Voici une quinzaine de courts textes vomissant à la figure du lecteur la noirceur contemporaine de l’Humanité. La sordide réalité de nos conditions de robots ici compilée dans quelques nouvelles, certaines dispensables, d’autres faisant office de pépite, mérite le coup d’œil.
Il était une fois…
Un clochard en voie de rédemption dans le métro parisien ; un automobiliste encouragé à écraser une Rom ; un ornithologue accusé de perversité ; la délicate atmosphère régnant dans un abattoir français ; la récupération d’aliments javellisés devant un supermarché ; bienvenue dans notre enfer à tous, ce « carnaval macabre où les morts ne sont pas dans les cercueils ».
Critique d’A chaque jour suffit sa haine
Encore un recueil comme Tigre en raffole : sombre couverture, titre aguicheur aux relents bibliques, et le ton qui parvient à interpeller autant qu’à faire rire. Ces textes ont, en outre, la bonne idée de ne pas dépasser la quinzaine de pages, si bien que chacun peut se lire en moins de cinq minutes – lecture des citations d’illustres auteurs comprise.
Parlons d’abord de ce qui anime l’auteur. Il n’y a qu’à prendre le titre et y déceler la douce flagrance religieuse qui veut que chaque journée apporte ses misères qu’il faut subir – et, si possible, tourner l’autre joue en attendant la prochaine claque. Sauf que là, il n’est question que de colère face aux injustices quotidiennes – la misère d’autrui que personne ne daigne regarder, l’abrutissement de ce que la mondialisation fait de pire, etc. Plus qu’une indignation très souvent légitime, il s’agit d’une réelle rage qui habite des protagonistes qui, pour la plupart, ne sont pas nets.
Évoquons ensuite le style de Chagny. Si les narrateurs (première personne ou de manière plus détachée) et situations sont différents, l’écriture reste reconnaissable entre mille. Un mélange de fluidité, aidée par la taille du texte et des choix simples question de vocabulaire, et sertie de descriptions pertinentes que semble chérir Sébastien C. Ce dernier est en effet porté sur les métaphores, qui sont de temps à autre excessives dans la mesure où le message est passé depuis longtemps. Asséner, scander les analogies (j’allais dire des paraboles, mais il n’y en a guère), c’est profondément biblique non ? Parfois cela dépasse les bornes de la stratosphère et l’auteur fait montre de luxure qui confine à la branlette scripturale – surtout le dernier texte.
Vu le rapport plaisir pris/temps de lecture, il serait dommage de bouder A chaque jour suffit sa haine qui réussit à arracher, simultanément, un rictus de culpabilité et son cousin du rire. En effet, les sujets traités, universels mais particulièrement visibles dans nos sociétés, sont délivrés avec la puissance de l’humour, cette force qui fait que le lecteur pourra s’en vouloir de sourire – à ce titre, mention spéciale à la nouvelle Trop de salauds pour un salut.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
La préface de Marianne Desroziers a grandement prémâché le travail du félin, toutefois vous pouvez retenir que :
La « civilisation » telle qu’elle existe est dépeinte telle une impitoyable machine faisant de nous des monstres d’égoïsme incapables d’aider leur prochain. Les tares de la société sont décortiquées jusqu’à l’écœurement, de la police politisée au consumérisme effréné (Jésus dans le restaurant est une franche rigolade), en passant par le traitement odieux offert aux personnes hors classes sociales – notamment les SDF et les Roms qui en prennent souvent pour leur grade, ce qui est dommage puisque d’autres « minorités » auraient mérité de figurer dans ce panthéon des boucs émissaires. Aucun responsable de ce triste constat n’est nommément désigné puisque chacun d’entre nous constitue une pièce plus ou moins importante d’un appareil à broyer, discriminer, appauvrir l’âme et nous rendre con – et colérique, accessoirement.
Le répertoire de ces bassesses est d’autant plus criant qu’il s’agit de comportements hélas propres à l’Homme, en opposition avec une nature (fauve et flore) qui a les faveurs de l’auteur mais est malmenée par les vilains bipèdes. Un autre bipède, en particulier choyé par Sébastian Chagny, est l’oiseau dont l’étude suffit à vous envoyer en prison par un malheureux concours de circonstances (L’Ornithologie, ma Passion, dans le sens de celle du Christ hein). D’ailleurs, il semble bien que l’ornithologie soit une marque personnelle de l’écrivain. Dans tous les cas, la défense des animaux passe par la destruction de la chose humaine.
Toutefois, face à ces tristes constats, les solutions envisagées restent dans le domaine de l’humour puisque consistant souvent à des actions radicales, lesquelles créeront immédiatement davantage de problèmes qu’elles sont censées en résoudre. N’est-ce pas le principe d’une révolution ?
…à rapprocher de :
– Chez le même éditeur, vous trouverez Avant terme, de Serge Cazenave-Sarkis (davantage versé dans la folie) et son Sans Partage (très très glauque). Ou Satanachias, de Christophe Lartas – quelques belles pépites.
– En moins compréhensible, mais avec de lourds, vous pouvez lire Monstres de Mike Kasprzak. Plus déjanté (et drôle) reste Un fauteuil pneumatique rose au milieu d’une forêt de conifères, de Thibault Lang-Willard
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce recueil en ligne ici.
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