial) nous amène à repenser les motivations du garde du corps.
Cette charge relativement sévère contre la religion (et encore, Le Tigre n’a pas évoqué l’aspect purement mercantile) s’explique dans le bonus des dernières pages de l’ouvrage. Murphy y a rédigé quelques mots à notre attention sur l’expérience qui l’a transformé – au grand dam de sa mère, chrétienne reborn. Il faut signaler que cet évènement a eu lieu pendant qu’il galérait à avancer sur le script de PRJ, du coup le projet a pris un tournant à 180°.
…à rapprocher de :
– De Sean Murphy, Tigre est mitigé face à Joe, l’aventure intérieure. Dessins superbes certes (et en couleur), mais histoire peu intéressante. Quant à American Vampire Legacy, j’attends de les avoir tous avant de les résumer.
– Sur l’histoire de Jésus cloné, je vous rappelle que Van Cauwelaert avait écrit L’évangile de Jimmy. Très correct ma foi (hi hi).
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce comics en ligne ici.
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